Entrée et séjour des étrangers en France : Appel pour le retrait du projet de loi.

30/05/2006
Communiqué

Lettre ouverte à Monsieur Jacques Chirac

Monsieur le Président,

Nous nous adressons à vous en tant que garant du respect des engagements internationaux souscrits par la France et des principes fondateurs de la République française par lesquels elle s’engage à défendre et promouvoir le respect des droits de l’Homme en France et dans le monde. Or, il apparaît que le projet de loi réformant le code d’entrée et de séjour des étrangers et le droit d’asile, adopté par l’Assemblée Nationale et prochainement examiné au Sénat, porte gravement atteinte à ces engagements et à ces principes.

Nous représentons des organisations issues de la société civile qui travaillent, parfois dans des conditions difficiles et périlleuses pour certaines d’entre elles, à la construction d’un Etat de droit et au respect des libertés individuelles et collectives. Nous sommes aux côtés de tous ceux et toutes celles dont les droits sont bafoués. Certains d’entre eux sont contraints de quitter leur pays, soit parce que leur liberté ou leur vie est soumise à l’arbitraire de régimes dictatoriaux, soit, plus simplement, parce qu’ils ne peuvent plus y survivre.
Nous n’ignorons pas la complexité de ce sujet qui mêle la France, l’Europe, le monde, et qui ne peut être abordé à coup de slogans ou en flattant une xénophobie toujours grandissante.

Notre propos n’est pas de plaider pour des solutions qui ignorent toutes contraintes, mais d’affirmer avec force notre refus que les victimes de ces situations déjà intolérables soient considérées comme des délinquants et des parias.

De nombreuses associations ont montré en quoi ce projet de loi, ainsi que deux textes récents ayant la même finalité, constituent autant de violations des engagements internationaux de la France, mais vont aussi contribuer à aggraver les situations déjà existantes.

C’est d’abord le droit d’asile qui est réduit à une caricature d’application de la Convention de Genève. Aujourd’hui, être demandeur d’asile, c’est d’abord être un suspect de fraude. Jamais l’on a vu autant les principes de cette Convention foulés aux pieds, ainsi d’ailleurs que le Haut commissariat aux Réfugiés, à sa manière, s’en est ému. Derrières les discours officiels garantissant l’exercice du droit d’asile, c’est en fait une confusion entre l’exercice d’un droit inaliénable et la question de l’immigration à laquelle se livre le gouvernement français.

Nous n’acceptons pas que le droit d’asile soit transformé en une variable d’ajustement des politiques d’immigration. En agissant ainsi, la France viole, non seulement la Convention de Genève, mais les principes qu’elle avait offerts au monde dès 1789.

Le projet de loi qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale s’inscrit dans un processus qui, depuis trois ans, isole les ressortissants des pays étrangers, et notamment des anciennes colonies de la France et réduit leurs droits. De plus, c’est le statut même des étrangers en situation régulière qui a été fragilisé au bénéfice, sans cesse renforcé, d’un arbitraire de l’Etat. Les dernières dispositions proposées exposent très clairement que la France s’appropriera les personnes les plus formées selon ses besoins, et uniquement selon ses besoins.
On ne peut exprimer plus crûment une volonté impériale qui réaffirme la primauté de la force sur le droit.

En durcissant considérablement le droit de vivre en famille, en rabotant les possibilités d’intégration, en créant de nouvelles situations inextricables qui ne feront que renforcer le nombre de personnes sans papiers mais non expulsables, en restreignant la possibilité de se marier entre français et étrangers (même européens), la loi présentée par le Ministre de l’Intérieur ne fait que flatter une xénophobie et un racisme dont l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme montre l’impressionnante progression.

La logique intrinsèque de telles dispositions, c’est de désigner l’Autre, celui qui n’a pas l’apparence d’un « Français » comme un fraudeur et le responsable des maux qui atteignent notre société. Ce sont les mêmes hommes politiques qui ont ainsi cru devoir expliquer la crise sociale des banlieues par la polygamie et l’immigration.
Et cette folle logique ne peut que conduire aux pires représentations. Les enfants étrangers scolarisés en France sont donc devenus, à entendre le Ministre de l’Intérieur, une « filière ». Ce ne sont plus, des familles, des gamins ou des adolescents, ce sont des réseaux assimilés à des bandes criminelles alors qu’ils ne sont coupables que de vouloir vivre. Que pensent, Monsieur le Président, des enfants lorsque des membres des forces de l’ordre viennent se saisir de leurs camarades parce qu’ils sont dénués de papiers ? Comment, dans ces conditions, désapprouver ceux et celles qui, en France, au nom de principes internationalement reconnus et admis, ont décidé de refuser ce déni d’Humanité et de restituer à ces enfants, à ces jeunes, leur existence en les protégeant, fût-ce en violant la loi ?
La portée inique de ce projet est perçue comme telle par tous les partenaires de la France et en particulier les pays d’émigration dont plusieurs de nos organisations sont issues. Les récentes manifestations auxquelles a donné lieu un déplacement du Ministre de l’Intérieur en sont un premier symptôme. Il y en aura d’autres. Si l’on peut croire, avec un certain cynisme, que la distribution d’aides suffira à estomper ces protestations, c’est oublier qu’être traité de cette manière laissera des traces profondes chez tous les peuples.
Aucun de ces peuples n’oubliera le mépris dont il est l’objet pas plus qu’il n’oubliera qu’il est devenu un instrument dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.
Vous le comprenez, c’est notre indignation et notre révolte que nous vous exprimons. Nous en appelons à votre autorité et à votre conscience afin que ce projet soit retiré et qu’un réel débat démocratique puisse avoir lieu sur ce sujet.
Pour notre part, nous mettrons tout en œuvre pour porter assistance aux victimes de cette politique. Nous serons aussi présents dans tous les forums internationaux pour rappeler à la France qu’elle ne peut tout à la fois porter l’image de la « patrie des droits de l’Homme » et instituer des lois et des pratiques qui les méprisent aussi évidemment.
C’est pourquoi, nous vous demandons d’ores et déjà, en même temps que le retrait de ce texte, que la France ratifie la Convention internationale sur le droit des travailleurs Migrants et de leurs familles.
Vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de notre haute considération.

Jean-Pierre Dubois,
Président de la ligue française des droits de l’Homme

Sidiki Kaba,
Président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme

Signataires :

 Ghechir BOUDJEMA, Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADH)
 Houcine ZEHOUANE, Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH)
 Abdelhamid AMINE,Association marocaine des droits humains (AMDH)
 Amina BOUAYACH, Organisation marocaine des droits humains (OMDH)
 Mokhtar TRIFI , Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH)
 Sihem Bensedrine, Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT)
 Roger Bouka, Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH)
 Amourlaye TOURE, Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH)
 Patrick NGOUAN, Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDO)
Brahima KONE, Association malienne des droits de l’Homme (AMDH)
Boukounta DIALLO, Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH), Sénégal
Tine ALIOUNE, Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO), Sénégal
 Fatimata MBAYE, Association mauritanienne des droits de l’Homme (AMDH)
 Julien TOGBADjA, Ligue pour la défense des droits de l’Homme (LDDH), Bénin
 Halidou OUEDRADOGO, Mouvement burkinabé des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP)
 Amigo NGONDE, Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO), République Démocratique du Congo
 Dismas KITENGE SENGA, Groupe Lotus, République Démocratique du Congo
 Khalid IKHIRI, Association Nigérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (ANDDH)
 Paul NSAPU, Ligue des électeurs (LE)
Massalbaye TENEBAYE, Ligue tchadienne des droits de l’Homme
 Jacqueline Moudeina, Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH)
João CORREIA, Civitas, Portugal
 Dan VAN RAEMDONCK, Association européenne pour la défense des droits de l’Homme (AEDH)

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