Les déplacements massifs de population résultent d’affrontements ethniques politiquement orchestrés

03/05/2007
Rapport
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RESUME EXECUTIF

Le problème des déplacements internes forcés est extrêmement sensible au Kenya. Selon les statistiques les plus récentes fournies par l’Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (UNOCHA), il y a environ 380.000 personnes déplacées internes (Idps) au Kenya, ce qui place le pays au 7ème rang continental en nombre de Idps.

A travers les témoignages recueillis au sein du Réseau National des Idps (National Idps Network), une ONG kenyane, les membres de la mission internationale d’enquête de la FIDH présente au Kenya du 19 au 25 janvier 2007, ont constaté que les idps dans ce pays font face à une situation humanitaire catastrophique. Forcées de quitter leur lieu de résidence, les personnes déplacées ont souvent perdus tous leurs biens et se retrouvent obligées de commencer une nouvelle vie : aucune perspective de retour en toute sécurité, de réinstallation ou de réparation du préjudice subi ne leur étant proposée. Si toutes les personnes déplacées ne sont pas parquées dans des camps isolés comme c’est le cas du village Kieni visité par les chargés de mission, elles deviennent généralement des sans-terre, contraintes de vivre comme des squatters ou vivent dans des taudis situés aux environs des villes. Dans de telles conditions, les personnes déplacées ont toutes les difficultés pour trouver un travail et ainsi obtenir une source de revenu leur permettant d’avoir accès aux services publics de santé. Elles sont ainsi dans l’impossibilité de se procurer des médicaments pour leurs enfants ou de payer leur frais de scolarité.

A l’exception d’une assistance d’urgence fournie pour les agences humanitaires pendant un ou deux mois après leur déplacement, les Idps sont laissés à leur propre sort, aucune attention particulière n’étant jusqu’à présent portée à leur égard par les autorités kenyanes ni même les agences des Nations unies.

Parmi les causes de déplacement de populations au Kenya, entre autres la famine, les crues, les rivalités entre communautés pour le contrôle des biens de subsistance, les chargés de mission de la FIDH ont décidé de centrer leur enquête sur les personnes déplacées du fait de conflits inter-ethniques. Ils constatent et démontrent combien les affrontement ethniques résultent d’orchestration politiques à finalités éléctoralistes. Ce phénomène est peu connu de la communauté internationale et aucune réponse politique à ce problème n’a été apportée au niveau national. En outre, ce focus particulier s’inscrit pour la FIDH et le KHRC dans une démarche de prévention dans la mesure où les prochaines élections générales au Kenya sont prévues à la fin de l’année 2007.

Ce phénomène particulier a débuté un an avant la tenue des premières élections générales multipartites de décembre 1992 lorsque les dirigeants du parti KANU (le parti au pouvoir du président Arap Moi) ont, pour conserver leurs privilèges politiques, sociaux et économiques, avivé des tensions inter-ethniques pour les transformer en véritable conflit dans les Provinces de l’Ouest, de la Rift Valley et de Nyanza. Les communautés ehniques proches du pouvoir ont en effet été instrumentalisées par les gouverneurs de Province et autres leaders de l’ancien régime à parti unique, pour faire en sorte que, avant le jour du scrutin, certaines circonscriptions électorales soient "épurées" des communautés considérées comme soutenant l’opposition. En conséquence des conflits inter-ethniques attisées par les tenants du pouvoir, les citoyens forcés de fuir en nombre les zones de violence et ceux qui y sont restés malgré l’insécurité n’ont soit pas pu s’enregistrer pour voter, soit ont été contraints de s’abstenir du fait des menaces portées à leur encontre. Les violences ont perduré dans la période post-électorale jusqu’en 1996 causant, selon le KHRC, la mort de plus de 15.000 personnes et le déplacement forcé de 300.000 autres dans les Provinces de l’Ouest, de la Rift Valley et de Nyanza. Suivant le même schéma, des violences ont également éclatés dans la Province Cotière dans les mois qui ont précédé les élections générales de 1997 faisant plus d’une centaine de morts et forçant plus de 100.000 personnes à se déplacer, la plupart d’entre ellesétant issues de communautés perçues comme soutenant l’opposition. D’autres conflits d’initiative et de motivation politique ont aussi éclaté entre 1999 et 2005, principalement dans les régions occidentales, de la Rift Valley et de Nyanza.

Ainsi depuis l’avênement du multipartisme au Kenya, le "fait politique" a souvent ajouté aux hostilités inter-ethniques des antagonismes partisans dans le but d’effrayer des communautés entières pour les mener à voter pour le parti au pouvoir en contrepartie de leur sécurité ou même de déplacer des communautés soutenant l’opposition en dehors de zones électorales précises. Il est évident que la récurrence de conflits à l’occasion de chaque élection générale tous les 5 ans a été rendue possible par l’impunité totale dont jouissent encore les auteurs et instigateurs des violences. Cette impunité est particulièrement inquiétante au regard de l’échéance des élections générales prévues au Kenya en cette fin d’année 2007. D’ailleurs, il semblerait que des violences inter-ethiques avivées par des motivations politiques aient déjà éclaté à Subukia, Gucha, Laikoni et au Mont Elgon, entraînant le déplacement forcés de centaines de personnes depuis le début de l’année 2007.

La FIDH et le KHRC demandent aux autorités kenyanes de s’attaquer avec fermeté et sans délai au problème des violences inter-ethniques initiées pour des raisons politiques à l’occasion des élections générales. Le gouvernement doit mettre en oeuvre des mesures politiques et administratives pour prévenir l’éclatement de conflits qui ont pour conséquence le déplacement forcé de populations. Un des moyens les plus efficaces pour parvenir à cette fin est la lutte effective contre l’impunité en ouvrant sytématiquement des enquêtes et des poursuites contre les auteurs et instigateurs des conflits inter-ethniques aux motivations politiques.

La FIDH et KHRC demandent en outre aux autorités kenyanes de considérer les Idps comme étant des individus particulièrement vulnérables et ainsi de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect de leurs droits, notamment le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, le droit à la santé et aux soins médicaux, le droit au travail, le droit au retour, à la réinstallation et à la réintégration, garanties par les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme ratifiés par le Kenya et les principes directeurs des Nations unies sur les Idps.

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