48è session de la CADHP - intervention écrite

16/11/2010
Communiqué
en fr

L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment leur vive préoccupation eu égard à la situation des défenseurs des droits de l’Homme qui continuent de mener leurs activités sur le continent africain dans un contexte hostile et risqué.

En Afrique, les femmes et les hommes qui sont en première ligne pour défendre les droits de tous sont dans certains cas mieux protégés aujourd’hui que lors de l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs, ils sont aussi plus menacés en raison des avancées qu’ils ont obtenues : avec l’aide de programmes spécifiques, tels que l’Observatoire qui les accompagne depuis plus de 13 ans, les défenseurs ont pu faire entendre leurs voix au sein de forums, d’organisations internationales et régionales, et bien sûr dans leurs propres pays ; ils se sont aussi investis sur de nouveaux sujets, tels que les droits économiques, sociaux et culturels, les droits de LGBT et la lutte contre la corruption. Sur le continent africain, leurs victoires ont permis des avancées considérables pour faire reconnaître la place primordiale des droits de l’Homme dans l’exercice du pouvoir et la résolution des conflits.

La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a largement contribué à cette évolution, notamment en adoptant plusieurs résolutions en faveur de la promotion et de la protection des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique, et en faisant de ce sujet une préoccupation constante de ses travaux et de son ordre du jour. Cependant, l’Observatoire exprime sa plus vive inquiétude concernant la décision de la CADHP de refuser à la Coalition des lesbiennes africaines (Coalition of African Lesbian - CAL) le statut d’observateur. Cette décision, qui constitue une sérieuse atteinte à la promotion et la protection des droits de l’Homme pour tous sur le continent, remet en question la capacité de la Commission à remplir son mandat de protection et de promotion des droits de l’Homme conformément à l’article 45 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples. L’Observatoire appelle par conséquent la CADHP à reconsidérer sa décision dans les plus brefs délais.

Cependant, les défis restent immenses pour promouvoir et protéger les défenseurs, et force est de constater que ces derniers font encore l’objet de graves persécutions dans de nombreux pays.

Détérioration alarmante de la situation des défenseurs de droits de l’Homme en République Démocratique du Congo (RDC)

Enlèvements, disparition et assassinats des défenseurs des droits de l’Homme

Le 2 juin 2010, le corps sans vie de M. Floribert Chebeya Bahizire, directeur exécutif de la Voix-de Sans-Voix (VSV), a été retrouvé à bord de sa voiture sur une route à la sortie de Kinshasa. M. Fidèle Bazana Edadi, membre et chauffeur de la VSV qui accompagnait M. Chebeya Bahizire, isdemeure depuis ce jour porté disparu. Le directeur exécutif adjoint de la VSV n’a été autorisé à voir le corps de M. Floribert Chebeya Bahizire que le 3 juin 2010, en compagnie de la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC).

Dans l’après-midi du 1er juin 2010, M. Floribert Chebeya Bahizire avait reçu une convocation à se rendre auprès de l’inspecteur général de la police nationale congolaise (IG/PNC), le Général John Numbi Banza Tambo, pour un motif qui devait lui être communiqué sur place.

Accompagné de M. Bazana Edadi, M. Floribert Chebeya Bahizire s’était alors rendu aux bureaux de l’IG/PNC, dans la commune de Lingwala, Kinshasa, vers 17h. Leurs proches n’ont jamais pu joindre ces derniers par la suite.

Aujourd’hui, en dépit de l’annonce de l’arrestation d’un nombre indéterminé d’officiers de police et de la suspension du Général John Numbi Banza Tambo depuis le 6 juin 2010, aucune information sur l’avancement de l’enquête n’a été officiellement rendue publique et M. Fidèle Bazana Edadi demeure porté disparu. Les irrégularités constatées dès la découverte du corps de M. Floribert Chebeya Bahizire - accès très limité de sa famille à la dépouille, déclarations contradictoires concernant la cause du décès - indiquent par ailleurs une tentative de dissimuler la vérité et soulèvent de graves préoccupations. L’enquête a été clôturée et l’ouverture d’un procès contre cinq accusés a été annoncée.

De même, M. Sylvestre Bwira Kyahi, président de la Société civile de Masisi (nord Kivu), a été porté disparu le 24 août 2010 avant d’être retrouvé le mardi 30 août près de Sake, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Goma. Il a été enlevé par des hommes armés vêtus d’uniformes des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dans le quartier Ndosho de la ville de Goma, dans la province du Nord-Kivu. Présenté au lendemain de sa réapparition par les autorités provinciales de Goma à la presse et à ses collègues, M. Bwira était visiblement faible, le visage tuméfié, les bras portant des traces de cordes avec lesquelles il a dit avoir été ligoté pendant sa détention.

Au cours des derniers mois, M. Bwira avait fait l’objet d’actes d’intimidation et de menaces liés à son activité de défenseur des droits humains. Depuis fin juillet, il vivait dans la clandestinité, suite à la rédaction et à la signature d’une lettre ouverte adressée au Président congolais Joseph Kabila, le 30 juillet, sollicitant le retrait du territoire de Masisi de toutes les unités de l’armée et de la police constituées d’anciens membres de groupes armés récemment intégrés dans l’armée et la police congolaises. Cette lettre ouverte dénonçait également les exactions commises récemment par les troupes du Général Bosco Ntaganda, un ex-commandant du groupe rebelle le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), actuellement général dans l’armée congolaise, visé par un mandat d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale (CPI).

Actes d’intimidation à l’encontre des défenseures qui soutiennent les victimes de violences sexuelles au Nord Kivu

Dans la soirée du 19 septembre 2010, Mme Zawadi Leviane Musike, chargée de programme au sein de l’ONG Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral (SOFEPADI), a été victime de menaces et des actes de harcèlement à Beni. Dans un magasin d’alimentation, elle a rencontré des hommes en tenue militaire, qui appartiendraient aux Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), qui buvaient de la bière en compagnie de très jeunes filles. L’un des hommes a reconnu Mme Zawadi Leviane Musike et a prévenu ses collègues qu’elle était membre de la SOFEPADI, organisation qu’ils tiennent pour responsable de condamnations de militaires pour violences sexuelles. Les hommes ont alors appelé d’autres collègues restés dans leur Jeep. Le groupe s’est alors mis à provoquer et menacer Mlle Zawadi Leviane Musike en lui tournant autour. Mme Zawadi Leviane Musike a pu leur échapper grâce à l’aide de deux civils présents dans le magasin. Les militaires se sont alors renseignés sur son lieu de domicile et s’y sont rendus afin de la trouver. Pendant ce temps, Mme Zawadi Leviane Musike a été conduite dans un lieu sur et a pu prévenir la SOFEPADI. Le groupe qui a intimidé Mme Zawadi Leviane Musike n’a pas encore pu être identifié. Les animatrices de SOFEPADI restent particulièrement vulnérables dans le climat d’impunité qui prévaut au nord Kivu. L’Observatoire rappelle que les membres de SOFEPADI avaient déja été objet des menaces et des actes d’harcèlement en février et mai 2010.

Enfin, le 4 octobre 2010, Mme Clémence Bakatuseka, coordinatrice de l’ONG Great Lakes Human Rights Program (GLHRP), a été victime d’une tentative d’assassinat à Beni, province du Nord Kivu, RDC. Six hommes armés, habillés en tenue militaire, ont fait irruption chez elle et ont tiré deux balles sur la serrure de la porte de sa chambre en lui ordonnant de l’ouvrir et de leur donner l’argent reçu d’une ONG internationale dans le but de financer ses activités d’assistance judiciaire. La victime n’ayant pas obtempéré à cette demande, les agresseurs ont menacé Mme Bakatuseka, tiré une troisième balle et pris la fuite. L’agression s’est déroulée en présence des enfants de Mme Bakatuseka.

Détentions arbitraires

Le 29 septembre 2010, Me Nicole Bondo Muaka, membre de l’ONG des droits de l’homme « Toges Noires », a été arrêtée par les services spéciaux de la police nationale congolaise (DGRSS) à Kinshasa, alors qu’elle attendait le dépannage de sa voiture. Son arrestation serait liée au fait qu’elle aurait filmé l’arrestation brutale par les gardes du corps du Président Joseph Kabila d’un individu accusé d’avoir lancé une pierre sur le cortège du Président. Me Nicole Bondo Muaka a été conduite, avec une amie qui l’accompagnait, au bureau de la DGRSS où elles ont été détenues sans droit de recevoir la visite de membres de leurs familles et de leurs avocats. Après la publication d’un communiqué de presse dans la soirée du 29 septembre par les « Toges noires », Me André Marie Mwila Kayembe, également membre de Toges Noires, s’est rendu le 30 septembre vers 15h30 au lieu de détention de Me Nicole Bondo. Il a alors été lui aussi arrêté par les mêmes services. Son ordinateur portable, sa clé USB et son téléphone lui ont été violemment arrachés. Son avocat, qui est arrivé sur le lieu pour l’assister, n’a pas été autorisé à le rencontrer. Il a été libéré sans inculpation à 17h40 et ses effets personnels lui ont été restitués. Le 6 octobre 2010, Me Nicole Bondo Muaka a été libérée par les autorités congolaises après huit jours de détention. Aucune accusation n’a été retenue contre elle. Bien que fatiguée, Me Nicole Bondo Muaka est en bonne santé et dit ne pas avoir été maltraitée. L’amie qui accompagnait Me Nicole Bondo Muaka le jour de son arrestation, a quant à elle été libéré le 5 octobre 2010.

Législation visant à criminaliser la défense des droits de l’Homme en Tunisie et poursuite des actes d’intimidation et de diffamation à l’encontre des défenseurs tunisiens.

Le 15 juin 2010, le Parlement tunisien a adopté un projet de loi visant à criminaliser directement les activités de sensibilisation menées par les défenseurs des droits de l’Homme tunisiens. Cette loi vise à compléter les dispositions de l’article 61 bis du Code pénal en incriminant les “personnes qui établissent, de manière directe ou indirecte, des contacts avec des agents d’un Etat étranger, d’une institution ou d’une organisation étrangère dans le but de les inciter à porter atteinte aux intérêts vitaux de la Tunisie et à sa sécurité économique”. Cette incrimination prévoit une peine allant de cinq à vingt ans de prison ferme (article 62 du Code pénal relatif à la sécurité intérieure). Cet amendement permet aux autorités de poursuivre et d’emprisonner des défenseurs des droits de l’homme soutenus par des organisations étrangères et multilatérales.

Ces derniers mois, les défenseurs tunisiens ont été victimes d’actes d’intimidation. En mai 2010, les cabinets d‘avocats de Me Abderraouf Ayadi, Me Ayachi Hammami et Me Mohamed Abbou, ainsi que celui de Me Radhia Nasraoui ont fait l’objet d’un encerclement policier pendant plusieurs semaines dans le but de dissuader leurs clients de leur rendre visite. Alors que des voitures, des motos et des policiers en civil étaient en permanence stationnés de façon ostensible devant le cabinet de Me Ayadi, Me Hammami et Me Abbou à Tunis, la police a également procédé à des interrogatoires de plusieurs personnes qui se sont rendues chez lesdits avocats. Ces pratiques, qui ont pour but d’empêcher ces avocats d’exercer leur activité professionnelle en intimidant leur clientèle, les privent de leur source de revenus et s’ajoutent à des pressions exercées sur les propriétaires des locaux afin de les pousser à mettre fin unilatéralement au contrat de bail. De surcroît, le cabinet de Me Radhia Nasraoui avait fait l’objet, dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2010, d’un nouveau cambriolage durant lequel l’unité centrale de son ordinateur a été volée. Cette effraction est intervenue suite à une conversation téléphonique entre Me Radhia Nasraoui et l’un de ses clients au sujet d’un contentieux mettant en cause une personnalité proche du gouvernement tunisien.

Le 18 mai 2010, les journaux Al-Hadath et Ach-Chourouk ont publié des articles virulents et non signés contre Mme Sihem Bensedrine, porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie, M. Khémaïs Chammari, membre honoraire du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) et ancien vice-président de la FIDH, et M. Kamel Jendoubi, Président du REMDH et membre du Conseil exécutif de l’OMCT, les qualifiant de « traîtres », « agents » et « mercenaires » « qu’il convient de juger » (sic) pour avoir « été en contact avec l’Union européenne pour saboter le pays » au motif que ces derniers avaient interpellé le gouvernement pour qu’il respecte ses obligations internationales relatives aux droits de l’Homme.

Entraves au droit à la liberté de réunion pacifique en Algérie

En Algérie, l’espace de liberté – déjà réduit – des défenseurs de droits de l’Homme s’est encore amenuisé. En effet, un grand nombre des ONG de défense des droits de l’Homme n’ont toujours pas réussi à obtenir d’existence légale et ne peuvent poursuivre leurs activités dans de bonnes conditions, et ce faute d’avoir reçu de récépissé des autorités locales.

Le 3 mai 2010, à 11h, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de presse, un rassemblement pacifique a été organisé devant les locaux de la télévision nationale afin de revendiquer le droit à la liberté d’expression en Algérie et de dénoncer la censure. Avant le début du rassemblement, un important dispositif policier a été mis en place pour bloquer tout les accès menant aux bâtiments et empêchant dès lors la tenue de celui-ci.

Quatre des organisateurs, MM. Mustapha Benfodil, Adlane Meddi et Saïd Khatibi, animateurs du groupe « Bezzzef » (« Assez ! »), qui dénonce les atteintes aux libertés en Algérie à travers des actions publiques pacifiques, ainsi que M. Hakim Addad, secrétaire général du Rassemblement action et jeunesse (RAJ) ont été arrêtés par les forces de police pour « attroupement non autorisé » et emmenés au commissariat de police du boulevard des Martyrs à Alger. Durant leur détention, ils ont été soumis à un interrogatoire concernant le rassemblement, afin d’être libérés sans charges à 14h30.

Le 12 mai 2010, les autorités administratives algériennes ont notifié le propriétaire du local de la Maison des syndicats à Alger, occupé de façon régulière par le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP), de la fermeture de ses locaux, notamment pour « trouble de l’ordre public par les occupants du local » et « transformation du local en un lieu de rencontre des jeunes filles et jeunes hommes venus de différentes régions du pays ».

Cette interdiction est intervenue la veille de la tenue du Forum syndical maghrébin, qui devait être organisé par le SNAPAP les 14 et 15 Mai à la Maison des syndicats. Elle a eu pour conséquence de priver les syndicats autonomes et les organisations indépendantes de la société civile de ce local privé qui était utilisé comme un lieu de rencontres et des débats, dans un contexte où les demandes d’autorisation pour organiser des réunions dans des lieux publics sont systématiquement refusées. De surcroit, cette notification d’interdiction, adressée à un propriétaire et non au locataire de la Maison des syndicats, suivie de la mise sous scellé de la salle, prive les syndicalistes de leur droit de recours juridictionnel, contrevenant ainsi Article 14 (5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Tous les mercredis depuis 1998, les familles de disparus se réunissent devant la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’Homme (CNCPPDH) à Alger, lieu de rassemblement habituel des familles pour demander vérité et justice sur le sort de leurs proches disparus dans les années 1990. Ce rassemblement hebdomadaire a subitement été interdit le 4 août 2010, des policiers et des gendarmes, massivement déployés ayant bouclé toutes les voies d’accès. Par la suite, les familles ont tenté de continuer à se réunir toutes les semaines. Mais, le rassemblement a été systématiquement réprimé par les forces de l’ordre. Le 11 août , plusieurs activistes se sont joints aux familles lors de la marche afin d’exprimer leur solidarité. On comptait parmi eux au moins quatre défenseurs des droits humains appartenant à la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), dont son président, Moustafa Bouchachi, ainsi que l’avocat des droits de l’Homme, Me Amine Sidhoum.

Les forces de l’ordre ont empêché quelque 40 proches des personnes disparues et les défenseurs de tenir un rassemblement pacifique devant les bureaux de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCPPDH) à Alger. Aucun motif officiel sur les raisons pour lesquelles elles sont empêchées de tenir leur rassemblement pacifique n’a été communiqué aux familles, les policiers se bornant à déclarer que l’ordre « venait d’en haut ».

Les forces de l’ordre ont eu recours à la violence pour disperser les manifestants en les bousculant et en les frappant au hasard, selon des témoins de l’incident. Les agents de l’État n’ont pas épargné les mères ni même les grand-mères des disparus. Les forces de l’ordre ont également frappé plusieurs défenseurs et avocats des droits de l’Homme qui tentaient d’intervenir pour empêcher les proches des disparus d’être blessés. Fatma Lakhal, épouse d’une victime de disparitions forcées, et Hassan Farhati, membre de l’association SOS-Disparus ont été hospitalisés. Après avoir mis fin à la manifestation, les policiers ont forcé les autres protestataires à monter dans un autobus qui les a éloignés du site du rassemblement. Quatre manifestants, dont deux membres de la LADDH, ont été arrêtés et détenus apparemment dans le but de les intimider et de les dissuader de prendre part à d’autres manifestations de ce genre. Les quatre personnes interpellées ont été remises en liberté plusieurs heures plus tard sans avoir été mises en accusation. A ce jour, les rassemblements continuent à être réprimés.

Détentions arbitraires et harcèlement judicaire à l’encontre des défenseurs au Zimbabwe, Tunisie, en Gambie et Ouganda.

Au Zimbabwe, le 3 juin 2010 M. Farai Maguwu, directeur du Centre de Recherche et Développement (Centre for Research and Development -CRD) a été arrêté et accusé de “communiquer et publier des fausses informations contre l’Etat avec l’intention de nuire à la sécurité ou les intérêts économiques du pays » en contravention de la section 31 de la Loi Pénale. Il est resté en détention préventive jusqu’au 12 juillet 2010, avant d’être libéré sous caution. M. Maguwu a été accusé d’avoir transmis, ce qu’il nie, un rapport du CRD concernant les violations des droits de l’Homme dans la zone minière de Chiadzwa au Processus de Contrôle Kimberley (Kimberley Process Monitor) lors de sa visite en Zimbabwe en mai 2010[1]. Ce rapport inclut des cas d’arrestations et de détentions arbitraires, de torture et d’exécutions extra judiciaires qui auraient été perpétrés par des agents de la police de l’armée et de la sécurité privée, en collusion avec les compagnies minières, légales ou illégales de diamants. Le 21 octobre, M. Maguwu a finalement été acquitté suite au retrait des charges pesant contre lui.

En Tunisie, le 6 juillet 2010, la Cour d’appel de Gafsa a confirmé la peine d’emprisonnement de quatre ans prononcée en première instance à l’encontre de M. Fahem Boukaddous, journaliste correspondant de la télévision satellitaire Al Hiwar Al Tounisi et du site d’information en ligne Al Badil pour “participation à une entente visant à préparer et à commettre des agressions contre des personnes et des biens”. M. Boukaddous, hospitalisé dans la ville de Sousse pour des problèmes respiratoires n’a pu assister à l’audience. Ses avocats avaient d’ailleurs demandé le report de l’audience. Cette décision intervient au terme d’une procédure initiée en 2008, à la suite de laquelle M. Boukaddous avait été condamné par contumace en décembre 2008 à une peine de six ans d’incarcération suite à la publication par le journaliste d’une série d’articles et de reportages visant à mettre en lumière la répression du mouvement social pacifique qui avait animé la région de Gafsa-Redeyef en 2008. Le syndicaliste Hassan Ben Abdallah purge également une peine de prison de quatre ans en raison de son implication dans le mouvement pacifique de protestation sociale du bassin minier de Gafsa.

En Ouganda, le 15 septembre 2010, MM. Mbugua Mureithi, un avocat kenyan représentant les familles des accusés soupçonnés d’avoir été impliqués dans l’attentat terroriste à Kampala le 11 juillet 2010 et Al-Amin Kimathi, coordinateur exécutif du Forum des droits de l’Homme des musulmans kenyans (Kenyan Muslim Human Rights Forum-MHRF) ont été arrêtés lors de leur arrivée à l’aéroport international d’Entebbe par les agents du Gouvernement ougandais. M. Murethi et M. Kimanthi ont été transférés au siège de l’Unité de réaction rapide de la police ougandaise et placés en détention. Ils ont été interrogés par des individus en tenue civile concernant leurs supposés contacts avec les activités d’Al-Shabaab, un groupe islamiste qui revendique la responsabilité de l’attentat terroriste de Kampala. Le 20 septembre 2010, M. Al-Amin Kimathi a notamment été accusé de terrorisme et tentative d’assassinat liés à l’attentat du 11 juillet. Il a été placé en détention préventive dans la prison de haute sécurité de Luzira. Une audience a eu lieu le 22 octobre et sa détention a été prolongée en attendant un procès.

MM. Mureithi et Kimathi venaient assister à l’audience liée à l’attentat du 11 juillet. Le jugement était prévu pour le 16 septembre et M. Mureithi devait représenter les civils transférés depuis leur pays à Ouganda pour leur participation présumée à l’attentat. M. Kimathi et le MHRF sont connus pour leur dénonciation des violations des droits de l’Homme commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Est et la corne de l’Afrique.

En Gambie, le 11 octobre 2010, Mme Touray, directrice exécutive du Comité de pratiques traditionnelles qui affectent la santé de femmes et d’enfants (Committee on traditional practices affecting the health of women and children-GAMCOTRAP) et Mme, Bojang-Sissoho, chargée de programme de la même organisation, ont été arrêtées et placées en détention avant d’être transférés, le jour après, à la prison centrale « Mile Two ». Elles sont restées détenues jusqu’au 20 octobre 2010, quand elles ont été libérées sous caution. Elles sont accusées d’avoir détourné 30 000 EUR des fonds de GAMCOTRAP. En mai 2010, une commission d’enquête crée par le Président de Gambie dans le but d’enquêter sur l’utilisation du montant en question, avait déjà conclu que les accusations contre GAMCOTRAP n’étaient pas fondées

Expulsion et refoulement de défenseurs

En Burundi, dans une lettre adressée le 18 mai 2010 à la chercheuse de Human Rights Watch, Neela Ghoshal, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale l’a informée du retrait de son agrément en tant que représentante de Human Rights Watch au Burundi. Il lui a demandé de cesser immédiatement ses activités et de quitter le pays d’ici le 5 juin 2010. Cette interdiction est intervenue quelques jours seulement avant le début d’une série de scrutins électoraux, y compris les élections présidentielles, dans un contexte où le parti au pouvoir cherchait à faire taire toute critique sur sa gouvernance et les conditions des processus électoraux.

Recommandations :

1) Au regard de la persistance des violations des droits de l’Homme des défenseurs dans les États parties à la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples, l’Observatoire appelle les États à :

· Mettre fin à toute forme de répression menée à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs organisations ;

· Garantir aux défenseurs des droits de l’Homme les droits et libertés reconnus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Déclaration de Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme ;

· Reconnaître le rôle primordial des défenseurs des droits de l’Homme dans la mise en œuvre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies et des autres instruments relatifs aux droits de l’Homme, dont la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ainsi que dans la prévention des conflits, l’avènement de l’État de droit et de la démocratie ;

· Se conformer aux dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, notamment à son article 1 qui prévoit que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international” et à son article 12.2 qui prévoient que “l’État prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration”, du protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ainsi qu’aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme auxquels ils sont parties ;

· Faciliter le mandat du Rapporteur spécial de la CADHP sur les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique, en l’invitant de façon ouverte à se rendre dans leurs pays et en mettant à sa disposition des moyens financiers et humains suffisants en vue du bon accomplissement de son mandat ;

· Faciliter le mandat de la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, notamment en l’invitant de façon ouverte à se rendre dans leurs pays.

2) L’Observatoire appelle en outre le Rapporteur spécial de la CADHP sur la situation des défenseurs en Afrique à :

* Mettre pleinement en œuvre son mandat, notamment par la voie de publication de communiqués de presse, dans un souci de protection des défenseurs des droits de l’Homme et de la société civile indépendante, et de promotion de leurs activités ;
* A rendre public et publier sur le site de la CADHP ses rapports d’activités ;
* A prendre en compte pleinement la contribution de l’Observatoire dans l’étude sur les lois et pratiques relatives à la liberté d’association, prévue par la résolution CADHP/Res.151(XLVI)09 ;
* A dénoncer la situation des défenseurs en Tunisie et en Algérie, au regard du caractère systématique de la répression à leur encontre dans ces deux pays.

3) L’Observatoire appelle également la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples à :

· Reconsidérer sa décision refusant à la Coalition des lesbiennes africaines (CAL) le statut d’observateur ;

· Renforcer les moyens du Rapporteur spécial de la CADHP sur la situation des défenseurs afin de l’aider à poursuivre ses actions de promotion et de protection des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique ;

* Poursuivre et approfondir la collaboration avec la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux de protection des défenseurs des droits de l’Homme ;
* A adopter une résolution sur la situation des défenseurs en RDC, insistant notamment sur la nécessité de faire toute la lumière sur le cas de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana.

[1] Le CRD est membre de la Coalition de la Société Civile du Processus de Contrôle Kimberley, un observateur official de ce mécanisme international. Processus de Contrôle Kimberley est un mécanisme de certification des diamantes rugueux qui a comme but l’éradication du commerce des diamants des conflits, responsables d’alimenter les conflits.

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