48è session de la CADHP - intervention orale

16/11/2010
Communiqué
en fr

Madame la Présidente,

L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment leur vive préoccupation sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme qui continuent de mener leurs activités sur le continent africain dans un contexte hostile, risqué, et de plus en plus souvent au péril de leur vie comme en République démocratique du Congo (RDC).

1 . En RDC, les défenseurs des droits de l’Homme continuent d’exercer leurs activités dans un climat extrêmement dangereux et les actes de répression commis en toute impunité par les forces armées et de sécurité se multiplient.

L’assassinat, le 2 juin 2010, de Floribert Chebeya, président de la Voix des sans Voix, retrouvé mort à l’arrière de son véhicule, a choqué tout le continent africain et au-delà le monde entier. La veille, il s’était rendu en compagnie de son chauffeur, M. Fidèle Bazana Edadi à la convocation de l’inspecteur général de la police. L’assassinat de notre collègue et ami, qui manquait rarement une session de la Commission, a rappelé aux autres défenseurs que leur engagement peut leur coûter la vie. Aujourd’hui, en dépit de l’annonce de l’arrestation d’officiers de police et de la suspension du Général John Numbi Banza Tambo, le 6 juin 2010, aucune information sur l’avancement de l’enquête, si ce n’est l’annonce de l’ouverture prochaine du procès, n’a été rendue publique et M. Fidèle Bazana Edadi demeure porté disparu.

Malheureusement, il ne s’agit pas d’un cas isolé. Le 4 octobre 2010, Mme Clémence Bakatuseka, coordinatrice de l’ONG Great Lakes Human Rights Program (GLHRP), a également été victime d’une tentative d’assassinat chez elle et en présence de ses enfants. Plusieurs défenseurs continuent de subir des actes de répression en raison de leur dénonciation des exactions commises par les forces de l’ordre et leur soutien aux victimes, particulièrement celles de violences sexuelles. A Goma, M. Sylvestre Bwira Kyahi, président de la Société civile de Masisi (nord Kivu) a été kidnappé par des hommes armés vêtus d’uniformes des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). A Beni, province du Nord Kivu, Mme Zawadi Leviane Musike, de l’ONG SOFEPADI, a fait l’objet de menaces et d’actes d’intimidation.

A Kinshasa, le 29 septembre 2010, l’avocate Nicole Bondo Muaka, membre de l’ONG des droits de l’homme « Toges Noires », a été arrêtée et détenue pendant 8 jours par les services spéciaux de la police, qui craignait qu’elle n’ait filmé l’arrestation brutale par les gardes du corps du Président Joseph Kabila d’un individu qui a ensuite trouvé la mort en détention.

2. Tout au long de l’année 2010, sur tout le continent, les défenseurs ont continué à être détenus arbitrairement et soumis à des procès iniques en représailles de leurs activités de documentation des violations des droits de l’Homme

Au Zimbabwe, le 3 juin 2010 M. Farai Maguwu, directeur du Centre de Recherche et Développement a été détenu pendant plus d’un mois suite à la publication d’un rapport sur les violations des droits de l’Homme perpétrés par des agents de la police de l’armée et de la sécurité privée, en collusion avec les compagnies minières, légales ou illégales de diamants dans la zone minière de Chiadzwa. En Tunisie, le 6 juillet 2010, la Cour d’appel de Gafsa a confirmé la peine d’emprisonnement de quatre ans à l’encontre du journaliste Fahem Boukaddous, correspondant de la télévision satellitaire Al Hiwar Al Tounisi et du site d’information en ligne Al Badil suite à la diffusion d’images sur la répression du mouvement pacifique de protestation sociale de la région de Gafsa-Redeyef de 2008. Le syndicaliste Hassan Ben Abdallah purge également une peine de prison de quatre ans pour avoir participé au mouvement. En Ouganda, le 15 septembre 2010, l’avocat kenyan Mbugua Mureithi et le coordinateur exécutif du Forum des droits de l’Homme des musulmans kenyans, Al-Amin Kimathi, ont été arrêtés à l’aéroport international d’Entebbe pour avoir documenté des violations des droits de l’Homme commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. M. Al-Amin Kimathi reste à ce jour en détention préventive dans la prison de haute sécurité de Luzira en attente de son procès. En Gambie, le 11 octobre 2010, Mme Touray, directrice exécutive du Comité de pratiques traditionnelles qui affectent la santé de femmes et d’enfants (GAMCOTRAP) et Mme Bojang-Sissoho, chargée de programme, ont été arrêtées et détenues pendant 9 jours, accusées de détournement de fonds.

3. La liberté d’association, d’expression et de rassemblement a également continué d’être bafouée ou menacée ces derniers mois. En Tunisie, une loi entrée en vigueur le 1er juillet 2010 punit d’une peine allant de 5 à 25 ans de prison tout contact avec un étranger « dans le but de les inciter à nuire aux intérêts vitaux et à la sécurité économique de la Tunisie ». Cet amendement permettra aux autorités de poursuivre et d’emprisonner les défenseurs des droits de l’Homme en contact avec des organisations étrangères et multilatérales, y compris l’Union africaine et la Commission africaine des droits de l’Homme. En Algérie, les autorités tentent de réduire au silence les défenseurs en amenuisant leur capacité d’action. Ainsi, en mai 2010, la Maison des syndicats a été fermée et depuis le mois d’août les rassemblements pacifiques des familles de disparus sont violemment réprimés.

Par ailleurs, l’Observatoire exprime sa plus vive inquiétude concernant la décision de la CADHP de refuser à la Coalition des lesbiennes africaines (Coalition of African Lesbian - CAL) le statut d’observateur. Cette décision, qui constitue une sérieuse atteinte à la promotion et la protection des droits de l’Homme pour tous sur le continent, remet en question la capacité de la Commission à remplir son mandat de protection et de promotion des droits de l’Homme conformément à l’article 45 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples. L’Observatoire appelle par conséquent la CADHP à reconsidérer sa décision dans les plus brefs délais.

Recommandations :

1) Au regard de la persistance des violations des droits de l’Homme des défenseurs dans les États parties à la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples, l’Observatoire appelle les États parties à :
· Mettre fin à toute forme de répression menée à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs organisations et reconnaître le rôle primordial des défenseurs des droits de l’Homme dans la mise en œuvre des instruments relatifs aux droits de l’Homme, dans la prévention des conflits, l’avènement de l’État de droit et de la démocratie ;

· Faciliter le mandat du Rapporteur spécial de la CADHP et de la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme sur les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique, en l’invitant de façon ouverte à se rendre dans leurs pays ;

2) L’Observatoire appelle en outre le Rapporteur spécial de la CADHP sur la situation des défenseurs en Afrique à :

· Mettre pleinement en œuvre son mandat, dans un souci de protection des défenseurs des droits de l’Homme, notamment en multipliant les communications aux États parties sur les cas de défenseurs des droits de l’Homme en danger ; et le cas échéant en prenant publiquement position sur la situation de défenseurs en situation de risques majeurs ;

· Poursuivre et approfondir la collaboration avec la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux et internationaux de protection des défenseurs des droits de l’Homme.

3) L’Observatoire appelle également la CADHP à :

· Reconsidérer sa décision refusant à la Coalition des lesbiennes africaines (CAL) le statut d’observateur ;

· Adopter à cette session une résolution sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme en RDC ;

· Renforcer les moyens financiers et humains du Rapporteur spécial de la CADHP sur la situation des défenseurs afin de l’aider à poursuivre et à renforcer ses actions de promotion et de protection des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique ;

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