DEUX TORTIONNAIRES ALGERIENS MIS EN EXAMEN EN FRANCE

Deux membres des milices de Relizane en Algérie, les frères Abdelkader et Hocine dit « Adda » MOHAMED, ont été mis en examen hier en fin de journée et laissés en liberté sous contrôle judiciaire.

Cette mise en examen fait suite à une plainte pour torture, actes de barbarie et crimes contre l’humanité déposée en octobre 2003 devant le Procureur de la République près LE Tribunal de Grande Instance de Nîmes par la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (LDH), soutenues par la section de Relizane de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), affiliée à la FIDH en Algérie, et le Collectif des familles de disparus en Algérie.

Les milices de Relizane ont, durant la période 1994 à 1997, semé la terreur parmi la population civile, se livrant à de nombreuses exactions. Ces faits ont été régulièrement dénoncés par les organisations de défense des droits de l’Homme (voir les rapports de position de la FIDH http://www.fidh.org/rubrique.php3?id_rubrique=128).

Les témoignages des familles des victimes ont permis d’établir la responsabilité des deux frères MOHAMED dans un grand nombre d’actes de torture, exécutions sommaires et disparitions forcées.
A la suite de la saisine d’un juge d’instruction de Nîmes, les deux frères MOHAMED résidant en France ont été interpellés le lundi 29 mars 2004 à leur domicile, placés en garde à vue, auditionnés par les services de police judiciaire et confrontés à deux des témoins.

C’est à l’issu de cette garde à vue qu’est intervenue la mise en examen.

Alors que les crimes commis à Relizane sont demeurés totalement impunis en Algérie, la FIDH, la LDH, la LADDH et le Collectif des familles de disparus se félicitent de l’ouverture d’une information judiciaire en France et souhaitent que le juge d’instruction puisse opérer sans obstacle toutes auditions et investigations utiles dans le seul souci de la recherche de la vérité et de la détermination des responsabilités.

Rappelant que la lutte contre l’impunité constitue une nécessité incontournable pour un avenir meilleur de l’Algérie, la FIDH, la LDH, la LADDH et le Collectif des familles de disparus espèrent que l’action judiciaire entamée à Nîmes contribuera enfin à rendre justice aux victimes et à redonner espoir aux familles toujours privées de la moindre explication sur le sort de dizaines de milliers de morts ou disparus.

Toutefois, les organisations signataires tiennent aussi à manifester leur inquiétude quant à la décision de laisser les frères MOHAMED en liberté compte tenu d’une part, de la gravité des infractions reprochées, et d’autre part, des risques sérieux de les voir prendre la fuite en échappant aux obligations du contrôle judiciaire.

Elles considèrent comptables les autorités françaises du maintien à la disposition de la justice des deux miliciens poursuivis.

Enfin, elles resteront tout particulièrement attentives à ce que les témoins et leurs proches puissent bénéficier d’une protection suffisante et continuer leur combat contre l’impunité sans être inquiétés.


LES MILICES DE RELIZANE

Document de contexte préparé par la FIDH dans le cadre de la procédure en France
contre les frères MOHAMED

Mars 2004

Le contexte politique en Algérie depuis 1988

Le 10 octobre 1988, au lendemain des émeutes d’octobre qui ont fait plus de 500 morts, Chadli Bendjedid, chef de l’État, ramène le calme en promettant des « réformes politiques ». Le 23 février 1989, une nouvelle Constitution est adoptée qui reconnaît officiellement le multipartisme, abolit la référence au socialisme et garantit, sans condition, la propriété privée. À partir de cette date, les réformes économiques et politiques s’amorcent en Algérie et l’armée se retire de la vie politique.

Les élections locales du 12 juin 1990 font figure de premier scrutin pluraliste de l’Algérie indépendante. Le Front Islamique du Salut (FIS) remporte 54,2% des suffrages exprimés et devient le premier parti de l’opposition au régime. Le FIS demande des élections législatives et présidentielles anticipées.

L’année 1991 devait être celle de la consolidation du processus démocratique avec la tenue des premières élections législatives pluralistes de l’Algérie indépendante prévues pour le 27 juin 1991. Cependant, les principaux partis avaient vu dans les dispositions de la loi électorale devant s’appliquer pour ces législatives une volonté de « truquage ». C’est surtout le nouveau découpage électoral, qui défavorisait avant tout le FIS, qui a mis le feu aux poudres. Après avoir appelé à une grève générale illimitée jusqu’à obtention du changement de la carte électorale et d’une élection présidentielle anticipée, le FIS multiplie marches de protestation et occupations des places de la capitale.

En réponse, l’armée occupe à nouveau la rue pour « rétablir l’ordre ». Le chef de l’Etat annonce l’état de siège, la démission du gouvernement et le report des élections législatives au mois de décembre 1991. Lors des élections législatives, le FIS obtient dès le premier tour 188 sièges (43,7%) alors que le FLN n’obtient pas plus de 16 sièges (3,72%).

Le 11 janvier 1992, les blindés se déploient dans les principales villes du pays. L’armée oblige le président à signer un décret antidaté de dissolution de l’Assemblée Populaire Nationale puis à démissionner, provoquant ainsi un grave vide juridique. Les militaires suspendent les élections législatives et confient à un « Haut comité d’Etat » (HCE) les pouvoirs présidentiels. Le 9 février, l’état d’urgence est proclamé et plonge le pays dans l’extrajudiciaire. Un mois plus tard, le FIS est dissout alors que les attentats individuels visant des intellectuels, des journalistes ainsi que les services de sécurité se multiplient.

L’état d’urgence est renforcé au mois de décembre 1992, suivi pas la promulgation par décret d’une loi anti-subversive très dure prévoyant notamment le rétablissement des juridictions d’exception à Alger, Oran et Constantine pour juger des affaires de « terrorisme et de subversion ».

On assiste à une escalade de la répression avec notamment la généralisation de la torture suite à des arrestations arbitraires opérées par des policiers en civil armés ainsi que par des commandos spéciaux. Malgré toutes ces mesures, la répression n’avait toujours pas réussi en 1994 à enrayer la vague de violence islamiste ni à empêcher son extension sur l’ensemble du territoire (à l’exception du grand sud) même si les forces de sécurité avaient, pour leur part, tué plusieurs chefs de groupes armés et démantelés certains réseaux islamistes.

La création des milices d’autodéfense
Dès 1993, mais surtout à partir de 1994, les autorités ont armé un certain nombre de civils au sein des wilayas dans lesquelles il existait une forte concentration de groupes armés islamistes afin de participer à la lutte anti-terroriste au nom de la légitime défense. Ces civils ont opéré sous l’appellation de « patriotes », « groupes d’autodéfense » ou « groupes de légitime défense ».
Certaines de ces milices paramilitaires semblent s’être constituées spontanément sur l’initiative d’habitants de quartiers périphériques des grandes villes ou de villages ayant subi des attaques de groupes armés. D’autres ont été formés à l’initiative de certains partis politiques. Cependant, la formation de la plupart des milices d’autodéfense est due à l’initiative directe des autorités relayée par la presse privée et les médias gouvernementaux (télévision et radios). Plusieurs centaines de milliers de civils ont ainsi été armés par les autorités durant le conflit au nom de la légitime défense.

En janvier 1997, un décret a officiellement reconnu les milices paramilitaires sous une seule appellation : les « Groupes de Légitime Défense » (GLD). Les GLD ont été placés sous le contrôle direct du Secteur Opérationnel (SO) chargé de la lutte antisubversive. En janvier 1998, le Premier ministre algérien annonçait aux parlementaires l’existence de 5.000 GLD.

Pendant toute cette période, la population algérienne s’est trouvée confrontée à une double violence particulièrement meurtrière qui ne lui a laissé aucun répit : d’une part, la montée en puissance des groupes armés islamistes et d’autre part la répression accrue et aveugle menée par les autorités et les milices. A la fin 1994, le nombre des victimes de cette double violence dépassait déjà, sans que l’on puisse toutefois en donner un bilan précis, le chiffre de 30 000 morts1.

LES EVENEMENTS DE RELIZANE

Le fonctionnement des milices de Relizane
Les groupes de légitime défense de la wilaya (département) de Relizane comptaient un total d’environ 450 membres au début de l’année 1994. Les membres les plus virulents de ces groupes (environ 60 personnes) se sont regroupés en milices spéciales qui se sont attaquées à des civils non armés et ont semé la terreur parmi toute la population. Ces milices étaient divisées en différant groupes basés dans six communes mais agissaient sur l’ensemble des 32 communes que compte le département de Relizane.

Les membres des milices ont été principalement recrutés parmi les repris de justice, quelques anciens moudjahidine2, leurs familles et leurs proches, ainsi que les familles des victimes du terrorisme, dont le désir de vengeance était très fort. Les milices ne se contentaient pas de jouer un rôle défensif mais participaient activement aux « ratissages » et autres opérations militaires dans un rayon d’action qui dépassait de loin leur localité d’origine. Elles agissaient parfois de manière coordonnée avec les forces armées régulières, mais opéraient aussi souvent seules, de nuit, et parfois sans signe permettant de les distinguer des groupes terroristes.

Les chefs miliciens ont été recrutés parmi les présidents des Délégations Exécutives Communales (DEC) du département de Relizane. Ces délégations ont été mises en place en 1992 par le ministère de l’Intérieur suite aux dissolutions des Assemblées Populaires Communales (mairies) contrôlées par le FIS. Tremplin politique, les milices furent aussi une source d’enrichissement considérable pour les miliciens. Ces derniers recevaient une solde de l’Etat, mais c’est surtout en se livrant continuellement à des vols et des pillages que les miliciens se sont enrichis. Les milices avaient à leur disposition plusieurs voitures, dont celles appartenant aux communes. Elles étaient, par ailleurs, équipées par l’armée d’armes neuves (kalachnikov) et avaient des tenues militaires à leur disposition.

Les crimes commis par les milices de Relizane
En pratique, les milices de Relizane avaient droit de vie et de mort sur l’ensemble de la population. Elles ont procédé de 1994 à 1997, dans l’arbitraire le plus total, à des vols, des viols, des tortures, des exécutions sommaires et des enlèvements suivis de disparitions forcées.

a) Exécutions sommaires
Rien que sur la wilaya de Relizane, plus de 100 exécutions sommaires ont été signalées au cours de la période 1994-1997, dont la majorité est l’œuvre des milices de Relizane. A ce jour, des dizaines de corps non identifiés ont été enterrés au cimetière de Relizane. Les victimes sont inscrites sur le Registre des décès des hôpitaux de la wilaya sous le nom de « X - de sexe masculin - algérien ».

b)Disparitions forcées
A ce jour, la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme et le Collectif des Familles de Disparu(e)s en Algérie ont recensé à Relizane 208 cas de disparitions forcées. D’après les témoignages des parents des victimes, 97 d’entre eux sont l’œuvre des miliciens. La plupart des disparus ont été enlevés chez eux devant leurs familles. Parmi ces disparus figurent des enfants de 14 ans et des personnes âgées de plus de 70 ans suspectés, au nom de la « responsabilité collective », de fournir une assistance logistique à des groupes terroristes.

La découverte en 1998 de charniers à Relizane permet de penser que des victimes des disparitions forcées de cette région ont été exécutées et mises dans ces fosses communes. Le quotidien algérien Liberté est le premier quotidien national à avoir rapporté, le 14 avril 1998, des informations sur l’existence de charniers :

« A Sidi M’hamed Ben Aouda, des sources affirment que 17 corps ont été retrouvés dans un puits. Ce seraient les victimes des P/APC (N.d.l.r. : président de l’Assemblée populaire communale) en question et de leurs proches collaborateurs. Ailleurs, dans d’autres communes de Relizane, ce sont carrément des casemates qui ont été découvertes avec 62 corps dans leurs entrailles et dont ‘certains furent enterrés vivants’, nous dit-on. »

c) Torture systématique
Les miliciens pratiquaient avec les services de la sécurité militaire et la gendarmerie la torture systématique sur l’ensemble des personnes qu’elles arrêtaient dans le but de leur extorquer des informations sur les « groupes terroristes » avant de les faire disparaître. Toutes les victimes qui ont été retrouvées mortes portaient d’importantes marques de torture, notamment de graves brûlures. De nombreuses victimes ont été défigurées afin de rendre plus difficile leur identification.

Lire la suite