"Protégez maintenant !"

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Plateforme Euromed et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) rappellent aux ministres participant à la Conférence ministérielle euro-africaine sur « Migrations et développement » que toute les politiques migratoires doivent garantir et protéger les normes universelles relatives aux droits des migrants et des réfugiés.

Les migrations sont devenues un phénomène international qui intéresse la planète entière. Elles ne sont plus cantonnées aux flux sud/nord mais concernent aussi des pays d’émigration, devenus pays de transit ou d’accueil.

Elles sont la conséquence, d’abord, des conflits armés de toute nature, ce qui explique que ceux et celles qui fuient ces situations cherchent d’abord refuge dans des pays limitrophes. Elles sont aussi la conséquence des persécutions ou discriminations à raison d’une appartenance ethnique, religieuse ou politique. Elles résultent, encore, de l’impossibilité, quelles qu’en soient les raisons, de construire un avenir.

Les migrations iront s’amplifiant tant il est vrai que les raisons ne disparaîtront pas, qu’elles s’inscrivent dans une évolution des échanges difficilement compatible avec l’immobilisme des hommes et qu’elles sont un des éléments qui peuvent permettre un meilleur accès au savoir et aux richesses.

Il convient donc de cesser de réserver aux migrations un traitement purement policier et de les prendre en compte comme un élément naturel des échanges entre les diverses sociétés. Le droit des Etats à décider de l’accueil des étrangers ne saurait se traduire en une quasi-interdiction de circuler entre les pays, ne serait-ce que pour des raisons professionnelles, familiales ou touristiques.

Dans ce contexte, et alors que les Etats participant à la conférence de Rabat prévoient d’adopter un plan d’action contre l’immigration clandestine, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Plateforme Euromed et le Réseau euroméditérranéen des droits de l’Homme (REMDH) rappellent fermement que les politiques migratoires doivent être fondées sur le respect des normes universelles des droits de l’Homme et des conventions relatives aux droits des migrants et des réfugiés. Ces droits, garantis par les normes universelles, s’appliquent aux travailleurs migrants en situation régulière, comme à ceux en situation irrégulière.

1. Les signataires regrettent, tout d’abord, que les Etats participant à la conférence de Rabat aient écarté la question de l’asile de l’agenda de leur réunion, laissant ainsi entendre que les dynamiques migratoires actuelles (dont celles qui ont été à l’origine de la conférence) seraient uniquement et strictement d’ordre économique. A l’image d’autres régions troublées du monde, l’Afrique a connu et vit encore des crises politiques et des conflits qui débouchent sur de graves violations des droits de l’Homme aux « effets dévastateurs ». Loin d’être uniquement des migrants économiques fuyant la misère et l’extrême pauvreté, les migrants africains d’aujourd’hui sont souvent des réfugiés fuyant l’oppression, accueillis d’abord et pour l’essentiel dans les pays voisins. L’accueil de ceux et celles d’entre eux qui entament au risque de leur vie le périple qui les amène sur les rives nord du continent -et qui ne constituent qu’une minorité- est une obligation internationale et un devoir humain élémentaire. Les signataires constatent à cet égard que nombre des personnes concernées ne peuvent accéder à la détermination du statut de réfugié et que, notamment dans les pays du sud de la méditerranée ; la reconnaissance de ce statut n’implique l’attribution d’aucun droit.

Nous entendons rappeler la spécificité du droit d’asile qui ne saurait être tributaire des politiques migratoires. Ceci doit conduire à respecter pleinement la Convention de Genève sur les Réfugiés et les obligations qui en découlent. Les Etats doivent reconnaître le rôle et l’autorité du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) en même temps que ce dernier doit remplir ses fonctions conformément à la mission qui est la sienne et non au regard des intérêts des Etats. A cet égard, les ONG signataires rappellent que deux des Etats participant n’ont pas ratifié la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Dans nombre d’Etats parties à la Convention, les moyens institutionnels de gestion et de traitement individualisé des demandes d’asile ainsi que des dispositifs humanitaires de base manquent de façon criante.

2. La FIDH, la Plateforme Euromed et le REMDH constatent que les législations sur l’entrée et le séjour des étrangers en Europe deviennent de plus en plus coercitives. Elles entraînent l’adoption de législations de même nature dans les pays du sud, aux effets d’autant plus préoccupants qu’elles s’appliquent souvent dans un contexte où la garantie des droits les plus élémentaires n’est pas assurée. Nous appelons les Etats participant à la conférence de Rabat à revenir à un « droit commun » qui garantisse aux migrants, quelle que soit leur situation, le respect effectif des droits et libertés dont quiconque ne saurait être privé.

Nous demandons expressément aux Etats participant à la conférence de Rabat de modifier leurs législations pour permettre aux migrants d’exercer leurs droits. Nous demandons qu’aucun accord inter étatique ne puisse être conclu sans s’assurer que ces droits seront pleinement respectés.

Les ONG signataires relèvent avec inquiétude que seuls 10 des 58 Etats participant à la conférence, et parmi eux aucun Etat européen, ont ratifié la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
Cette Convention stipule que tous les travailleurs migrants même en situation irrégulière ont, inter alia :

  le droit de ne faire l’objet d’aucune mesure d’expulsion collective (article 22),
  le droit d’être protégé de toute forme de torture ou d’autre traitement cruel, inhumain ou dégradant (article 10),
  le droit à la vie (article 9),
  le droit en cas d’arrestation d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial, avec toutes les garanties d’un procès équitable (article 18),
  le droit à la liberté et à la sécurité, la protection effective de l’Etat contre la violence, les dommages corporels, les menaces et intimidations, que ce soit de la part de fonctionnaires ou de particuliers, de groupes ou d’institutions (article 16),
La FIDH, la Plateforme Euromed et le REMDH appellent donc l’ensemble des Etats participant à la conférence de Rabat à ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille,

3. La FIDH, la Plateforme Euromed et le REMDH regrettent la volonté des Etats participant à la Conférence de tenir la société civile éloignée de ses travaux. Alors que celle-ci est un des éléments essentiels pour lutter contre le racisme et la xénophobie et pour mieux accueillir les migrants, le refus des Etats concernés d’entendre la société civile, au-delà de consultations formelles et sans portée, est la preuve d’une attitude autiste.
Nous appelons les Etats participant à la conférence de Rabat à entendre les sociétés civiles, à prendre en compte leurs positions et propositions et à les associer à l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de tout plan d’action visant les migrations tout en veillant à adopter les mesures nécessaires au renforcement de leurs moyens d’action.


Driss EL YAZAMI
, Secrétaire général de la FIDH

Mourad ALLAL, Coordinateur de la Plateforme Euromed

Kamel JENDOUBI, Président du Réseau euro méditerranéen des droits de l’Homme

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