La justice au Bénin : corruption et arbitraire

19/07/2004
Rapport

Une mission internationale d’enquête de la FIDH s’est rendue au Bénin, à Cotonou et Porto-Novo, du 16 au 23 février 2004. Le rapport de cette mission révèle de nombreuses violations des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans les domaines de l’administration policière, judiciaire et pénitentiaire et fait état de discriminations, notamment à l’égard des femmes et des enfants.

La justice béninoise manque de moyens matériels et humains pour accomplir correctement sa mission. Elle est engorgée et ne peut satisfaire aux droits des victimes à un recours effectif. En outre, l’administration de la justice déroge aux règles générales du droit à un procès équitable : l’intervention d’un avocat n’est pas prévue devant les juridictions du premier degré et l’octroi de l’aide juridictionnelle répond à des exigences trop complexes pour être mise en œuvre ; la présomption d’innocence est bafouée ; la corruption fait scandale. La condamnation en mai 2004 de 20 magistrats accusés de faux et usages de faux et escroqueries n’a fait que révéler au grand jour une situation que nombreuses organisations de défense des droits de l’Homme, notamment la Ligue béninoise de défense des droits de l’Homme, organisation membre de la FIDH, dénonçaient depuis longtemps.

La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale annoncée par les autorités comme étant la solution aux dysfonctionnements de la justice est gelée depuis plus de 10 ans par manque de volonté politique.

Les citoyens s’en remettent pour beaucoup à des juridictions de « droit traditionnel » pour régler les litiges selon la coutume. D’abord développés en milieu rural, ces tribunaux tendent à prendre de l’ampleur sur tout le territoire béninois. Si ces instances de médiation apportent une réponse à l’engorgement des tribunaux, elles statuent souvent en violation des droits de l’Homme : ces instances sont présidées par les chefs de villages, notables ou retraités sans aucune formation juridique ; les décisions sont souvent contraires à la jurisprudence des juridictions de droit commun ; l’appel d’une décision est impossible ; enfin, les décisions sont peu appliquées par les justiciables.

Autre grave violation du Pacte au Bénin, la torture est fréquemment pratiquée au stade de la garde à vue. Le "Petit palais", centre de tortures tristement célèbre pour les opposants politiques durant la période révolutionnaire de 1972 à 1990, est toujours en activité, contrairement aux affirmations formulées par le gouvernement béninois. La FIDH présente le cas de 11 réfugiés togolais rencontrés par les chargés de mission, en garde à vue depuis janvier 2004, et battus à de nombreuses reprises pour la plupart d’entre eux dans les locaux de la Brigade anti-criminelle. Les cas de torture restent pour la majorité impunis.

D’autres violations des dispositions du Pacte constatées par les chargés de mission concernent le système carcéral : surpopulation, vétusté des infrastructures, manque de soins et nourriture insuffisante accordés aux prisonniers. La mission présente le cas de 16 condamnés à la peine capitale qui subissent des conditions particulièrement sévères de détention dans la prison de Cotonou. Détenus dans les couloirs de la mort depuis plusieurs années, alors que la peine de mort n’est plus exécutée au Bénin depuis 1999 bien qu’elle ne soit toujours pas abolie, le directeur de la prison affirme que ces 16 détenus « n’existent plus pour l’administration pénitentiaire. »

Enfin, les chargés de mission font état d’un certain nombre de discriminations notamment à l’égard des femmes et des enfants.
Bien que la Constitution béninoise fasse de l’égalité des sexes un principe intangible, le droit coutumier du Dahomey datant de 1931 et le Code civil de 1958 notamment empêchaient jusqu’à présent les femmes de jouir des mêmes droits que les hommes. L’adoption en juin 2004, neuf ans après son dépôt devant l’Assemblée Nationale, du projet de Code de la famille, représente cependant une avancée considérable. En effet, ce nouveau code ne reconnaît d’effets légaux qu’au mariage monogamique célébré par l’officier d’Etat civil, autorise la femme mariée à conserver son nom, et met fin à la pratique du lévirat, coutume selon laquelle une veuve était « donnée » au frère de son défunt mari. Cependant, ce nouveau code devra être largement diffusé pour surmonter les traditions et les dispositions du Code civil qui perpétuent les inégalités entre les hommes et les femmes, notamment : l’absence d’égalité en matière de succession ; l’acceptation de la polygamie et des mariages précoces et forcés des jeunes filles ; l’absence du choix de la profession pour les femmes ; et l’interdiction pour les femmes de l’exercice de l’autorité parentale et du choix de la résidence familiale. Par ailleurs, bien qu’interdite juridiquement au Bénin, la pratique de l’excision continue de faire de nombreuses victimes.
Autre fait, environ 49.000 enfants béninois seraient actuellement utilisés à des tâches de travaux agricoles, domestiques, etc., pour des coûts minimes voire inexistants.

Sur ce constat, la FIDH formule de nombreuses recommandations aux autorités béninoises pour qu’elles se conforment, sans délais, à leurs obligations souscrites en droit international. La FIDH demande en outre au Comité des droits de l’Homme, chargé de veiller au respect des dispositions du Pacte par les Etats, de condamner ces graves violations des droits de l’Homme lorsqu’il aura à examiner le rapport du Bénin en octobre 2004.

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