Carnet de mission / Est de la RDC #2 « Ituri / Nord Kivu : une région traumatisée »

Jour 3 : Goma-Béni, les Kivus

Nous quittons Goma avec Me Richard Kazadi, de la Ligue des Electeurs et Me
Jean Keba, de l’ASADHO, nos ligues membres en RDC. Le petit avion à hélices qui
s’arrache de l’aéroport de Goma, survole immédiatement cette superbe région
parsemée de volcans. Nous remontons vers le nord en direction de Béni et
survolons le terrain escarpé où les milices armées demeurent toujours très
actives en particulier les FDLR. Ces dernières ont engagé à l’été 2009 et en
2010 des campagnes massives et quasi-systématiques de viols à l’encontre des
populations et des centaines de milliers de personnes déplacées qui vivent
toujours dans des familles d’accueil. Les témoignages de femmes violées se
comptent par milliers. La CPI enquête d’ailleurs toujours sur ces crimes. Nous
longeons les côtes du lac Edward avant de quitter les contreforts montagneux du
Nord-Kivu et d’entrer dans le bassin central de l’Ituri. On dépasse Mutembo
pour atteindre la « ville cosmopolite de Béni » comme l’affirme la
brochure publicitaire de l’Hôtel. La ville est passée de 300 000 habitants au
dernier recensement de 2006 à près de 500 ou 600 000 selon les estimations. Le
petit aéroport de planches et de tôles de Béni a été construit afin de ne plus
utiliser l’ancien aéroport privé qui était la propriété du père de Jean Pierre
BEMBA, démontrant la force économique de la famille de l’ancien chef de guerre
et vice-président de la RDC. Sitôt arrivés, les rendez-vous s’enchaînent. Les
préparatifs des différentes activités sont passés en revue et la nouvelle de
l’arrivée de la FIDH commence à se répandre.... Vers 19h, l’électricité
alimente les lumières de la ville et le silence s’estompe derrière les bruits
de télévision et de radios. Olivier et Mariana, arrivés par l’avion de
l’après-midi ont su profiter du stop and go que l’avion a fait à Bunia pour
mieux admirer la ville ! Finalement, tout le monde se retrouve ou se présente et
les discussions s’animent. La mission sera au complet avec l’arrivée programmée
le lendemain de Dismas en provenance de Kisangani via Bunia . Nous faisons un
grand point qui nous tient jusqu’à 22h30 heure à laquelle, nous décidons de
nous sustenter. Évidemment lorsque j’ai Marceau et Dismas au téléphone dans la
soirée, on est en train de manger un bon poulet grillé en écoutant de la
musique et les collibets sur le sérieux de notre travail en mission ne tardent
pas à fuser. Vieilles joutes verbales de nos missions.

Jour 4 : Dismas, l’oriental Rencontres et activités
internes.

Dismas Kitenge, vice-président congolais de la FIDH arrive et nous discutons
longuement entre les chargés de mission et les responsables de notre
organisation partenaire sur place, l’Association des victimes de la guerre en
Ituri (AVIGUITURI). Après, autour d’une bière, Dismas nous raconte la guerre en
province orientale en 2000 et 2001. Lorsque le RCD voulait sa peau et qu’il
avait dû se réfugier pendant 15 jours à la MONUC de Kisangani. Les armées
étrangères se battaient à coups d’obus et de mortiers, les milices régnaient en
maîtres et les chiens mangeaient les cadavres qui trainaient. Dismas avait
traversé tout cela, en se demandant comment il en était sorti. En ces temps, il
ne faisait pas bon être défenseur des droits de l’Homme. D’ailleurs, en allant
négocier un jour, avec Laurant Nkunda, il s’est demandé si le repas offert, par
le chef rebelle du CNDP, ne serait pas son dernier. L’utilisation du poison
étant une pratique connue de certains groupes armés. Dismas en fera d’ailleurs
l’amère expérience quelques années plus tard, victime lui aussi d’un
empoisonnement dont il a mis plusieurs mois à se remettre. Un peu après la fin
de son récit, le générateur s’éteint et il fait noir. C’est le temps de
dormir.

Jours 5 : L’atelier sur la CPI : entre espoirs et
déceptions à l’égard de la Cour

C’est notre activité publique de la mission. Nous organisons un atelier afin
de présenter les moyens mis en oeuvre par la FIDH pour lutter contre l’impunité
en RDC. La CPI fait évidemment partie de la boite à outil et nous souhaitons
savoir comment les populations, les ONG, les autorités civiles et militaires
perçoivent l’action de la CPI et quel est l’impact sur le terrain. Nous
invitons tout ce beau monde à une journée d’information et d’ateliers pour
échanger sur tous ces points. Le Maire de Béni est attendu pour ouvrir
l’atelier selon les us et coutumes protocolaires en vigueur dans la région. Le
gros 4x4 arrive en retard comme il se doit. Tout est réuni : La dégaine,
le costume, le garde de sécurité personnel au faciès peu engageant, et surtout
le discours d’ouverture de l’atelier rappelant l’engagement des autorités de la
ville de Béni en faveur des droits de l’Homme. Nous sommes bel et bien sur un
terrain où les paradoxes politiques et les conflits armés sont monnaie
courante. C’est cette guerre omniprésente que les participants racontent,
transpirent dans leurs interventions, discussions et questions. Et s’ils
reconnaissent l’importance de la justice et de la CPI pour lutter contre
l’impunité, l’ampleur des crimes commis et la poursuites des combats et de
l’activité encore prégnante des groupes armés font que les quelques procès en
cours à La Haye ne peuvent pas répondre à leur aspirations si fortes de voir le
cauchemar s’arrêter. "Pas assez et trop longtemps" : c’est un peu cela la
perception des victimes et des populations sur l’action de la CPI en Ituri. Il
reste tellement de criminels en liberté qu’il est dur d’avoir encore foi en
cette justice qui met tant de temps à s’exercer. Mais quand les avis réels
s’expriment enfin, l’on comprend que l’universalité des droits de l’Homme est
présente avant tout ici : ils n’admettent pas que l’on puisse les traiter
de façon inhumaine. Combien de gens dans des élans de compassions un peu
pervers n’admettent finalement pas par le même sentiment d’indignation un peu
convenu que certains peuples sont condamnés à souffrir ? Les peuples de
l’Ituri nous montrent fièrement que dans leurs malheurs, ils accueillent
l’action de la FIDH comme l’expression d’une solidarité humaine universelle à
la fois bienveillante et digne. C’est là que l’on voit que tout le travail
réalisé pendant toutes ces années avec les ligues locales, les réunions où l’on
se torture l’esprit pour savoir comment agir intelligemment, sert concrètement.
Nous sommes dans un processus, un dialogue et non pas avec des humains que l’on
aurait relayés à n’être que des mains tendues. Notre combat est finalement
autant de contribuer à mettre les chefs de guerre derrière les barreaux que
d’essayer d’aider les victimes et les populations bafouées à reconquérir leur
dignité et leur confiance en la solidarité humaine. Quand je dis
« nous », c’est cette FIDH cosmopolite comme la ville de Béni. Le
générateur s’éteint sur le 5ème jour....

Florent GEEL, depuis Béni (Nord Kivu / RDC)

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