Urgence d’une intervention en République centrafricaine

Lettre Ouverte

 S.E M. Jorge Voto-Bernales, Ambassadeur, Représentant permanent du Pérou auprès des Nations unies à New-York, Président du Conseil de sécurité des Nations unies
 S.E. MM les Ambassadeurs, membres du Conseil de sécurité des Nations unies
 S.E. M Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies.

Re. Urgence d’une intervention des Nations unies en République centrafricaine

Excellences,

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) souhaite solliciter votre intervention d’urgence en réponse à l’aggravation de la situation en République centrafricaine, et à la menace que cela représente pour la paix et la stabilité de la région, en application du Chapitre VII de la Charte des Nations unies.

Multiplication des offensives

Depuis le mois d’octobre 2006, les combats entre différents mouvements rebelles et les forces armées centrafricaines (FACA) appuyées par la Force multinationale en Centrafrique (FOMUC) et les troupes tchadiennes s’intensifient dans le Nord de la République centrafricaine. Au Nord-Est, des éléments rebelles soutenus, selon le gouvernement centrafricain, par les autorités soudanaises, ont pris les villes de Birao (7 novembre) et de Ouadda-Djalle (10 novembre) et se rapprochent de Bria, ville situé à 600km au Nord de la capitale, Bangui. Au Nord-Ouest, un autre groupe rebelle lance de nombreuses offensives autour des localités de Paoua et Batangafo.

Besoin de protection des populations civiles

La FIDH alerte le Conseil de sécurité sur le fait que les combats dans le Nord de la RCA font rage en violation du droit international humanitaire. Dans son rapport « Oubliées, stigmatisées, la double peine des victimes de crimes internationaux », publié en octobre 2006, la FIDH présente des témoignages d’exécutions sommaires et de viols de civils, ainsi que de pillages systématiques perpétrés tant par les éléments des différents groupes armés que par les FACA, ces derniers se rendant également responsables de l’incendie de nombreux villages lors de leur contre-offensives.

A cet égard, nous vous rappelons qu’en vertu de la résolution 1674/2006 relative à la protection des civils en période de conflit armé, adoptée le 28 avril 2006, le Conseil de sécurité reconnaît que « le fait de prendre délibérément pour cible des civils et d’autres personnes protégées et de commettre des violations systématiques, flagrantes et généralisées du droit international humanitaire et des droits de l’Homme en période de conflit armé peut constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales » et se dit disposé « à examiner ces situations et à prendre, le cas échéant des mesures appropriées ».

Menaces d’instabilité dans la région

L’intensité des combats et les violations du droits international humanitaire a entraîné, selon le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (UNHCR), le déplacement interne de près de 30.000 personnes et la présence de près de 70.000 réfugiés centrafricains au Tchad et au Cameroun, provoquant un risque d’instabilité dans la région. La situation humanitaire risque par ailleurs de se dégrader dans les prochains jours, les autorités centrafricaines ayant en effet interdit depuis le 20 novembre 2006 la circulation des organisations humanitaires autour de la localité de Paoua, dans le Nord-Ouest du pays.

Ce nouveau cycle de violence intervient seulement 4 ans après les graves crimes internationaux perpétrés contre la population civile par les forces loyalistes et les troupes rebelles du général Bozizé à l’occasion de son coup d’Etat. La FIDH considère que l’impunité des auteurs des crimes consacrée par la décision d’avril 2006 de la Cour de cassation centrafricaine affirmant "l’incapacité des services judiciaires centrafricains à mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites », ainsi que la destabilisation sécuritaire de la sous-région entraînée par la crise du Darfour sont à l’origine de cette nouvelle situation.

Les demandes d’intervention se multiplient

Le 17 novembre, à Bruxelles, le Président centrafricain, Francois Bozizé, a appelé au déploiement de troupes de l’ONU aux frontières avec le Soudan et le Tchad. Cette appel a été soutenu par le Président Tchadien, Idriss Deby Itno. Auparavant, le 13 novembre, le Président de la Commission de l’Union africaine (UA), Alpha Oumar Konare, avait exprimé sa grave préoccupation face à la poursuite des affrontements armés en République centrafricaine (RCA). Et le Président du Congo et Président en exercice de l’UA, Denis Sassou Nguesso, s’était déclaré le 14 novembre favorable au déploiement d’une force internationale à la frontière entre le Soudan, le Tchad et la République centrafricaine.

Recommandations

En conséquence, la FIDH souhaite vous appeler à adopter dans les plus brefs délais une résolution sur la situation en République centrafricaine :

 condamnant toute tentative de prise de pouvoir par la force ;
 condamnant les graves violations du droit international des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises par les belligérants contre la population civile ;
 demandant le cessez-le-feu immédiat entre les différents groupes armés rebelles et les forces gouvernementales ;
 demandant aux parties en conflit d’autoriser et de faciliter la circulation et l’activité des organisations humanitaires dans le nord du pays ;
 envisageant dans les plus brefs délais l’envoi d’une force onusienne d’intervention avec pour mandat de sécuriser les frontières communes entre le Soudan, la RCA et le Tchad ainsi que la protection des populations civiles ;
 demandant aux autorités centrafricaines de mettre tout en oeuvre pour que les auteurs - quels qu’ils soient- des crimes les plus graves soient poursuivis et jugés conformément au dispositions internationales de protection des droits de l’Homme ;
 demandant aux autorités nationales de respecter l’intégrité physique et morale des défenseurs des droits de l’Homme, et plus généralement de respecter les dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée en 1998 par l’Assemblée générale des Nations unies

Par ailleurs, la FIDH souhaite vous appeler, dans le cadre de la mise en oeuvre de la résolution 1593 (2005), à fournir au Procureur de la Cour pénale internationale tous éléments en votre possession concernant la dimension sous régionale du conflit, attirant son attention sur les liens entre les crises au Darfour, au Tchad et en RCA, considérant au surplus que la RCA a saisi formellement la Cour pénale internationale en décembre 2004 et que le Tchad vient d’en ratifier le Statut en octobre 2006.

En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette lettre et aux recommandations qu’elle vous adresse, je vous prie d’agréer, Excellences, l’expression de ma haute considération.

Sidiki KABA

Président

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