Carnet de mission / Est de la RDC #1 : "Arriver jusque là....."

Jour 1 : Paris-Kinshasa en 20h

Quand la FIDH organise avec son réseau une mission dans l’Est de la RDC,
elle doit s’y prendre plusieurs semaines à l’avance, voir plusieurs mois, afin
de parer à toute éventualité. Mais rien n’est si simple en ce bas monde, et en
RDC on peut dire que la haute compléxité est de mise..... Le récit de cette
mission a pour but de vous faire vivre (presque) au jour le jour, ce qu’est en
réalité de mener une mission dans cette région enclavée et minée par les
conflits.

Nous avons décidé d’organiser là-bas une mission d’enquête et un séminaire
sur l’action de la Cour pénale internationale en RDC et l’impact de la justice
dans le conflit congolais. Sujet un peu sensible mais vraiment d’actualité avec
l’ouverture du procès de JP Bemba, 10 jours auparavant et l’intensification du
conflit dans les Kivus. Dans ce contexte, nous cherchons à évaluer l’impact de
l’action de la CPI en RDC, à appréhender le rôle de la CPI et plus largement de
la Justice dans ce pays en guerre depuis 20 ans.

Tout commence à Paris et La Haye vers 5h du matin, le 2 décembre 2010. Trois
chargés de mission de la FIDH, Olivier, Marianna et Florent prennent leurs
avions respectifs. Il neige intensément sur l’Europe et nous anticipons afin
d’arriver à l’aéroport à l’heure. Cela ne change rien, mon vol pour Bruxelles a
plus d’une heure de retard. J’ai bien fait cependant au dernier moment de
partir sur SN Bruxelles plutôt qu’Air France (pour des raisons budgétaires en
ces temps de crise économique) puisqu’en arrivant le soir à Kinshasa,
j’apprends que le vol Air France n’a pas pu partir de Paris ! Mes amis qui
passent, eux, par Entebe arrivent avec 4h de retard et une valise en
moins.....Pour ma part, 2Oh de trajet seront nécessaires pour arriver à
Kin.

En arrivant j’apprends que le vol des Nations unies que je devais prendre
pour Entebe puis Béni est annulé : les deux avions prévus sont en panne et
la MONUSCO ne peux aligner qu’un avion de 50 places. Je ne suis pas un
personnel prioritaire en tant que représentant d’ONG et par conséquent, pas de
faveur ! L’équipe d’Entebe est dans la même situation et nous devons tous
prendre des vols commerciaux pour arriver à Béni notre point de
rassemblement.... C’est le plan B qu’il faut mettre en action. L’idée est
plutôt simple : prendre un avion qui part à 7h du matin vers Goma, escale
obligée pour prendre le vol pour Béni....A Entebe, ils attendront un jour pour
enchainer sur un vol le 4 décembre. C’est un peu galère, tout le monde est
censé se retrouver à Béni dès le 3 décembre mais nous avons quand même pris de
la marge.

Jour 2 : Kinshasa-Goma en 13h.....

Donc levé à 5h après une petite nuit de sommeil (3h seulement) à Kin. Jules
passe me prendre. Mais pas de place pour Goma ce matin ! Départ que vers
12h.... Vers 11h après 5h d’attente à l’aéroport N’djilini, on est déjà à la
Primus avec les amis congolais... Ce ne sera pas la dernière, mais faut bien
cela pour passer les différents cheks-ins etc... Pourtant Jules et Dismas sont
à la manœuvre et sans eux, cela aurait été un véritable cauchemar. Y a pas à
dire, il n’y a pas mieux qu’un parisien pour se débrouiller à Paris et cela est
encore plus vrai pour les congolais et la RDC !

La traversée du pays vers l’Est est un long survol des forêts équatoriales
de la RDC, une mer de verdure parsemée des ombres portées par les nuages et
notre avion qui finit par se poser à Kisangani dans un atterrissage qui nous
rappelle que l’avion n’est pas de toute première jeunesse, mais le service est
pro : au redécollage, l’hotesse de Ewa Boro Airlines n’oublie pas de
préciser que "le survol d’une zone maritime nous oblige à vous informer que le
fond de votre siège peut être utilisé comme bouée de sau-ve-ta-ge"...... La
zone maritime apparaît quand nous survolons finalement le lac Kivu, but final
de notre étape du jour. Goma apparaît en effet, blotie entre le volcan, les
montagnes et bordant au nord le lac Kivu. Superbe arrivée que de survoler le
lac, le soleil perçant les nuages et venant frapper la surface du lac de sa
douce lumière dorée que l’on voit généralement en hiver dans le Balkans. Cette
couleur un peu cuivrée qui rend la réalité un peu plus irréelle et souvent un
peu plus belle. Et Goma ne manque pas de beauté malgré les soldats de tous
genres qui circulent dans la ville : FARDC, CNDP, Onusiens, peut-être des
rwandais et des ougandais, on se sait plus, dans ce défilé d’uniformes.
J’imagine que c’était un peu comme cela pendant la deuxième guerre mondiale
dans une ville-noeud de communication près de front. Car c’est un peu ce
sentiment que l’on a à Goma. D’abord les uniformes et les armes, partout, mais
aussi les véhicules des Nations unies et des ONG humanitaires qui pullulent.
Mais de fait, les premières unités des FDLR, l’ennemi farouche et déclaré de
2010 des gouvernements congolais et rwandais ne sont qu’à 30km de la ville. Ils
tuent, pillent et violent à 30km de là en toute (ou presque) impunité. Le
gouvernement congolais envoie contre eux les Forces armée congolaises et les
milices Maï-Maï qui tuent, pillent et violent à leur tour.... Bref, tout le
monde tuent, pillent et violent. Ils violent tellement d’ailleurs que pour les
seuls 7 premiers mois de l’année 2010, plus de 7 000 viols ont été recensés
dans la région. Record mondial. Du coup, les gens fuient. 1,4 millions des 1,8
millions des déplacés (record mondial) se trouvent dans les Kivus... La nuit
tombe sur le beau lac Kivu. Je passe quelques coups de fils pour informer et
m’informer. La Côte d’ivoire est à deux doigts de s’embraser. La Guinée s’est
trouvée un président en la personne d’Alpha Condé et j’échange quelques
analyses avec Sidiki. La nuit n’en finit plus de tomber, d’une étrange
lenteur... Derrière les montagnes, d’intenses lumières illuminent le ciel.
Embrumé par les vapeurs de la Primus, je crois d’abord que ce sont des tirs
d’artilleries comme en ex-Yougo, mais je me rends compte immédiatement qu’il
manque le bruit assourdissant et la peur qui va avec. L’orage se cantonne au
loin, derrière les volcans et sur le lac. C’est beau, c’est le deuxième jour de
mission, et j’ai l’impression d’être déjà parti depuis un mois pour un long
voyage "Au cœur des ténèbres"*. Florent GEEL, depuis Goma (Kivu / RDC)

Goma1.JPG

Photo ; Goma / lac Kivu / florent Geel / 3 décembre 2010

  • "Au coeur des ténèbres", bouquin génial et fulgurant de Jospeh Conrad et
    qui a inspiré FF Coppola pour son film culte Appocalypse Now.
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