Les immigrés sont là pour rester, faisons-leur de la place

24/10/2006
Communiqué

Un engagement fort s’impose pour inscrire l’installation des étrangers dans la durée.

Par Driss EL-YAZAMI, Jean-Marc SALOMON
QUOTIDIEN : Jeudi 28 septembre 2006 - 06:00
Driss El-Yazami délégué général de l’association Génériques et Jean-Marc Salmon sociologue.

L’immigration va être un des enjeux de la campagne de la présidentielle, et, puisque le « parler vrai » doit, affirme-t-on, structurer, sans tabou ni langue de bois, ces débats, n’est-il pas temps de parler plus franchement du statut des étrangers en France ?

Avec justesse, Coluche affirmait qu’il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde. La question des migrations est aujourd’hui, en effet, mondialisée, et ces jours-ci, pour la première fois, une conférence sur ce thème se tient au siège des Nations unies. Plus près de nous, en Europe, les choses bougent. Devenus à leur tour pays d’immigration, après avoir longtemps constitué d’importants foyers de départ, les pays de l’Europe méridionale ont régularisé des centaines de milliers de migrants irréguliers. A Madrid, et, en dépit des crises de Ceuta et Melilla puis des Canaries, on réfléchit sérieusement et publiquement à l’octroi du droit de vote aux élections locales, alors qu’en Belgique les étrangers non communautaires vont, dans quelques semaines, voter aux municipales. Après l’Allemagne, l’Italie s’oriente vers l’introduction du droit du sol et une large libéralisation de son code de la nationalité.

Mais, en France, il ne s’est rien passé de significatif depuis le geste fort de François Mitterrand qui avait porté à dix ans la validité de la carte de résident après avoir reçu les marcheurs de l’égalité. Rien de positif depuis 1983, mais au contraire des coups de canif successifs au statut des résidents étrangers et une inflation juridique réduisant de fait les droits des étrangers durablement installés et qui sont, dans leur écrasante majorité, en situation régulière.

N’est-il pas temps, à l’instar de nos voisins, de repartir de l’avant ? D’avoir confiance en nous ? En eux ? De mieux nous penser comme habitant une des plus vieilles terres d’immigration au monde ?
Dès lors que des travailleurs étrangers et leurs familles s’installent ici sans intention de repartir, pourquoi ne pas envisager la création d’un titre de séjour permanent, une carte qui aurait valeur de pièce d’identité ? Ce serait un confort psychologique pour les millions de gens qui vivent dans la hantise de tomber sur « le mauvais guichet » au moment du renouvellement de leurs papiers. Ce serait surtout un engagement symbolique fort des Français entre eux : ils sont là pour rester, faisons-leur de la place.

Faciliter l’accès à la nationalité tout en lui donnant du sens compléterait cette reconnaissance de la durabilité de l’immigration. Les études montrent des disparités importantes dans l’instruction des demandes de naturalisation. Ne peut-on en finir avec « la tête du client », mieux préciser les critères d’obtention, mieux les standardiser, pour assurer l’égalité de traitement et accélérer le processus ?

Mais la mise en oeuvre de politiques de confiance, et non plus de méfiance, s’opérerait mieux si le climat politico-idéologique changeait. A cet égard, le premier levier est le droit de vote aux élections locales : c’est une question urgente. Il y a besoin d’un acte fort qui réoriente les dynamiques politiques. Dans l’actuelle législature, des initiatives parlementaires ont mis en évidence l’apparition, depuis dix-huit mois, d’une centaine de députés tentés par le lepénisme soft.

Avec la glorification sans retenue de la colonisation, les hommages aux putschistes de l’OAS ou l’homophobie, ces positions visaient d’abord à envoyer un message à une partie des électeurs. C’est le sommet d’un iceberg.

Au niveau des municipalités, des conseils généraux, des centaines d’élus s’emploient depuis longtemps à empêcher l’installation de nouveaux étrangers (mais aussi de « mauvais Français ») dans leurs villes. C’est évidemment ainsi que nous comprenons que le tiers des maires des 742 villes assujetties aux obligations de la loi SRU ont préféré faire payer tous les ans une amende à leur municipalité plutôt que de construire les logements sociaux requis.

Il y a urgence à réorienter les dynamiques politiques locales, à diminuer les pressions électorales de la frange xénophobe de l’électorat. En cela, la question du droit de vote des étrangers aux élections locales est autant une priorité pour les immigrés que pour les nationaux. Pour les premiers, confrontés aux problèmes de séjour, des discriminations visibles et souterraines, ce serait un pas vers l’égalité. Pour les seconds, ce serait un moyen de desserrer l’étau extrémiste. C’est parce qu’en France il n’y a jamais eu un parti d’extrême droite réunissant autant de suffrages sur une si longue période que ce serait prendre un risque grave de faire preuve de nouveaux atermoiements.

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  • Co-signataires

    Derniers ouvrages publiés : Driss el-Yazami (en collaboration), le Paris arabe, deux siècles de présence des Orientaux et des Maghrébins, 1830-2003 , la Découverte ; Jean-Marc Salmon (en collaboration), 21 avril 2002, contre-enquête sur le choc Le Pen, Denoël.
    Driss El-Yazami délégué général de l’association Génériques et Jean-Marc Salmon sociologue.


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