Droits des femmes en Afrique : Entretien avec Soyata Maiga, Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP)

10/07/2013
Communiqué
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À l’occasion du 10ème anniversaire de l’adoption du Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples relatif aux droits de la femme en Afrique, Sheila Muwanga Nabachwa, Vice-Présidente de la FIDH, interroge Soyata Maiga, ancienne Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) sur les droits des femmes en Afrique et actuelle Vice-présidente de la CADHP, sur les avancées réalisées depuis l’adoption du Protocole et sur les difficultés persistantes.

Sheila Muwanga Nabachwa : Madame la Commissaire, nous célébrons, le 11 juillet 2013, le 10ème anniversaire du Protocole de Maputo. Quelle analyse faites-vous de ses impacts sur la réalisation des droits des femmes africaines ?

Soyata Maiga : En tant que militante activiste pour la promotion des droits des femmes, j’ai été associée a toutes les phases du processus d’élaboration du projet de Protocole, jusqu’à son adoption en juillet 2003 à Maputo. Au plan des normes, ce texte constitue un modèle et une source inépuisable d’inspiration pour le législateur africain. Mis en œuvre, il sera un instrument d’action en faveur de la transformation durable de nos sociétés, par l’édification des standards et le respect des obligations, par les gouvernants et autres acteurs engagés dans la gouvernance, la démocratie et le développement.

Sheila Muwanga Nabachwa : 36 des 54 États membres de l’Union africaine sont désormais parties au Protocole. Il s’agit là d’une véritable victoire pour toutes celles et ceux qui n’ont eu cesse de se mobiliser dans ce sens. Mais comment parvenir à une ratification continentale ?

Soyata Maiga, Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l'Homme et des Peuples (CADHP)

Soyata Maiga, Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP)

Soyata Maiga : Pour la ratification continentale, il faut renforcer les actions en cours, à tous les niveaux. Le plaidoyer auprès des États qui traînent les pieds, l’information des parlementaires, l’envoi de lettres, les visites dans les pays, l’organisation de campagnes ouvertes par les ONG féminines. Au niveau de l’Union africaine, il faut inscrire constamment à l’ordre du jour des Sommets un point sur l’état des ratifications du Protocole, en rappelant les engagements des Chefs d’état et de Gouvernement pris dans la Déclaration Solennelle sur l’égalité entre les hommes et les femmes adoptée en juillet 2004.

Sheila Muwanga Nabachwa : Malgré ce nombre accru de ratifications du Protocole et la multiplication d’initiatives en faveur de la dissémination de ses dispositions, de nombreuses femmes continuent d’être sujettes à diverses formes de discriminations et de violences. Quels en sont selon vous les principaux facteurs ?

Soyata Maiga  : Les principaux facteurs ? Ils sont nombreux. Pauvreté des femmes, analphabétisme, méconnaissance par les femmes de leurs droits, persistance des pesanteurs socio-culturelles et religieuses qui légitiment et tolèrent, partout, certaines formes quotidiennes de violence, la discrimination et la marginalisation de la femme et de la jeune fille dans la famille et la communauté ainsi que dans la sphère publique. En plus, il faut relever le non respect des lois nationales par les agents de l’état, la corruption au service de l’impunité, les dysfonctionnements du service public de la Justice, l’inexistence et/ou l’inefficience de l’assistance juridique et judiciaire, autant de maux qui maintiennent les femmes, en particulier les femmes issues des milieux pauvres, dans le cercle vicieux de la violence et de la précarité.

Sheila Muwanga Nabachwa : Les viols et autres formes de violences sexuelles constituent un véritable fléau qui continue d’affecter des milliers de femmes, en particulier dans les situations de conflits et de crises. Les articles 11 et 8 du Protocole sont pourtant clairs : dans les situations de conflits, les États doivent protéger les femmes des crimes sexuels et s’assurer que leurs auteurs soient traduits en justice, les États s’engagent par ailleurs à garantir l’accès des femmes à la justice. Le Conseil de Sécurité des Nations unies vient d’affirmer, en adoptant la résolution 2106, la nécessité de renforcer les efforts visant à mettre fin à l’impunité de ce fléau. Or, de nombreuses femmes continuent encore aujourd’hui de réclamer justice pour ces crimes, notamment en République démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire, au Mali ou encore en Guinée-Conakry. Comment parvenir à la mise en œuvre effective des articles 11 et 8 ?

IMG (picture: Erhan Arik)

Sheila Muwanga Nabachwa, vice-présidente de la FIDH

Soyata Maiga : Les états en conflit et ceux qui sortent de conflit sont ceux où les femmes continuent d’être victimes de toutes sortes de violations de leurs droits, politiques, économiques , au plan social et même culturel. Les viols et autres traitements cruels et dégradants sont légion et à l’heure des bilans, des programmes de reconstruction et de réconciliation, tous les acteurs se détournent de la situation des crimes et délits subis par les femmes en mettant en place des réformettes insuffisantes et inadaptées.

Il faut la constitution de commissions internationales d’enquêtes indépendantes qui fassent rapport, à l’effet d’identifier les auteurs étatiques et non étatiques, l’ensemble des victimes, de développer des synergies avec les ONG locales et nationales, etc, et de faire des recommandations pertinentes sur les mesures énergiques et urgentes à prendre pour une protection efficace des droits des victimes.

Les institutions internationales et les PTF devraient appuyer la mise en place de pool d’avocats à travers des petits fonds d’assistance juridique pour favoriser la constitution de dossiers et la saisine des tribunaux nationaux par les victimes, la saisine aussi des instances régionales et internationales. Il ne faut pas oublier, qu’au plan national, il y a certaines catégories d’auteurs difficiles à poursuivre (militaires, milices, rebelles, etc). Il est impératif également que des fonds d’indemnisation et de réparation au profit des victimes soient une partie intégrante des programmes de reconstruction et de réhabilitation et que des ressources budgétaires spécifiques y soient consacrées.

Sheila Muwanga Nabachwa : Les femmes ont joué un rôle massif dans les mouvements de révolution en Afrique du Nord. En Tunisie, en Libye, en Égypte, elles sont descendues en grand nombre dans les rues pour réclamer le droit à la démocratie, à la justice sociale et exiger leur droit à la dignité. Aujourd’hui, elles sont confrontées à des tentatives d’exclusion de la vie publique, à des discriminations et violences de la part de groupes extrémistes, ou des forces de sécurité, le plus souvent en toute impunité. Quelles mesures doivent selon vous être prises pour que les femmes d’Afrique du Nord récoltent enfin les fruits de leur mobilisation ?

Soyata Maiga : Les femmes de l’Afrique du Nord devraient s’appuyer sur des mouvements plus vaste des femmes africaines et du sud pour que la place des femmes dans les situations post-révolution soit inscrite dans l’agenda politique des transitions. Tous les intervenants extérieurs qui appuient les transitions devraient être interpellés, mais les femmes sont condamnées à se battre pour la reconnaissance de la place qui leur revient, en premier ligne.

Sheila Muwanga Nabachwa : Quels sont selon vous, pour les 10 années à venir, les principaux défis de la pleine réalisation des droits des femmes en Afrique ?

Soyata Maiga : Les textes de loi mettent du temps en Afrique à "imprégner" la société. Les 10 prochaines années devraient être celles de l’implémentation effective du Protocole de Maputo, dans toutes ses dimensions ; politique avec la parité homme/femme ; économique avec des programmes d’envergure en faveur de l’accès des femmes aux ressources productives et à la terre ; social et culturel, avec l’intensification des programmes de scolarisation et d’alphabétisation des filles, ainsi que des campagnes ouvertes de sensibilisation des leaders communautaires et religieux sur les droits des femmes. Les acteurs étatiques et autres seront rendus comptables du respect de leurs obligations vis à vis des femmes.

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