Côte d’Ivoire : enrayer la logique de violence

26/07/2012
Communiqué
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Le camp de déplacé de Nahibly à Duékoué attaqué le 20 juillet 2012

La FIDH et ses organisations membres condamnent les violences qui ont fait 11 morts à l’Ouest de la Côte d’Ivoire dans la ville de Duékoué, et appellent les autorités ivoiriennes à mener une enquête impartiale sur ces événements, à juger les responsables et à garantir la sécurité des populations civiles et des personnes déplacées.

La FIDH et ses organisations membres en Côte d’Ivoire, le Mouvement ivoirien des droits Humains (MIDH) et la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme condamnent avec la plus grande fermeté l’assassinat d’au moins 11 personnes dans la ville de Duékoué et le camp de déplacés de Nahibly, les 19 et 20 juillet 2012.

« Ces meurtres, qui doivent être sanctionnés avec la plus grande énergie, démontrent l’urgence de rétablir la sécurité et de faire preuve d’une justice impartiale en Côte d’Ivoire et particulièrement à l’Ouest du pays » a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « Cette responsabilité incombe en premier lieu aux autorités ivoiriennes, même si la paix et la réconciliation sont une œuvre commune qui ne pourra pas se faire sans intégrer les populations et la société civile dans ces processus » a-t-elle ajoutée.

Le MIDH et la LIDHO ont mené des investigations préliminaires sur les événements sanglants qui se sont déroulés à Duékoué.

Selon les premières constatations, 5 personnes auraient été attaquées et tuées dans le quartier de Kokoman à Duékoué, un quartier très majoritairement peuplé par l’ethnie Malinke, au cours de ce qui semble être à l’origine un braquage qui aurait mal tourné mais dont la dimension politico-ethnique a de toute façon pris le dessus au cours des événements suivants.

En représailles et selon un témoignage recueilli par le MIDH : « Une horde de personnes, les jeunes malinkés, en furie et déchaîné a effectivement mis le feu au camp ce 20 juillet 2012 au motif que les auteurs des tueries y proviendraient ».

Communqué de presse MIDH // MIDH Press release (in French) - Duékoué

Selon les investigations préliminaires de la LIDHO, le camp de Nahibly qui accueille les déplacés de la crise post-électorale, en majorité de l’ethnie Guéré dans le département de Duékoué, a été attaqué par des assaillants composés de jeunes Malinké, avec le soutien des chasseurs traditionnels appelés Dozo et sous le regard passif d’éléments identifiés comme membres des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (F.R.C.I). Les forces des Nations unies et de l’ONUCI qui gardent et gèrent le camp n’ont pas été en mesure de protéger les personnes déplacés du camp. La LIDHO précise que le bilan de l’attaque du camp de Nahibly serait d’une dizaine de morts dont un homme brûlé vif, des dizaines de blessés, des personnes enlevées et plusieurs personnes réfugiées dans les forêts.

Communique de presse LIDHO // LIDHO Press release (in French) - Duékoué-Nahibly

Selon une source du MIDH cette action sanglante de représailles contre les réfugiés aurait été motivée par le fait que : « nous sommes fatigués de ces miliciens qui nous attaquent, nous tuent et violent nos filles et nos femmes. Depuis quelques temps des attaques sont perpétrées contre les populations Malinké et Akan, en particulier et des ressortissants de la sous région. Nous avons vu des armes saisies dans ce camp. Peut-on parler de réfugiés internes dans ces conditions ? Cela ne peut plus continuer. La guerre est finie. Que chacun rentre chez lui ou dans son village. Le 20 juillet 2012, dans la nuit, ils ont encore fait quatre morts et le cinquième est décédé plus tard. Nous avons décidé de les déloger en brûlant leur camp. C’est la seule manière de nous protéger et de les éloigner. »

Une autre source du MIDH raconte : « Des tueries sont courantes à Duekoué. Cependant, il m’est très difficile d’affirmer qu’il s’agit des personnes provenant du camp de déplacés de Nahibly. Il y a cependant beaucoup de braqueurs qui se réfugient dans la ville quand ils sont pourchassés dans les environs. Une horde de personnes, les jeunes malinkés, en furie et déchaîné a effectivement mis le feu au camp ce 20 juillet 2012 au motif que les auteurs des tueries en proviendraient. Les FRCI et les gendarmes présents ne pouvaient pas faire face à cette marrée humaine parce que sans moyen pour imposer l’ordre avec des moyens conventionnelles. Des armes ont effectivement été saisies sur les lieux. Au total, la dernière attaque survenue dans la nuit du jeudi 19 au vendredi 20 juillet 2012, a occasionné cinq morts dans les rangs de la communauté malinké suscitant du coup une réaction violente de celle-ci. Les représailles ont fait 6 morts côté réfugiés internes. 11 personnes au total ont perdu malheureusement la vie. »

La LIDHO note toutefois avec stupéfaction que les soldats des Casques bleus de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), sous la responsabilité desquels est placé ce site d’accueil, n’ont pu empêcher l’incendie du camp et le massacre de ces populations vulnérables. Encore moins, les FRCI, la gendarmerie et la police qui, en dépit d’une forte concentration dans cette région, n’ont pu ni prévenir, ni éviter cette tragédie.

Face à cette situation, la réaction des défenseurs des droits de l’Homme est unanime : « nous appelons à un retour urgent et rapide au calme. Chacun doit comprendre que la justice privée est inacceptable dans un État de droit. Le recours aux autorités légales reste la voie légale prescrite pour le règlement de tout différend quelle que soit sa nature. C’est pourquoi nous condamnons ces actes avec la plus grande énergie et invitons les populations à la fraternisation et à la cohésion sociale. Les populations doivent éviter tout acte contraire à la loi. Le MIDH demande urgemment une enquête afin de situer les responsabilités et prendre les sanctions adéquates contre les auteurs. » a déclaré Maître Yacouba DOUMBIA, Président par intérim du MIDH.

« La LIDHO s’inquiète de la persistance et de la récurrence des violences dans cette région, résultant de la manipulation des ethnies à des fins politiques ; et s’insurge contre cette propension à se rendre justice, tournant ainsi le dos aux voies de droit dans le règlement des litiges opposant les communautés » a déclaré pour sa part René Legré Hokou, président de la LIDHO. « La LIDHO interpelle le Président de la République et le Représentant spécial du Secrétaire Général de l’Organisation des Nations unies en Côte d’Ivoire, quant à leur responsabilité de protection et de secours humanitaires en faveur des populations et leur demande de diligenter une enquête afin que les responsables de cette barbarie soient démasqués et sanctionnés » a-t-il ajouté.

«  les autorités Ivoiriennes doivent prendre les mesures appropriées pour assurer la sécurité des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire national en général et dans la région ouest en particulier avec le concours soutenu de l’ONUCI » a ajouté Me Yacouba Doumbia président par interim du MIDH.

Le gouvernement ivoirien a réagi dans un communiqué le 24 juillet 2012 sur les événements de Duékoué et ayant constaté "la mort de 11 personnes et fait 57 blessés, ainsi que plusieurs cas de viols, de vols, et de destruction de biens". Par ailleurs, au titre des annonces les plus importantes, le gouvernement ivoirien :
"condamne fermement les actes d’une gravité extrême, ainsi que la recrudescence des actes de violence dans la partie ouest du pays, et exprime aux populations victimes de ces actes de barbarie ses condoléances les plus attristées". Il tente de rassurer les populations "quant aux mesures qu’il prend pour assurer la sécurité des Ivoiriens dans leur ensemble, et envisage de prendre dans les prochaines semaines des mesures complémentaires, visant le renforcement de la présence militaire dans le District des Montagnes". Enfin, le Gouvernement a décidé d’envoyer dans les prochains jours plusieurs délégations ministérielles dans l’ouest du pays, notamment en vue de "d’informer les populations des nouvelles dispositions prises en vue du renforcement de la sécurité dans la région, et d’aider à la réinstallation des populations déplacées dans leurs villages d’origine", ainsi que de "mettre sur pied des cellules de veille et d’écoute pour éviter à l’avenir, la répétition de tels faits." Enfin, le gouvernement "engage les services Judiciaires à procéder dans les plus brefs délais aux enquêtes sur le terrain, de façon à situer clairement les responsabilités, et sanctionner tous les auteurs des crimes et délits commis".

LIDHO - Situation socio-politique en Côte d’Ivoire // Socio-political situation in Ivory Coast (in French)

Ces fait interviennent dans un contexte local et national tendu. La LIDHO fait remarquer que ce drame fait suite aux discours de responsables politiques, administratifs et militaires, suggérant que le camp de déplacés hébergerait des bandits et appelant à son démantèlement. Par ailleurs, le massacre des déplacés intervient après la tuerie de soldats onusiens et de civils ivoiriens dans la région voisine de Tai.

Interview de René Legré Hokou sur RFI

La FIDH avait déjà condamné le massacre intervenu à Duékoué pendant la crise post-électorale lors de la prise de la ville par les FRCI et les Dozos les 28 et 29 mars 2011 au cours duquel au moins 190 personnes avaient été tuées et pour la plupart exécutés, pour ces seuls jours et appelait déjà à une enquête impartiale et indépendante.

Pour relever le défi de faire fonctionner une justice impartiale en Côte d’Ivoire, la FIDH, le MIDH et la LIDHO se sont constituées parties civiles aux côtés de 75 victimes de la crise post-électorale en avril 2012 sur la base d’enquêtes réalisées à Abidjan et dans tout l’ouest du pays.

Le débat sur France 24 du 27 juillet 2012 sur la Côte d’ivoire avec le responsable Afrique de la FIDH :
 Partie 1
 Partie 2

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