Cameroun : Actes de harcèlement visant les membres de l’Association pour le développement social et culturel des Mbororo

10/06/2013
Communiqué
en fr

CMR 002 / 0613 / OBS 049
Harcèlement judiciaire /
Impunité d’une tentative d’assassinat
Cameroun
7 juin 2013

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante au Cameroun .

Description de la situation :

L’Observatoire a été informé de sources fiables d’actes de harcèlement auxquels sont confrontés les membres de l’Association pour le développement social et culturel des Mbororo (Mbororo Social and Cultural Development Association - MBOSCUDA), une organisation de défense des droits des bergers Mbororo au Cameroun créée en 1992, à la suite d’une plainte déposée par M. Baba Ahmadou Danpullo, un homme d’affaires milliardaire, éleveur et propriétaire d’une plantation de thé [1].

Selon les informations reçues, le 10 mai 2013, M. Musa Usman Ndamba, vice-président national de la MBOSCUDA, a été cité à comparaître devant le Tribunal de première instance de Bamenda, au nord ouest du Cameroun, à la suite d’une plainte déposée par M. Baba Ahmadou Danpullo pour « propagation de fausses informations susceptibles de nuire aux autorités publiques », « fausses déclarations réalisées au cours d’une procédure judiciaire sous serment », « élaboration d’un faux rapport contre Baba Ahmadou Danpullo susceptible de conduire à sa poursuite judiciaire » et « injure à la réputation de Baba Ahmadou Danpullo par allégation de faits invérifiables », infractions passibles d’une peine de prison et d’une amende.

Lors de l’audience, M. Ndamba a réfuté toutes les allégations et a plaidé non coupable. M. Ndamba a été libéré sous caution, en attendant une autre audience prévue pour le 27 mai 2013. Ce jour-là, le propriétaire terrien ne s’étant pas présenté à l’audience, l’affaire a été ajournée au 28 juin 2013, et le juge a averti qu’il le condamnerait à payer les dépens si celui-ci échouait à nouveau à comparaître devant le tribunal.

Ce cas de harcèlement judiciaire semble se rapporter à une autre affaire pénale concernant la tentative d’assassinat de M. Jeidoh Duni, juriste de la MBOSCUDA, le 1er juillet 2012. Les 18, 19 et 20 Juillet 2012, cinq membres de la MBOSCUDA, M. Jeidoh Duni, M. Adamou Isa, membre de l’exécutif, M. Sali Haman, président régional de la branche littorale de la MBOSCUDA, M. Dahiru Beloumi, conseiller municipal et membre, et M. Njawga Duni, infirmier vétérinaire et membre, ont comparu en tant que témoins dans une enquête sur la tentative d’assassinat de M. Jeidoh Duni afin d’identifier les suspects de la tentative ainsi que la personne qui les a employés. Les membres de la MBOSCUDA ont soutenu que ceux qui ont tiré et blessé M. Duni ont été embauchés comme tueurs et ont exigé que justice soit faite dans cette affaire. Parmi les cinq suspects qui ont été arrêtés trois semaines après l’incident, trois ont avoué le crime et l’une d’entre elles est même allé jusqu’à évoquer le propriétaire Baba Ahmadou Danpullo comme étant le « commanditaire » de l’attaque. Cependant, tous les suspects ont été relâchés peu de temps après avoir été remis aux autorités de gendarmerie de la Légion du Nord-Ouest. Malgré les confessions, y compris des enregistrements téléphoniques et des engagements des autorités gouvernementales à ce que justice soit faite, le dossier n’a toujours pas été transmis aux tribunaux et personne n’a été inculpé pour la tentative d’assassinat de M. Duni.

Dans un geste évident de représailles contre leurs témoignages, les cinq membres de la MBOSCUDA ont été convoqués et ont comparu devant le tribunal militaire de Bafoussam [2], le 23 avril 2013, et ont été inculpés de « coups et blessures », « diffamation » et de « possession d’armes à feu » au moment de l’arrestation des suspects, le 18 juillet 2012. Ils ont ensuite été informés d’attendre l’appel pour leur audition. L’ironie est que M. Duni était à l’hôpital en raison de ses blessures à cette date et les suspects ont été arrêtés pendant l’attaque par des officiers de la brigade d’intervention rapide anti-criminalité (BIR).

Le 23 avril 2013, les cinq ont été contraints de se cacher car ils craignaient d’être arrêtés en raison de soupçons d’influence indue de la part du propriétaire terrien sur les gendarmes en charge du dossier et les autorités judiciaires militaires.

L’Observatoire exprime sa grande préoccupation au sujet de ces actes de harcèlement et craint que celles ci n’aient augmenté depuis que la MBOSCUDA et ses membres ont présenté, au début du mois de mai 2013, un rapport dans le cadre de l’examen du Cameroun dans le cadre de l’Examen périodique universel du Conseil des Droits de l’Homme à Genève, décrivant les différents problèmes rencontrés par la communauté Mbororo [3].

En outre, cet incident de harcèlement judiciaire est loin d’être isolé. D’autres dirigeants Mbororo font actuellement l’objet de harcèlement judiciaire devant les tribunaux de Wum et Foumban en raison de leur militantisme, y compris MM. Lamido Roufai Dahirou, Ahmadou Ahidjo, Elhadj Seini et Mme Hawaou Nana, membres éminents de la MBOSCUDA et dirigeants de la communauté, ainsi que MM. Sule Buba Dicko et Useini Amadu, qui sont tous deux responsables de l’Association culturelle et de développement Aku (Aku Cultural and Development Association - ACUDA). Les personnes susmentionnées sont poursuivies depuis le 18 février 2013 pour une présumée « collecte de fonds illégale » dans le cadre d’un atelier sur les minorités et les élections organisée par ACUDA le 16 février 2013, à Wum, au nord-ouest du Cameroun. Cet atelier a été autorisé par les autorités et a réuni plus de 400 participants, dont des représentants des autorités, des membres du Parlement, des dirigeants communautaires et des politiciens [4]. La prochaine audience est prévue pour le 13 juin 2013.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités camerounaises en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de MM. Musa Usman Ndamba, Jeidoh Duni, Adamou Isa, Sali Haman, Dahiru Beloumi, Njawga Duni, Lamido Roufai Dahirou, Ahmadou Ahidjo, Elhadj Seini, Sule Buba Dicko et Useini Amadu et Mme Hawaou Nana, ainsi que de tous les membres de la MBOSCUDA et de l’ACUDA et tous les défenseurs des droits de l’homme au Cameroun ;
ii. Mettre fin à tous les actes de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, contre MM. Musa Usman Ndamba, Jeidoh Duni, Adamou Isa, Sali Haman, Dahiru Beloumi, Njawga Duni, Lamido Roufai Dahirou, Ahmadou Ahidjo, Elhadj Seini, Sule Buba Dicko et Useini Amadu et Mme Hawaou Nana, ainsi que contre tous les membres de la MBOSCUDA et de l’ACUDA et tous les défenseurs des droits de l’homme au Cameroun ;
iii. Mettre pleinement en œuvre la recommandation de la Commission interministérielle d’enquête (la Commission Jani) sur les exactions commises par le propriétaire mentionné ci-dessus, ordonnée par le Président du Cameroun et soumis au Bureau du Premier ministre depuis 2004, pour action [5] ;
iv. Se conformer en toutes circonstances aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée le 9 Décembre 1998 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, en particulier :
article 1, qui dispose que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international »,
et l’article 12.2, qui dispose que « l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou toute autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration " ;
v. Assurer en toutes circonstances le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par le Cameroun et l’article 45 de la Constitution de la République du Cameroun, selon laquelle « les traités et accords internationaux dûment approuvés ou ratifiés ont, après leur publication, une valeur supérieure aux lois nationales dérogatoires, à condition que l’autre Partie mette en œuvre ledit traité ou accord ».

Adresses :
Son Excellence, Monsieur Paul Biya, Président de la République, Présidence de la République, Palais de l’Unité, 1000 Yaoundé, Cameroun, Fax +237 22 22 08 70
SEM Philémon Yang, Premier Ministre et Chef du Gouvernement, Primature du Cameroun, 1000 Yaoundé, Cameroun. Fax : +237 22 23 57 65. Email : spm@spm.gov.cm
M. Laurent Esso, ministre de la Justice, Ministère de la Justice, 1000 Yaoundé, Cameroun, Fax : + 237 22 23 00 05
M. René Emmanuel SADI, Ministre de l’Administration Territoriale, Fax : + 237 22 22 37 35
Dr. Chemuta Divine Banda, Président de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, Fax : +237 22 22 60 82, E-mail : cndhl@iccnet.cm / cdbanda26@yahoo.fr
Mme Enonchong Annet, agent de protection de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, Courriel : annet_mbeng@yahoo.com
SEM Anatole Fabien Marie Nkou, Ambassadeur, Mission permanente de la République du Cameroun auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, avenue de France 23, 1202 Genève, Suisse. Fax : + 41 22 736 21 65, Email : mission.cameroun@bluewin.ch
SEM EVINA ABE’E Daniel, ambassadeur du Cameroun en Belgique et de l’Union européenne, Ambassade de la République du Cameroun à Bruxelles, 131 av. Brugmann, 1190 (Forest), Belgique, Fax : + 32 2 344 57 35, Courriel : ambassade.cameroun@skynet.be ; embassy@cameroon.be

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques du Cameroun dans vos pays respectifs.

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