Vives préoccupations concernant la détention de Me Mohammed Abbou

01/03/2007
Communiqué

Me Mohammed Abbou entame aujourd’hui sa troisième année de détention.

Messieurs les Ambassadeurs de la Tunisie en France et en Suisse

Messieurs les Ambassadeurs de la Tunisie auprès de l’ONU, de la LEA, de l’UA et de l’UE

Objet : Détention arbitraire de Me Mohammed Abbou, avocat et défenseur des droits de l’Homme tunisien, détenu depuis deux ans

L’ACAT France (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Amnesty International France et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) souhaitent vous faire part de leurs plus vives préoccupations concernant la détention de Me Mohammed Abbou, membre du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISSP), qui entame aujourd’hui sa troisième année de détention.

En novembre 2005, le Groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires a conclu que la détention de Mohamed Abbou était arbitraire et constituait une violation de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui énonce le droit à la liberté d’expression.
Me Mohammed Abbou est emprisonné depuis le 1er mars 2005 à la prison du Kef, à environ deux cents kilomètres de Tunis, lieu de résidence de sa famille. Le 29 avril 2005, il a été condamné dans le cadre de deux procédures distinctes à trois ans et demi de prison, à l’issue de procès iniques et entachés de nombreuses irrégularités. Pour la première affaire, qui porte sur la « publication d’écrits de nature à troubler l’ordre public » et sur la « diffamation d’instances judiciaires » suite à la publication d’un article en août 2004 sur les conditions de détention dans les prisons tunisiennes, sa peine s’élève à un an et demi de prison. Dans le cadre de la seconde affaire, ajoutée quelques jours avant le procès, suite à une plainte pour « violences » déposée par une avocate en juin 2002, une peine de deux ans d’emprisonnement a été prononcée.
Me Abbou subit des mauvais traitements et ses proches sont victimes d’un harcèlement constant de la part des autorités. Depuis son arrestation, Me Abbou est détenu dans des conditions inhumaines, ne disposant pas de matelas pour dormir, victime de mauvais traitements et de brimades incessantes des gardiens, et son état de santé ne cesse de se détériorer. Tout est mis en oeuvre afin de le priver de tout contact avec l’extérieur. Alors qu’il a entrepris de finir sa thèse, il ne lui est pas permis de recevoir des ouvrages ni même d’étudier ou de lire. Sa correspondance est interceptée. Le droit de visite accordé à sa famille est, dans les faits, largement entravé au moyen de mesures d’intimidation, allant de procès verbaux dressés abusivement sur la route conduisant jusqu’à la prison à des agressions physiques ou encore de mesures vexatoires, y compris à l’encontre de ses enfants.

Sa femme, Mme Samia Abbou, est régulièrement suivie et surveillée. En outre, depuis qu’elle a mené, le 13 août 2006, une grève de la faim pour demander la libération de son mari, un important dispositif de police est déployé autour de son domicile.

Plus récemment, le 7 décembre 2006, Samia Abbou et plusieurs militants qui l’accompagnaient ont été physiquement agressés alors qu’ils tentaient de rendre visite à Me Abbou en prison, et ce en présence de nombreux policiers qui auraient filmé la scène sans toutefois intervenir. Extrêmement choqués, les militants se sont résignés à rebrousser chemin.

Les autorités tunisiennes pratiquent depuis trop longtemps un double langage au sujet des défenseurs et des droits humains en général. Il est temps que cette duplicité cesse. L’un des signes significatifs d’une évolution concrète serait la libération de Mohamed Abbou.

En conséquence, nos organisations demandent la libération immédiate et inconditionnelle de Me Abbou, dont le maintien en détention après deux ans ne vise qu’à sanctionner sa liberté d’expression, et qu’il soit mis fin sans délai aux actes de harcèlement à l’encontre de sa famille.
D’autre part, nos organisations prient les autorités tunisiennes de se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement à son article 1 qui stipule que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international », à son article 6c qui prévoit que, afin de réaliser ces objectifs, « chacun a le droit [...] d’étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’Homme et toutes les libertés fondamentales et, par ces moyens et autres moyens appropriés, d’appeler l’attention du public sur cette question », et à son article 12.2, qui dispose que « l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration ».

Plus généralement, nos organisations demandent aux autorités nationales de se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ainsi qu’aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’Homme auxquels la Tunisie est partie, et plus particulièrement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Confiants dans votre engagement en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie, nous espérons que vous accorderez toute l’attention nécessaire à la présente requête.

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