Lettre ouverte aux chefs d’État et de Gouvernement des Etats Membres de l’Union Européenne.

18/06/2003
Communiqué

En 1999, le Conseil Européen, réuni à Tampere prévoyait la mise en place progressive d’un
« espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances
recherchent légitimement une protection dans la Communauté. ». Pourtant, quatre ans plus tard, de
nombreuses réserves peuvent être émises sur une harmonisation qui semble se faire au profit du moins
faisant, dans un esprit de fermeture des frontières.

Ainsi, doit-on regretter que le règlement Dublin II ait confirmé l’impossibilité, pour un
demandeur d’asile, de choisir son pays d’accueil au sein de l’Union européenne. Par ailleurs, si les
projets de textes présentés par la Commission ont pu susciter un espoir, force est de constater que les
négociations successives au Conseil en érodent largement la substance, et, le plus souvent,
maintiennent une grande marge de manœuvre aux législateurs nationaux. En témoignent les
nombreuses dérogations envisagées dans la directive "relative à des normes minimales pour l’accueil
des demandeurs d’asile" alors que la Commission avait prévu que ces normes, pour être minimales,
n’en seraient pas moins contraignantes.
A l’aube d’un nouvel élargissement, il est crucial que l’Union Européenne se dote d’une
politique d’asile et d’immigration conforme à ses valeurs de protection internationale et de respect des
droits fondamentaux et que la communautarisation décidée par le traité d’Amsterdam aille dans le sens
du progrès et non du statu quo et de l’isolationnisme.
Dans la perspective du Sommet de Thessalonique, l’Association Européenne pour la Défense
des Droits de l’Homme (FIDH-AE) et la FIDH sont particulièrement préoccupées par plusieurs des
projets qui vont y être débattus :
1) Le projet d’externalisation des demandes d’asile
La FIDH et la FIDH-AE se félicitent du retrait, par le gouvernement britannique, de son projet
de « centres de traitement de transit » situé aux frontières de l’UE. Néanmoins, au vue de l’évolution
indéterminée de ce projet et de la Communication de la Commission du 3 juin 2003, il semble
opportun d’insister sur les risques liés à la volonté « d’externaliser » le traitement des demandes
d’asile, notamment par le recours accru aux « zones de protection régionales ».
L’expérience a montré que la garantie d’une protection suffisante et durable est loin d’être ainsi
assurée. En outre, ce processus de « délocalisation » fera reposer sur les pays cibles la fonction de
garde-frontières de la « forteresse Europe », alors qu’ils supportent déjà l’essentiel de la charge des
réfugiés du monde, l’Union Européenne n’en accueillant quant à elle que 5%. Si l’Union Européenne
entend marquer sa place dans le monde, elle se doit, au premier chef, de respecter ses engagements
internationaux et ses obligations vis à vis du respect des droits fondamentaux et de la solidarité
internationale.
Par ailleurs, alors que les Etats Membres rechignent à finaliser certaines directives, il serait
anormal que le débat sur l’externalisation des procédures d’asile prenne le pas sur le calendrier
législatif de l’UE en matière d’asile. L’urgence n’est pas telle que des décisions "opérationnelles"
remettant gravement en cause les fondements de la convention de Genève puissent être prises hors du
débat démocratique.
2) Garanties Procédurales en matière d’asile.
La proposition de directive (2002/326) relative aux normes minimales concernant la procédure
d’octroi et de retrait du statut de réfugié devait permettre d’harmoniser les procédures en matière
d’asile en intégrant de nouvelles garanties. De manière générale, par soucis de simplification, le texte
préconise que toutes les demandes d’asile soient traitées soit dans le cadre d’une procédure
« normale » soit dans le cadre d’une procédure « accélérée ». Au regard des critères permettant la mise
en œuvre de cette dernière, il apparaît que la procédure accélérée pourrait dorénavant s’appliquer à
80% des demandes d’asile, au mépris d’une réelle évaluation individuelle de chaque dossier et cela
sans garantie sur l’effet suspensif des recours et les délais pour les exercer puisque ces mesures sont
laissées à la libre appréciation des États membres. On constate également que le droit, essentiel dans le
cadre d’une procédure d’asile, à être assisté d’un interprète est remis en cause, la communication des
informations devant se faire, désormais dans une « langue qu’il est raisonnable de supposer qu’il la
comprend » sans aucune garantie que ce sera le cas. De toute évidence, la multiplication de
dispositions restrictives, en violation des droits fondamentaux, limitent considérablement les chances
du demandeur d’asile de voir sa demande aboutir.
Par ailleurs, la FIDH-AE et la FIDH regrettent l’absence totale de garanties en matière de
détention des demandeurs d’asile ce qui ne fera que conforter une pratique contraire à l’article 5 de la
Convention européenne de droits de l’homme déjà observée dans plusieurs États membres.
Le souci d’une procédure rapide et efficace ne peut justifier une érosion des garanties
procédurales nécessaires à une application intégrale et globale de la Convention de Genève et des
principes directeurs recommandés par le Haut Commissariat aux Réfugiés en la matière.
3) Octroi et Retrait du statut de réfugié ou de protection subsidiaire
Cette proposition de directive (2001/510) projette de fixer, au sein d’un même texte, les
conditions d’octroi et le contenu du statut de réfugié et de personne pouvant bénéficier d’une protection
subsidiaire. Cela constitue en soi une avancée intéressante, d’autant que le texte propose une définition
extensive des agents de persécutions, incluant les agents non-étatiques, et de la notion de groupe
social. Pourtant, les négociations successives au Conseil ont progressivement abouti à une remise en
cause en profondeur de l’esprit de cette directive, multipliant les concessions aux différentes
délégations. Celles-ci concernent notamment les motifs d’exclusion et de cessation de la protection
pour lesquels un pouvoir d’interprétation discrétionnaire est laissé aux autorités nationales, notamment
eu égard à la définition de la notion « d’atteinte à l’ordre public ».
La FIDH et la FIDH-AE craignent que la protection subsidiaire, telle qu’elle est formalisée dans
la proposition de directive, n’aboutisse à généraliser ce statut de moindre protection au détriment des
garanties accordées dans le cadre de la Convention de Genève. Elles dénoncent la différence de
traitement établie entre les réfugiés et les individus bénéficiant de la protection subsidiaire : l’accès au
marché du travail, aux dispositifs d’intégration, ou la durée du permis de séjour devraient être
identiques dans l’un et l’autre cas.
En conclusion, l’Association Européenne pour la Défense des Droits de l’Homme (FIDHAE)
et la FIDH espèrent que vous tiendrez compte de leurs inquiétudes et ferez en sorte que le
Sommet de Thessalonique ne consacre pas une approche restrictive et dangereuse de la politique
d’asile et d’immigration. L’UE doit respecter le calendrier de Séville en évitant que la tentation
isolationniste ne prenne le pas sur la nécessaire promotion d’une politique juste et équitable
d’accueil des personnes qui, poussées par les circonstances, recherchent légitimement une
protection.

Lire la suite