Côte d’Ivoire : La libération provisoire de 14 détenus souligne les besoins impératifs d’une justice impartiale et équitable

09/08/2013
Communiqué

La FIDH et ses organisations membres en Côte d’Ivoire, le MIDH et la LIDHO, se félicitent de la libération provisoire accordée par la justice ivoirienne à 14 personnes jusque là détenues dans le cadre des procédures liées à la crise post-électorale. La FIDH, le MIDH et la LIDHO qui sont parties civiles dans ces procédures judiciaires aux côtés de plus de 75 victimes, appellent les autorités politiques et judiciaires ivoiriennes à garantir pleinement les droits de la défense et l’équité des procédures judiciaires et les exhortent à aller jusqu’au bout du processus de justice et de lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves. Il s’agit d’une condition pour garantir pleinement aux victimes de la crise électorale le respect de leur droit à la vérité, à la justice et à réparation.

Le 6 août 2013, quatorze prévenus inculpés dans les procédures judiciaires ouvertes au sujet des crimes perpétrés pendant la crise post-électorale ont été présentés au parquet d’Abidjan et mis en liberté provisoire. Les quatorze personnes libérées [1] sont des proches de l’ancien président Laurent Gbgabo dont notamment Michel Gbagbo, son fils ; Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI, le parti de L. Gbagbo) ; Aboudramane Sangaré, le vice-président du FPI ; et Alcide Djédjé, ancien conseiller diplomatique de Laurent Gbagbo et ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement pro-Gbagbo et non-reconnu lors de la crise post-électorale.

Ils bénéficient d’une mesure de liberté provisoire à la demande des juges du pool d’instruction chargés des dossiers de la crise post-électorale, décision confirmée par la Chambre d’accusation et le parquet. Les quatorze personnes libérées demeurent toutefois inculpées et en attente de leur procès. Onze des quatorze personnes libérées le 6 août font d’ailleurs partie des 84 prévenus renvoyés pour jugement devant la Cour d’Assise d’Abidjan à la suite de la décision du 10 juillet 2013 de la Chambre d’accusation pour leur responsabilité présumée d’atteinte à la sûreté de l’État au cours de la crise post-électorale.

«  Cette libération est une bonne nouvelle pour le droit des personnes à ne pas être détenues indéfiniment sans procès, et si d’autre détenus sont dans ce cas, il faut procéder à leur libération conditionnelle  » a déclaré M. Karim Lahidji, président de la FIDH. « Pour autant, l’effort de justice pour établir la vérité, poursuivre les responsables et accorder réparation aux victimes doit être renforcé car la réconciliation ne peut se faire sans vaincre d’abord l’impunité » a-t-il ajouté.

Renforcer la cellule spéciale d’enquête et la stratégie des poursuites

Une mission judiciaire du Groupe d’action judiciaire (GAJ) de la FIDH, du MIDH et de la LIDHO s’est rendue à Abidjan du 12 au 19 juillet 2013 et a pu faire un bilan d’étape des procédures judiciaires en cours liées à la crise post-électorale de 2010-2011. La FIDH, le MIDH et la LIDHO sont constituées parties civiles aux côtés de plus de 75 victimes dans la plupart des procédures judiciaires liées à la crise post-électorale. Les conclusions préliminaires de la mission judiciaire confirment que malgré certaines avancées dans les dossiers, l’évolution des enquêtes en cours demeure préoccupante : la stratégie pénale des poursuites est toujours déséquilibrée et la réduction des effectifs de la cellule spéciale d’enquête envoie un signal en contradiction avec l’engagement des autorités d’aller jusqu’au bout du processus judiciaire engagé.

Plus de deux ans après la fin des hostilités, l’action de la justice ivoirienne demeure passablement brouillée en raison : du grand nombre d’instructions judiciaires ouvertes, de la concomitance des procédures existantes devant les juridictions militaires et civiles, des instructions « générales » et « spécifiques » visant des mêmes personnes pour des mêmes faits, et des tempos différents selon les affaires dont certaines sont déjà jugées comme l’affaire de l’assassinat du Colonel Dosso.

« Nous sommes face à des procédures atomisées qui ne produisent aucune image générale claire de la façon dont s’est déroulée la crise et de l’identité des principaux responsables. Pour le moment, on ne s’achemine pas vers un grand procès de la crise poste-électorale à l’occasion duquel les responsabilités de tous les acteurs de la crise seraient étudiées et qui contribuerait à écrire notre histoire commune » a déclaré Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH et président du MIDH. «  Le seul grand procès programmé pour le moment est celui de 84 pro-Gbagbo. Or, au regard de toutes les enquêtes menées par nos organisations sur le terrain, des FRCI, leurs supplétifs et d’autres personnes se sont aussi rendus responsables de crimes. Juger les auteurs de toutes les parties au conflit en même temps aurait permis de démontrer qu’il n’y a pas de parti pris dans la répression des crimes les plus graves » a-t-il ajouté.

L’arrestation, le 18 mai 2013, d’Amadé Ouérémi, ce chef de guerre qui s’était réfugié dans le Mont Peko à proximité de Duékoué, est en ce sens un acte positif afin d’établir toutes les responsabilités des crimes perpétrés pendant la crise. Cependant cette arrestation demeure la seule visant les Forces nouvelles (FN) devenues FRCI et leurs supplétifs. Le rapport de la Commission nationale d’enquête (CNE) mettait pourtant en lumière près de 700 violations des droits de l’Homme qui pourraient leur être attribuées.

« Les poursuites demeurent encore trop unilatérales, ne visant qu’un seul camp » a déclaré Pierre Adjoumani Kouame, président par interim de la LIDHO. « Il faut poursuivre tous les auteurs quels qu’ils soient et sans distinction au risque de créer une impunité dangereuse pour notre pays » a t-il ajouté.

La FIDH, la LIDHO et le MIDH qui se sont engagés dans la défense de toutes les victimes de la crise post-électorale et se sont constitués parties civiles à leurs côtés se félicitent de ce que leur constitution – contestée par la défense de Simone Gbagbo – ait été reconnue comme recevable par une ordonnance de la doyenne des juges d’instruction, en date du 25 mars 2013, qui consacre, par une lecture positive de l’article 2 du Code de procédure pénale, une évolution importante et historique pour les ONG de défense des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire : la possibilité de se constituer partie civile dans les situations de graves violations des droits de l’Homme.

Dans le même esprit, la FIDH, le MIDH et la LIDHO viennent de solliciter de la Chambre d’Accusation – par une requête en date du 19 juillet 2013 - qu’elle regroupe les différentes instructions en cours afin que la justice se donne les moyens de dresser une image globale et transversale de l’ensemble des crimes et délits commis pendant la crise et de la responsabilité de leurs auteurs, quelque soit leur appartenance présumée.

« Nous demandons que les effectifs de la cellule spéciale d’enquête soient de nouveau renforcés car il y a encore un important travail d’enquête à réaliser, à approfondir et à documenter pour avoir des dossiers clairs et solides contre les présumés responsables des 3 000 à 5 000 victimes de la crise » a déclaré Me Patrick Baudouin, président d’Honneur et responsable du Groupe d’action judiciaire (GAJ) de la FIDH. «  Le rapport de la Commission nationale d’enquête, les enquêtes menées par le Tribunal militaire, les archives disponibles ou encore les enquêtes de la Cour pénale internationale (CPI) comportent autant d’informations utiles et nécessaires aux instructions de la cellule spéciale qu’il faut exploiter. Pour ce faire, il faut du personnel, une coopération des organes judiciaires et une demande de complémentarité active dans le cadre de l’article 93-10 du Statut de Rome concernant la coopération de la CPI en faveur de la justice ivoirienne » a-t-il ajouté.

L’affaire de Nahibly : il faut poser des actes

Un an après l’attaque du camp de déplacés de Nahibly dans la ville de Duékoué (Ouest du pays), qui aurait fait plusieurs dizaines de morts, la justice ivoirienne saisie de ces faits, est là encore attendue. La FIDH, la LIDHO et le MIDH qui accompagnent aussi dans cette affaire des victimes et des parents de victimes considèrent que des actes importants doivent être maintenant posés dans cette affaire.

«  Un an après les faits, les autorités judiciaires ivoiriennes doivent procéder aux exhumations des corps des victimes et à la convocation en justice des responsables présumés » a déclaré Karim Lahidji, président de la FIDH.

Pour Me Patrick Baudouin, président d’honneur et responsable du Groupe d’action judiciaire (GAJ) de la FIDH, «  les autorités politiques ivoiriennes et l’ONUCI dont l’assistance technique a été sollicitée sont prêtes à procéder rapidement à ces exhumations. L’établissement des faits étant nécessaire à l’établissement des responsabilités, c’est par ces exhumations et la recherche des preuves matérielles qu’il faut commencer, même si la convocation des présumés responsables identifiés doit intervenir rapidement aussi. La balle est donc dans le camp du juge d’instruction » .

Il s’agit de procéder à une seconde exhumation dans cette affaire, qui doit permettre de fouiller 12 sites sur un total estimé à au moins 13 fosses communes. Le 12 octobre 2012, nos organisations avaient contribué à la découverte du charnier de Togueï . Six corps avaient été retrouvés dans un puit de ce quartier excentré de la ville de Duékoué.

La FIDH, la LIDHO et le MIDH ont publié en mars 2013, une note intitulée, « Côte d’Ivoire / Attaque du camp de Nahibly : une occasion de rendre justice » qui revenait sur les circonstances et les crimes qui se sont déroulés le 20 juillet 2012 avant, pendant et après l’attaque de ce camp de déplacés.

Le 21 mars 2013, le juge d’instruction en charge des procédures judiciaires de l’attaque du camp de Nahibly et du charnier de Duékoué, a fait procéder à un transport sur les lieux des fosses communes présumées pour identification de celles-ci en présence des conseils de la FIDH, de la LIDHO et du MIDH. Il s’agissait en fait des premières investigations dans les affaires de l’attaque du camp de Nahibly et de Togueï.

Selon toute logique et à la demande des parties civiles, le juge semble avoir demandé la jonction des deux instructions en raison du caractère continu et connexe des faits prouvant qu’il s’agit bien de la même affaire : l’attaque du camp de Nahibly. Contre toute attente, le parquet aurait fait appel de cette décision de jonction, retardant d’autant la prise en compte d’une approche globale dans ce dossier.

Il devient donc urgent de procéder aux exhumations des fosses communes afin de permettre l’identification des victimes, probablement des personnes disparues depuis l’attaque du camp de Nahibly. C’est maintenant au juge d’instruction d’ordonner cet acte judiciaire primordial pour l’établissement de la vérité.

« Cette affaire, hautement symbolique, est une occasion de faire avancer la lutte contre l’impunité en Côte d’Ivoire et faire comprendre aux gens en armes, particulièrement les agents de l’État, que les violations graves des droits de l’Homme ne resteront pas impunies » a déclaré Pierre Adjoumani Kouame, président par interim de la LIDHO. «  Pour que ce message soit totalement compris, il faut cependant que ces procédures judiciaires aillent jusqu’à leur terme et que les auteurs de ces crimes soient jugés  » a ajouté Maître Drissa Traoré, vice-président de la FIDH et président du MIDH.

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