Contribution de l’Observatoire à la Commission d’application des normes

Monsieur le Président,

L’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT), dans le cadre de son programme conjoint avec la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, exprime sa plus vive préoccupation quant au fait que certains Etats continuent de ne pas respecter leurs obligations découlant de la Constitution de l’OIT et des Conventions 87 et 98. Ces obligations comportent non seulement le devoir de garantir le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective dans les droits internes des Etats parties, mais aussi d’en garantir la jouissance effective. Or les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels sont souvent considérés comme un obstacle à la croissance économique, alors qu’ils demandent que soient respectés les droits de l’Homme dans le cadre d’un développement durable : les dirigeants syndicaux sont les premières victimes de cette répression dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient.

En Afrique, dénoncer les violations des droits économiques, sociaux et culturels relève parfois du défi, en raison non seulement de l’ampleur de la tâche mais aussi des menaces et actes de harcèlement qu’une telle action peut susciter.
Ainsi, à Djibouti, les arrestations arbitraires de syndicalistes se sont multipliées depuis septembre 2005. Le 5 mars 2006, M. Mohamed Ahmed Mohamed, responsable aux affaires juridiques de l’Union des travailleurs du Port (UTP) de Djibouti, et M. Djibril Ismael Egueh, secrétaire général du Syndicat du personnel maritime et du service de transit (SP-MTS), ont été arrêtés et placés en garde à vue. Le 8 mars 2006, ils ont été inculpés pour « livraison d’informations à une puissance étrangère », « intelligence avec une puissance étrangère » et « outrage envers le Président de la République ». Le 6 avril 2006, la Chambre d’accusation de Djibouti ne décide de leur mise en liberté provisoire sous contrôle judiciaire.
En outre, le 1er avril 2006, les membres d’une mission conjointe mandatée par l’Observatoire et la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) se sont vus interdire l’entrée sur le territoire djiboutien, malgré l’accord verbal préalable du ministre de l’Intérieur. Bousculés et insultés, ils ont été reconduits de force dans l’avion1.
En Erythrée, M. Tewelde Ghebremedhin, M. Minase Andezion, et M. Habtom Weldemicael, trois dirigeants syndicaux, sont détenus au secret depuis le mois de mars 2005, pour avoir "encouragé une action dans leurs entreprises concernant la détérioration du niveau de vie des travailleurs". Aucune nouvelle n’a depuis pu être obtenue concernant leur situation2.
En Somalie, M. Omar Faruk Osman, secrétaire général du Syndicat national des journalistes somaliens (NUSOJ), et M. Mohamed Barre Haji, président du Conseil suprême, ont été l’objet de graves menaces de mort, en août 2005, à la veille de l’assemblée générale du syndicat.
Au Zimbabwe, les leaders syndicaux sont souvent victimes de représailles, de harcèlement judiciaire, et d’attaques en raison de leurs activités. Ainsi, près de 200 syndicalistes membres de la Confédération des syndicats du Zimbabwe (ZCTU), dont son secrétaire général, ont été arrêtés en novembre 2005 lors de manifestations contre la pauvreté et les atteintes à la démocratie. La situation de répression systématique dont sont l’objet les membres de la ZCTU a d’ailleurs contraint de nombreux syndicalistes de quitter leur domicile et vivre dans la clandestinité3.

En Asie, les syndicalistes continuent de faire l’objet d’actes de répression. Ainsi, en Chine, les autorités répriment de façon quasi-systématique et parfois très violemment toute tentative d’établir des syndicats libres. Les dirigeants ouvriers sont régulièrement arrêtés, et condamnés à des peines de prison ou à des peines de rééducation par le travail (RTL). Alors que le 23 février 2006, M. Xiao Yunliang, dirigeant syndical de la province de Liaoning emprisonné depuis mars 2002 pour "atteinte à la sûreté de l’Etat", a été libéré trois semaines avant le terme de sa peine, il reste depuis lors sous résidence surveillée. Quant à lui, M. Yao Fuxin, arrêté en même temps en mars 2002, reste détenu et devrait être libéré en mars 20094.
En Corée du Sud, une manifestation pacifique protestant contre la restructuration de l’Administration du développement rural (RDA) a été violemment réprimée le 25 mai 2006, résultant à l’arrestation de 107 membres du Syndicat coréen des fonctionnaires (KGEU), et à la détention de quatre de ses dirigeants5. Cette répression s’inscrit dans le cadre d’une campagne à l’encontre des syndicats de fonctionnaires, qui fait suite à l’entrée en vigueur, le 28 janvier 2006, de la Loi sur les syndicats de fonctionnaires. Cette loi, dont l’objectif est officiellement de garantir les droits syndicaux dans le secteur public, limite considérablement ces droits et restreint les activités syndicales.
En Iran, depuis le 15 février 2006, plusieurs dirigeants syndicaux restent détenus, dont M. Mansour Osanloo, président de l’Union des travailleurs de Sherkat e Vahed (compagnie des bus de Téhéran), et M. Yusseff Moradi, membresdu Comité exécutif de ce syndicat6.

En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, une manifestation qui dénonçait la situation politique de l’Egypte a été violemment réprimée le 30 juillet 2005, durant laquelle M. Kamal Abbas, coordinateur général du Centre des services des syndicats et des travailleurs (CTUWS), a été gravement blessé par quinze membres des forces de sécurité.
En Irak, depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les assassinats de dirigeants syndicaux se sont multipliés : le 25 janvier 2006, M. Alaa Issa Khalaf, membre du bureau exécutif de la section de Bagdad de l’Union des mécaniciens et de la Fédération générale des travailleurs irakiens (GFIW), a été assassiné par des inconnus alors qu’il revenait de son travail7. Le 27 avril 2006, M. Thabet Hussein Ali, directeur du Syndicat général des travailleurs du secteur de la santé en Irak, a été enlevé par un groupe terroriste à Bagdad. Son corps a été retrouvé le lendemain, criblé de balles, et portant des traces d’actes de torture violents8.

Monsieur le Président,

La région des Amériques, traversée par de très grandes inégalités, continue d’être celle où le plus grand nombre de syndicalistes ont été tués ou menacés de mort en 2005 ; l’activité syndicale continue par ailleurs d’y être fréquemment réprimée.
Au Brésil, le 22 mars 2006, sept policiers armés ont procédé à une fouille du siège de l’Association des femmes travailleuses rurales, dans la ville de Paso Fundo, Etat de Río Grande do Sul. Les policiers ont confisqué les disques durs des ordinateurs, des CD et des disquettes contenant des informations importantes, notamment sur les projets, les membres et la comptabilité de l’organisation.
Au Guatemala, il reste extrêmement dangereux de se battre pour la justice sociale. Par exemple, le 13 décembre 2005, M. Alfonso Ramírez García, secrétaire général du Syndicat des commerçants indépendants, a été agressé dans un parc de la municipalité de Esquipulas, et a reçu trois balles, dans le cou et le dos9.
Au Mexique, en février 2006, un ordre d’arrestation a été réactivé à l’encontre de M. Mario Álvarez Rodríguez, syndicaliste de la Centrale unitaire des travailleurs de Palenque (CUT-ONPP), par le juge de Catazajá pour "vol avec violence". Cette accusation fait référence à une ancienne accusation, pour laquelle M. Álvarez Rodriguez avait obtenu un jugement en sa faveur en 2004, l’accusation n’ayant pu fournir de preuves10.

Enfin, Monsieur le Président,

L’OMCT est particulièrement inquiète par la situation des dirigeants syndicaux en Colombie, qui continue de détenir le triste record du plus grand nombre d’assassinats de syndicalistes dans le monde, notamment par les groupes paramilitaires. Par exemple, le 2 mars 2006, M. Héctor Díaz Serrano, membre du Syndicat des travailleurs de l’industrie pétrolière (USO) et ouvrier de la Compagnie colombienne de pétrole (ECOPETROL) à Campo Casabe, a été assassiné, dans le quartier El Cincuentenario, à Barrancabermeja, département de Santander, alors qu’il se rendait à son travail11.
De nombreux dirigeants syndicaux font par ailleurs l’objet de procédures judiciaires et de détentions arbitraires sans aucune preuve des accusations portées à leur encontre. Selon les statistiques de l’Ecole nationale syndicale de Colombie (ENS), du 1er janvier au 31 décembre 2005, 70 syndicalistes ont été assassinés, 260 ont reçu des menaces de mort, sept ont fait l’objet de tentatives de mort, 32 ont été harcelés, 56 ont été arbitrairement arrêtés, huit ont été déplacés de façon forcée, un a été victime d’une fouille illégale et au moins dix ont dû quitter leurs lieux de résidence et de travail en raison des menaces de mort qu’ils avaient reçues.

Merci de votre attention.

Lire la suite