Stratégie UE-Afrique - Soutenir les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique subsaharienne

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, publient cette note en perspective du Sommet UE-Afrique, qui se tiendra les 8 et 9 décembre prochain à Lisbonne.

A l’approche de cet événement majeur, qui survient sept ans après le premier sommet organisé au Caire, l’Observatoire tient en effet à faire part de ses préoccupations quant au respect et à la promotion des droits de l’Homme sur le continent africain et, plus particulièrement, attirer l’attention des participants sur la situation alarmante des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique subsaharienne.

L’Observatoire ne peut qu’insister sur le rôle décisif joué en Afrique par les défenseurs dans un contexte on ne peut moins propice à la lutte en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie. Durant les sept dernières années, les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique subsaharienne ont, en effet, continué à mener leurs activités dans un climat particulièrement hostile et risqué. Si certaines avancées positives ont pu être signalées, la situation des défenseurs demeure en revanche extrêmement préoccupante dans les pays traversés par des conflits armés (République centrafricaine (RCA), Somalie, Soudan, Tchad) ou en situation de post-conflit, de transition et de crises politiques (Angola, Burundi, Ethiopie, République démocratique du Congo (RDC), Zimbabwe).

Les pratiques répressives visant à entraver et sanctionner leurs activités se sont par ailleurs poursuivies, voire intensifiées, tout au long de cette période. Ainsi, de nouvelles restrictions législatives aux libertés d’association, d’expression et de rassemblement pacifique ont-elles été adoptées (Éthiopie, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Soudan, Zimbabwe), tandis qu’un nombre croissant de défenseurs ont fait l’objet de poursuites judiciaires, d’arrestations et de détentions arbitraires (Angola, Burundi, Cameroun, Congo-Brazzaville, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, RDC, Somalie, Soudan, Tchad et Zimbabwe). Non seulement de nombreux cas de violences directes - attaques, traitements inhumains, cruels et dégradants - ont-ils pu être recensés (Burundi, Cameroun, Éthiopie, RDC, Zimbabwe), mais un grand nombre de défenseurs africains ont également dû faire face à des menaces de mort, des actes de harcèlement et des campagnes de diffamation de façon récurrente (Burundi, Côte d’Ivoire, Gambie, Liberia, RCA, RDC, Sénégal, Zimbabwe).

L’Observatoire souhaite ici rappeler, de manière non-exhaustive1 mais non moins détaillée, les menaces auxquelles les défenseurs des droits de l’Homme doivent encore faire face dans les différents Etats de l’Afrique subsaharienne en situation de conflits armés, d’une part, et de post-conflit ou de transition politique, d’autre part. Ces atteintes concernent aussi bien la liberté d’association des défenseurs que leurs libertés d’expression et de réunion et compromettent de façon intolérable leur travail en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie. De plus, les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas non plus épargnés par cette véritable "stratégie de musellement".

Les défenseurs en situation de conflit, de post-conflit ou de crise politique

Depuis l’année 2000, l’Afrique subsaharienne a connu une recrudescence des conflits armés, en particulier dans sa partie orientale, et de nouvelles difficultés sont apparues en raison des tensions liées à la tenue de nombreuses élections sur l’ensemble du continent. Dans un tel contexte, les défenseurs des droits de l’Homme ont fait l’objet d’une véritable instrumentalisation et se sont vus accusés par les différents acteurs politiques et/ou parties aux conflits de soutenir les rebelles, l’opposition politique ou les autorités en place.

Les défenseurs des droits de l’Homme en situation de conflit armé

Dans les contextes de conflits armés, notamment en Afrique centrale et orientale, les défenseurs des droits de l’Homme, exposés, à l’instar des populations civiles, à de graves problèmes d’insécurité, se voient régulièrement tour à tour accusés par les différents acteurs politiques et/ou parties aux conflits de soutenir les rebelles, l’opposition politique ou les autorités en place. Cette situation multiplie de façon inquiétante les risques auxquels ils sont confrontés.

Au Soudan, la situation des défenseurs des droits de l’Homme est devenue particulièrement préoccupante dans la mesure où, en dépit de la signature de l’Accord de paix d’Abuja le 5 mai 2006, les défenseurs des droits de l’Homme opérant dans la région du Darfour continuent de travailler dans un contexte d’insécurité permanent. Ils restent ainsi victimes d’actes de violence et d’attaques menées par les milices "arabes" (janjaweed), par les diverses factions rebelles ou par les forces d’un gouvernement qui ne tolère aucune dénonciation des graves violations des droits de l’Homme commises contre les populations civiles.
Les ONG locales ont été particulièrement visées, à l’instar du Centre Amel pour le traitement et la réhabilitation des victimes de torture et de l’Organisation soudanaise pour le développement social (SUDO), dont de nombreux membres ont fait l’objet, en 2006, d’arrestations, de détentions et de poursuites judiciaires arbitraires.
La nouvelle "Loi sur l’organisation du travail humanitaire bénévole" adoptée en février 2006 qui prévoit notamment un contrôle et une ingérence accrus des autorités dans les activités des ONG locales ou internationales travaillant dans le domaine des droits de l’Homme ou de l’action humanitaire constitue par ailleurs un obstacle supplémentaire aux associations locales et internationales opérant au Darfour.

D’autre part, l’extension du conflit du Darfour aux pays voisins, notamment au Tchad et en République centrafricaine (RCA), où des mouvements rebelles sont soupçonnés d’être soutenus par le Soudan, a rendu la mission des défenseurs des droits de l’Homme particulièrement suspecte aux yeux des autorités de ces deux pays, qui les accusent de soutenir la rébellion.

Au Tchad, les défenseurs, assimilés aux rebelles et à l’opposition politique, ont ainsi été en première ligne de la répression. En avril 2006, la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) a été accusée d’être une "organisation de traîtres et de mercenaires" pour avoir simplement entretenu des contacts avec Radio France Internationale (RFI) et l’Agence France Presse (AFP). Les membres et dirigeants de la Ligue avaient de plus été menacés d’"être tués un par un après les élections [présidentielles] du 3 mai 2006".

En RCA, les défenseurs des droits de l’Homme qui ont dénoncé les violations du droit international humanitaire par les belligérants dans le nord-est du pays, notamment l’armée, ont souvent été la cible de campagnes de discrédit au plus haut niveau de l’État. Ainsi, les défenseurs ont-ils été qualifiés à plusieurs reprises de "protecteurs de criminels" par le Président de la République, M. François Bozizé. Par ailleurs, les femmes qui luttent contre l’impunité des crimes sexuels ont été l’objet de graves menaces telles les membres de l’Organisation pour la compassion et le développement des familles en détresse (OCODEFAD).

Les défenseurs des droits de l’Homme en situation de post-conflit, de transition et de crise politiques

En Éthiopie, les défenseurs des droits de l’Homme continuent de subir les conséquences des vagues de répression ayant suivi la contestation des élections législatives de mai 2005. Ainsi, plusieurs d’entre eux restent détenus depuis presque deux ans, à l’instar de MM. Daniel Bekele, responsable du programme d’ActionAid en Éthiopie, et Netsanet Demissie, fondateur de l’Organisation pour la justice sociale en Éthiopie (OSJE). Ils sont accusés d’"outrage à la Constitution", dans le cadre d’un procès qui a impliqué une centaine de membres de l’opposition et de journalistes.

En RDC, les difficultés liées à la fin de la transition politique et à la période électorale en 2006 ont entraîné une forte recrudescence de l’insécurité pour l’ensemble des défenseurs à travers le pays. Les défenseurs se sont en effet trouvés pris entre deux feux, tour à tour accusés de soutenir l’opposition menée par M. Bemba lorsqu’ils dénonçaient les violations commises par le gouvernement, ou au contraire de faire campagne pour M. Kabila s’ils soulevaient la question de l’impunité de M. Bemba.
Par ailleurs, les journalistes qui osent dénoncer les violations des droits de l’Homme et notamment les atteintes à la liberté d’expression sont l’objet de graves menaces, à l’instar des membres de l’organisation Journalistes en danger (JED).
Il est également à noter que les défenseurs qui collaborent aux enquêtes en cours devant la Cour pénale internationale (CPI) continuent de faire l’objet de campagnes de discrédit et de menaces, à l’image de l’association Justice Plus, intervenant dans l’affaire Lubanga Dyilo2.

Entraves aux libertés d’association, d’expression et de réunion

L’ensemble du continent africain reste marqué par des atteintes graves et répétées à l’encontre des libertés d’expression, d’association et de réunion. En effet, certains pays ont posé de nouvelles restrictions, législatives ou statutaires, au libre exercice de ces libertés. Dans de nombreux pays, les défenseurs continuent en particulier d’être systématiquement soumis à des menaces et des campagnes de diffamation à l’occasion de la publication de rapports ou d’interventions publiques dénonçant les violations des droits de l’Homme.

A Djibouti, le 11 avril 2007, M. Jean-Paul Noël Abdi, président de la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH), a été condamné par la Cour d’appel de Djibouti à un an de prison dont 11 mois avec sursis et 200 000 francs djiboutiens d’amende. M. Abdi avait été condamné le 18 mars 2007 par le Tribunal correctionnel de Djibouti pour "divulgation de fausses nouvelles" et "diffamation" à six mois d’emprisonnement pour avoir violé les dispositions des articles 425 du Code pénal et 79 de la Loi sur la communication. Etait en cause la publication par le président de la LDDH d’une note d’information dans laquelle il faisait état de la découverte d’un charnier dans le village du Day (district de Tadjourah) comprenant les corps de sept civils qui auraient été tués par les forces gouvernementales en janvier 1994 ainsi que du viol en février 2007 dans ce même village d’une jeune fille par un sergent de la garde républicaine.

Au Rwanda, le 18 août 2007, la juridiction gacaca d’appel de Biryogo a confirmé la condamnation de M. François-Xavier Byuma, ancien vice-président de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (LIPRODHOR), à 19 ans de prison pour "participation à un entraînement à la manipulation d’arme à feu" et "participation aux attaques alors qu’il était autorité administrative" lors de la guerre du Rwanda. M. Byuma est également coordinateur du Réseau des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique centrale (REDHAC) et président de Turenger Abana, l’Association rwandaise pour la protection et la promotion de l’enfant, une ONG basée a Kigali qui lutte notamment contre les violences sexuelles et le travail forcé des enfants.

En Zambie, le 17 juillet 2007, le ministre de la Justice, M. George Kunda, a présenté au parlement un projet de Loi sur les organisations non gouvernementales, déclarant que ce projet représentait une tentative pour "améliorer la transparence et la responsabilité au sein de la société civile". Le 20 juillet 2007, le parlement zambien a débattu de cette Loi, qui semble avoir pour but réel de réguler les activités des organisations membres de la société civile et d’étouffer toute voix critique à l’encontre du gouvernement. Le projet de loi prévoit notamment "l’enregistrement et la coordination des ONG [dont les organisations internationales qui ont un bureau en Zambie] afin de réguler le travail et le champ d’action des ONG opérant en Zambie". S’il était adopté, ce projet conférerait également au ministre de l’Intérieur le pouvoir de mettre en place un conseil composé de dix membres, devant inclure deux membres de la société civile et des représentants du gouvernement, qui "recevrait, discuterait et approuverait le code de conduite [des ONG] et […] énoncerait des lignes directrices aux ONG fin d’harmoniser leurs activités en vue du plan de développement national de la Zambie". Le projet de loi prévoit également que les ONG doivent s’enregistrer tous les ans, et autorise le gouvernement à suspendre les activités de toute ONG qui ne serait pas en mesure de soumettre des rapports d’activités trimestriels ou annuels, ou qui serait reconnue coupable de mauvaise utilisation de fonds reçus de leurs donateurs.

Au Zimbabwe, les défenseurs, qui doivent faire face à un arsenal juridique de plus en plus répressif notamment en matière de libertés d’expression et de rassemblement pacifique, font par ailleurs l’objet d’une rare violence. Plus généralement, la situation des défenseurs ne cesse de se détériorer, notamment depuis mars 2007, point de départ d’une vague de répression visant toute voix dissidente, ce dans un contexte de préparation des élections présidentielles en 2008. Plusieurs membres d’organisations de défense des droits de l’Homme, telles ZimRights, Zimbabwe Lawyers for Human Rights (ZLHR) ou encore Law Society of Zimbabwe (LSZ) ont ainsi fait l’objet de détentions arbitraires et de menaces de mort.

Répression à l’encontre des défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels

Dans de nombreux pays, les défenseurs des droits de l’Homme dénonçant la corruption, la mauvaise gestion ou l’exploitation abusive des ressources naturelles continuent d’être victimes de représailles de la part des autorités. De même, les activités syndicales restent étroitement surveillées, et de nombreux syndicalistes ont fait l’objet d’attaques ou d’arrestations et de détentions arbitraires alors qu’ils défendaient leur droit à s’organiser collectivement. Enfin, dans un certain nombre de pays, les revendications économiques et sociales des populations restent considérées comme des activités politiques d’opposition, entraînant une répression systématique.

En Angola, Melle Sarah Wykes, citoyenne britannique et responsable de programme à Global Witness, une organisation qui travaille sur les liens entre l’exploitation des ressources naturelles, les conflits et les droits de l’Homme, a été arrêtée le 18 février 2007 à Cabinda, avant d’être libérée sous caution le 21 février. Le 15 mars 2007, Melle Wykes a finalement été autorisée à rentrer en Grande-Bretagne, à condition qu’elle retourne en Angola lorsque la justice l’exigerait. Melle Wykes a été accusée, oralement, de "crimes contre la sécurité nationale".

Au Congo-Brazzaville, M. Christian Mounzéo, président de l’ONG Rencontre pour la paix et les droits de l’Homme (RPDH) et M. Brice Makosso, secrétaire permanent de la Commission épiscopale "Justice et Paix", et tous deux coordinateurs de la coalition "Publiez ce que vous payez", n’ont de cesse de faire l’objet d’actes de harcèlement. Ils ont ainsi été condamnés, le 28 décembre 2006, à un an de prison avec sursis, en lien avec leur engagement dans la campagne "Publiez ce que vous payez", qui vise notamment à obtenir la publication des livres de compte des compagnies pétrolières. Par ailleurs, le 12 février 2007, MM. Mounzéo et Makosso ont une nouvelle fois été empêchés de sortir du pays, afin de se rendre en France pour prendre part au Sommet citoyen France-Afrique, organisé du 11 au 13 février 2007 à Paris. Ils devaient tous deux intervenir en séance plénière, respectivement sur les droits économiques et sociaux en Afrique et sur les flux financiers et le développement.

En Côte d’Ivoire, le 21 mai 2007, le siège de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO), à Abidjan, a été saccagé par environ 300 membres de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). Les assaillants ont également tenu un meeting devant le siège de la Ligue en insultant ses membres de "traîtres" et "ennemis du pouvoir". Le motif invoqué par la FESCI, qui a interdit toute réunion de la Coordination nationale des enseignants et chercheurs (CNEC) dans les universités ivoiriennes, est que la LIDHO a prêté son siège à des membres de la CNEC en grève depuis le 13 avril 2007, pour donner une conférence de presse le 18 mai. Cette réunion a été perçue comme un acte de défiance à l’égard de la FESCI. Toutefois, ce motif ne serait visiblement qu’un prétexte, la LIDHO dénonçant de façon récurrente les nombreuses exactions et actes de harcèlement perpétrés par la FESCI sur le campus de l’université d’Abidjan depuis plusieurs années.

En Guinée-Conakry, le 22 janvier 2007, de nombreux membres de la garde rapprochée du Président de la République, les Bérets rouges, conduits par le fils du Président de la République, M. Ousmane Conté, se sont rendus à la Bourse du travail où étaient réunis de nombreux syndicalistes et membres d’organisations de la société civile depuis le début de la grève générale menée depuis le 10 janvier 2007, dans l’ensemble du pays. A leur arrivée, les Bérets rouges ont saccagé l’ensemble des bureaux et des ordinateurs et ont passé à tabac de nombreux syndicalistes à coups de crosse. Une vingtaine de dirigeants syndicaux ont également été frappés, puis arrêtés et conduits dans les locaux de la Compagnie mobile d’intervention et de sécurité (CMIS). Ils n’ont été libérés que tard dans la nuit du 22 au 23 janvier 2007.

Au Niger, le ministre de l’Intérieur, M. Mounkaïla Mody, a signifié par lettre aux organisateurs du Forum social nigérien (FSN) l’interdiction de l’événement, quelques jours avant l’ouverture du Forum en octobre 2006. Ce dernier a finalement été autorisé, et a pu se dérouler à Niamey début novembre 2006, sous haute surveillance toutefois.

En RDC, les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels dénonçant l’exploitation abusive des ressources naturelles du pays font eux-aussi systématiquement l’objet de menaces et de représailles. A titre d’exemple, M. Jean-Claude Katende, président de la section katangaise de l’Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO/Katanga), et M. Jean-Pierre Mutemba, secrétaire général de la Nouvelle dynamique syndicale (NDS), ont tous deux été menacés de mort en avril 2006, après avoir dénoncé la mauvaise gestion des ressources naturelles par les autorités congolaises.

Au Soudan, le 20 juillet 2007, M. Osman Ibrahim, porte-parole du Comité contre la construction du barrage de Kajbar (CABKD), une association qui lutte en faveur des communautés risquant d’être affectées par le barrage, a été arrêté par des policiers alors qu’il se trouvait chez lui, dans le village de Farraig, dans la municipalité de Halfa (au nord du Soudan). Aucun mandat d’arrêt ne lui a été présenté et nul ne l’a informé de l’endroit où on le conduisait. L’arrestation de M. Ibrahim a fait suite aux événements du 13 juin 2007, lorsque les forces de sécurité ont tué et blessé plusieurs civils dans le village de Farraig après avoir tiré sur eux au cours d’une manifestation pacifique protestant contre la construction du barrage de Kajbar. Après avoir été détenu à la prison de Dabak, au nord de Khartoum, M. Ibrahim a finalement été libéré le 19 août 2007.

Au Zimbabwe, les membres du Syndicat des enseignants progressistes du Zimbabwe (PTUZ) font régulièrement l’objet d’actes d’intimidation. Les autorités continuent également de réprimer sévèrement les divers mouvements protestant contre la détérioration de la situation économique du pays et la cherté de la vie. Plusieurs centaines de membres de l’organisation Renaissance des femmes du Zimbabwe (WOZA) ont ainsi été arrêtées et poursuivies en 2006 et 2007. En outre, plusieurs dirigeants de la Confédération des syndicats zimbabwéens (ZCTU) ont été arrêtés et violemment battus par les forces de police en septembre 2006, lors de manifestations dénonçant la détérioration du niveau de vie et réclamant un meilleur accès aux anti-rétroviraux nécessaires aux malades du VIH/SIDA.

Mobilisation internationale et régionale pour la protection des défenseurs

Certaines actions et prises de position ont récemment illustré la volonté, encore limitée, des dirigeants africains et européens de renforcer les garanties permettant aux défenseurs des droits de l’Homme de poursuivre leurs actions sur le continent africain dans un contexte de plus en plus hostile.

Dans ses rapports aux 40ème et 41ème session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), Mme Reine Alapini-Gansou, rapporteure spéciale sur les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique, a ainsi indiqué qu’elle avait adressé des communications à plusieurs États, dénonçant des cas de répression des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique subsaharienne.

En outre, lors de la 6ème session ordinaire du Sommet des chefs d’État de l’Union africaine (UA), en janvier 2006, les chefs d’État africains ont adopté une décision autorisant "la publication du 19ème rapport d’activité [adopté lors de la 38e session] de la CADHP et de ses annexes, à l’exception de celles contenant les résolutions sur l’Érythrée, l’Éthiopie, le Soudan, l’Ouganda et le Zimbabwe"3. Ces dernières résolutions condamnaient fermement les graves violations des droits de l’Homme ainsi que les atteintes aux droits des défenseurs dans ces pays. Cette décision, qui soumet les résolutions et recommandations de la CADHP à l’approbation des chefs d’État africains, remet gravement en cause les pouvoirs et l’indépendance de cette institution et témoigne d’une véritable volonté de mettre au pas une commission qui, au cours de ces dernières années, s’est pourtant affirmée et a gagné en efficacité.
De plus, lors de sa 9ème session, en juin 2006, le Conseil exécutif de l’UA a décidé d’entériner le rapport d’activité de la CADHP adopté à l’issue de la 39ème session de la CADHP, à l’exception de sa résolution sur le Zimbabwe, réitérant ainsi les atteintes à l’indépendance de la Commission et mettant en cause sa capacité à réagir rapidement aux situations urgentes de graves violations des droits de l’Homme.
Toutefois, cette dernière continue de manifester son indépendance en adoptant des résolutions, tel qu’a l’a fait lors de la 41ème session en mai 2007.
Il est enfin à rappeler que les critères d’octroi du statut d’observateur auprès de l’UA restent très restrictifs en excluant implicitement les ONG internationales et en limitant l’accréditation des ONG nationales indépendantes.

Au niveau européen, l’Union européenne (UE) a multiplié les déclarations à l’encontre des régimes africains responsables d’atteintes aux libertés des défenseurs des droits de l’Homme. Par exemple, faisant suite à la campagne de répression menée en septembre 2006 par le gouvernement zimbabwéen contre le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU), l’Union s’est dite "profondément préoccupée par la récente violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales" dans le pays. Elle a de plus invité "instamment le gouvernement du Zimbabwe à cesser ses intimidations et ses actes de violence et à respecter les droits de l’Homme et les libertés fondamentales de ses citoyens".
De la même manière, rappelant que "111 dirigeants de partis d’opposition, journalistes et défenseurs des droits de l’Homme sont toujours détenus et attendent d’être jugés", le Parlement européen a demandé au gouvernement éthiopien de "libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers politiques, qu’il s’agisse de journalistes, d’activistes syndicaux, de défenseurs des droits de l’Homme ou de citoyens ordinaires", et de respecter les instruments internationaux et régionaux en matière de droits de l’Homme, "notamment le droit aux rassemblements pacifiques, la liberté d’opinion et l’indépendance du système judiciaire".

Cependant, la nécessaire protection des défenseurs des droits de l’Homme opérant sur le continent africain ne saurait se contenter de résolutions qui compromettent l’indépendance des organes les plus à même d’assurer une telle protection, ni de déclarations politiques dépourvues d’un quelconque suivi. Le travail mené par les défenseurs en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie en Afrique s’effectue dans un contexte tel que l’Union africaine et l’Union européenne ont l’obligation de mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer la libre poursuite par les défenseurs de leurs objectifs.

C’est pourquoi l’Observatoire appelle l’Union africaine et l’Union européenne à profiter de l’occasion qui leur sera donnée en décembre 2007 et de la présence de tous les chefs d’Etat africains concernés pour consacrer la protection des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique ainsi que la promotion de leurs activités, et appeler à ce qu’un terme soit mis à toute forme de répression à leur encontre. En application des Lignes directrices sur les défenseurs des droits de l’Homme, de la Déclaration de Kigali et de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, il incombe aux dirigeants européens et africains de reconnaître au travail mené par ces individus ainsi que ces organisations, régionales ou internationales, le poids qui lui est dû dans la future Stratégie UE-Afrique. Des progrès en faveur de la protection des défenseurs ne pourront être réalisés que si, d’une part, l’Union européenne parvient à responsabiliser les Etats africains dans cette mission, et si, d’autre part, elle apporte son soutien matériel aux organisations régionales de défense des droits de l’Homme, à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, ainsi qu’à la nouvelle Cour africaine des droits de l’Homme.

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