Forum migrations (Congrès 2007) - Migrations internationales et droits de l’Homme : état des lieux

Le Forum Migrations, organisé à Lisbonne du 19 au 21 avril, a réuni les organisations membres de la FIDH, des organisations internationales et régionales de défense des droits de l’Homme, des organisations de la société civile partenaires, des chercheurs et des experts. Il a examiné la situation des migrants économiques, réfugiés, demandeurs d’asile et déplacés internes dans les différentes régions du monde, en se penchant tout particulièrement sur les migrations Sud-Sud. Au cours de ce Forum, les participants ont ainsi pu explorer les défis multiples que pose la mobilité mondialisée, : féminisation croissante, développement des migrations irrégulières, diversification des flux et trajectoires, limites des mécanismes de protection régionaux et internationaux des droits des migrants, etc.


1. Un phénomène limité, mais en expansion

Bien que les statistiques restent déficientes, surtout pour les migrations sudsud
et que les chiffres sont à
manier avec précaution, les migrants, réfugiés compris, représenteraient en 2005 près de 200 millions de
personnes (9,2 millions de réfugiés), soit près de 3 % de la population mondiale. Les images d’invasion et
d’envahissement inéluctables des pays riches sont donc globalement fausses, même si les flux migratoires
sont en expansion : le nombre de migrants a doublé en 25 ans, et va de toute évidence continuer à se
développer en raison des disparités en matière de développement, de démographie et de démocratie (« les.3
D ») entre pays riches et pays pauvres.

2. Une féminisation croissante

En 2000, les femmes constituaient un peu moins de la moitié des migrants, et plus de 50% dans les pays
développés, mais aussi en Amérique latine, dans les Caraïbes et en exUnion
soviétique. Un nombre croissant
d’entre elles émigrent seules, en raison de la demande des pays riches en emplois traditionnellement féminins
(travail domestique, nettoyage, soins aux personnes âgées, industrie du sexe), mais aussi en raison de leur
prise de conscience de leurs droits dans des sociétés où persistent de nombreuses contraintes à leur
émancipation. Si la relégation des femmes émigrées à certains types d’emplois les expose plus que les autres
catégories de migrants aux violences et à la discrimination, leur parcours migratoire révèle et renforce la
transformation des rôles publics et privés traditionnels entre hommes et femmes.

3. Le développement des migrations irrégulières

Selon l’OCDE, 10 à 15% des 56 millions de migrants vivant en Europe seraient en situation administrative
irrégulière, et près de 500 000 migrants sans papiers entreraient chaque année dans les pays de l’UE, autant
qu’aux EtatsUnis.
De même, la majorité des migrants vivant en Afrique subsaharienne,
en Inde (près de 20
millions selon certaines estimations), au Maghreb et en Amérique latine sont dépourvus de tout statut légal,
alors que l’OIT estime que 3,5 à 5 millions de migrants sont employés dans le secteur informel en Russie.
Cette croissance de la migration irrégulière est notamment liée au rétrécissement des possibilités de
migration légale et au développement de la traite des êtres humains (qui toucherait plus d’un demimillion
de
personnes par an). Durant leur périple, de plus en en plus incertain et prolongé, ces migrants, et en particulier
les femmes et les enfants, sont exposés à de multiples dangers et violations de droits élémentaires, pris en
tenailles entre réseaux criminels et politiques de contrôle des Etats.

4. Des conséquences importantes

Les remises (les envois d’argent par les émigrés à leurs familles restées au pays) transférées officiellement ont
été de 150 milliards de dollars en 2004, soit près du triple de l’aide publique au développement, soit une
progression de 50% en cinq ans seulement (Banque mondiale). A ce chiffre, il faudrait ajouter selon des
estimations 300 milliards de dollars de transferts informels. Pour certains pays, ces remises peuvent
constituer une des principales sinon la première source de devises (23% du PIB en Jordanie par exemple) et
pour l’ensemble des pays en développement, ces transferts sont la deuxième source de financement, après
l’investissement financier direct. Pour de nombreux Etats, l’immigration est un extraordinaire moyen de
pression diplomatique. Les mouvements de population peuvent aussi provoquer des crises dans les pays
d’accueil. La question des migrations est dans presque tous le pays objet d’interrogations, de
questionnements, de débats publics et de polémiques en raison de sa charge idéologique et symbolique forte.

5. Diversification des flux et des trajectoires

Si près de 40 % des migrants partent à la recherche d’un emploi, d’autres raisons sont également à l’origine de
ces flux. De plus en plus, d’importants exodes de population ont pour origine des catastrophes naturelles
(sécheresse, inondations), des famines, mais surtout des conflits militaires et des guerres civiles. Parties dans
un pays voisin pour un exil temporaire, souvent par familles entières, ces personnes ne peuvent plus pour la
plupart revenir dans leurs régions d’origines. C’est souvent parmi eux que se recrutent les futurs immigrants
irréguliers. Les séjours pour études (plus d’un million), les migrations familiales (dont la progression est un
des phénomènes marquants des dernières décennies) et « la circulation internationale des élites
professionnelles » constituent d’autres formes de migration. Toutes les régions du monde sont touchées ; des
pays d’émigration deviennent des pays d’immigration ou de transit, voire les trois à la fois.

6. Sélection et restriction : des régimes juridiques et des statuts administratifs de plus en plus contraignants

A partir des années 70, les migrants sont confrontés à des dispositifs juridiques et administratifs marqués par
le protectionnisme et la sélection. Alors que la migration illégale était jusque là souvent tolérée, les
conditions d’entrée, de séjour, de regroupement familial, d’accès au travail de certaines catégories (les
femmes par exemple) sont réformées dans un sens restrictif. En Europe, mais aussi ailleurs, les politiques
deviennent de plus en plus centrées sur « la chasse aux clandestins » et la détection des « faux réfugiés ».
Alors même que la circulation des marchandises, des capitaux et des services est la règle, que la circulation
des personnes est en théorie plus aisée (transports moins coûteux et plus rapides,...), les obstacles sont
renforcés par une généralisation des visas. L’accroissement des contrôles a créé un nouveau marché investi
par des réseaux mafieux de plus en plus nombreux et de mieux en mieux organisés.

7. Développement de nouveaux pôles migratoires

Les EtatsUnis
restent le premier pôle d’attraction de migrants, suivis de l’Europe occidentale (UE et Suisse)
et l’Australie. Mais deux nouveaux pôles importants se sont affermis depuis le début des années 70 : les pays
pétroliers (Péninsule arabique, Venezuela, mais aussi Libye, Gabon, Afrique du sud...) d’une part, le Japon et
les nouveaux pays industriels d’Asie d’autre part. Dans ces nouveaux pays d’immigration, surtout au MoyenOrient,
la précarité du statut juridique, voire la négation de tout droit est souvent la règle : contrat temporaire,
système du Kafil (le garant), interdiction presque totale du regroupement familial, expulsions massives après
un retournement de conjoncture économique ou une crise politique.

8. Le développement des migrations sudsud

Un peu plus d’un migrant sur deux (54 %) vit dans un pays en voie de développement. Quatre raisons sont à
l’origine de ce phénomène croissant. Outre des flux migratoires classiques, qui remontent parfois à loin (du
Sahel vers l’Afrique de l’ouest par exemple), il y a d’abord les migrations « par défaut » : le durcissement des
conditions d’accès aux grands pôles, comme l’Europe, transforme des pays de transit en pays d’immigration ;
c’est ainsi le cas du Maroc, de l’Algérie, de la Turquie, de l’Egypte, de la Jordanie pour ne parler que de la
Méditerranée. Il y a ensuite l’explosion du nombre de réfugiés, accueillis pour l’essentiel en Asie et en
Afrique, en particulier dans la région des Grands Lacs et dans la Corne de l’Afrique. Il faudrait enfin ne pas
oublier les flux des personnes déplacées et celui de ce que certains chercheurs appellent les écoréfugiés.

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