La situation des droits de l’Homme en Tunisie - Note 2003

02/12/2003
Rapport

La situation des droits de l’Homme en Tunisie, loin de s’améliorer, ne cesse de se détériorer. Contrairement au discours des autorités tunisiennes, l’analyse démontre que les violations des droits humains recensées ne relèvent pas d’actes isolés, mais constituent, par leur caractère systématique, un système délibéré. Les principes fondateurs de la démocratie, tels que la liberté d’expression et d’association, sont bafoués ; les défenseurs des droits de l’Homme harcelés ; la justice est sous tutelle ; la torture est systématique, les tortionnaires restent impunis ; et la situation carcérale est déplorable.

1)Une Constitution anti-démocratique

En dépit de la référence aux droits de l’Homme dans la constitution tunisienne, les amendements qui y ont été apportés en mai 2002 par référendum ont pour effet de restaurer pratiquement une présidence à vie en Tunisie à l’occasion des élections de novembre 2004, compromettant ainsi la démocratisation des institutions politiques.

2)les atteintes à la liberté d’expression

Atteintes à la liberté d’information
L’uniformité de l’information tant écrite qu’audiovisuelle est devenue une caractéristique de la presse en Tunisie. Les analyses et les informations publiées par différentes organisations non gouvernementales sont bannies de la presse et des medias officiels. La publication d’un journal requiert l’autorisation préalable du Ministère de l’intérieur et la très grande majorité des organes de presse indépendants ou d’opposition ont été interdits. De plus, le 26 juin 2003, une nouvelle disposition du code électoral a par ailleurs interdit à tout Tunisien de s’exprimer sur un média audiovisuel étranger en faveur ou à l’encontre d’un candidat aux élections présidentielles, et ce durant la campagne électorale. C’est ainsi que toute infraction à cette « loi » est passible d’une amende de 20.000€, ou à défaut de paiement, d’une peine non réductible de 2 ans de prison.
De nombreux journalistes ont été emprisonnés à l’instar de Hamadi Jebali, détenu depuis plus de douze ans et d’Abdallah Zouari, condamné une nouvelle fois au terme, de 11 années de détention, pour non-respect de l’astreinte à la résidence administrative, imposée de façon illégale.
L’information sur Internet fait également l’objet d’un contrôle étroit. Ainsi, les sites des organisations de défense des droits de l’Homme tunisiennes (CNLT, LTDH, RAID), des partis d’opposition, des ONG internationales (Humain Rights Watch, FIDH, Amnesty International ...), des organes d’information (Libération, perspectives tunisiennes, RSF etc.) sont inaccessibles depuis la Tunisie. Entre le 5 et le 9 février 2003, 17 jeunes âgés de 18 à 22 ans ont été arrêtés à Zarzis pour avoir consulté des sites Internet interdits en Tunisie. Il leur serait reproché d’avoir mené des activités subversives par le biais d’Internet et d’avoir consulté le site interdit du parti islamiste Nahda ! Six d’entre eux sont encore détenus. Zouhayr Yahyaoui, fondateur et principal animateur du site TUNeZINE a été condamné en juin 2002 à 2 ans de prison ferme pour « propagation de fausses nouvelles ». Il a fait l’objet d’une libération conditionnelle le 18 novembre 2003.

Les prisonniers politiques

Plus de 600 prisonniers politiques sont encore aujourd’hui détenus dans les prisons tunisiennes. Les prisonniers tunisiens, et notamment les prisonniers d’opinion, sont encore victimes de traitements inhumains et dégradants et sont souvent privés des soins vitaux que requiert leur état de santé. Le cas de M. Habib Raddadi, détenu politique condamné à 17 ans de prison et récemment décédé en cours de détention est une nouvelle illustration tragique de cet état de fait. A cela il faut ajouter le maintien en isolement auquel sont soumis 35 détenus politiques, dont certains depuis plus de 12 ans, en violation flagrante de la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.
Lofti Farhat, résident en France, a été arrêté le 2 août 2000, alors qu’il rentrait en Tunisie en vacances. Il a été détenu au secret au delà de la période de garde à vue autorisée et a été condamné à 7 ans de prison le 31 janvier 2001 par un tribunal militaire pour « complot contre l’Etat », alors même que ses aveux ont été obtenus sous la torture. Lofti Farhat a entamé une grève de la faim le 18 novembre dernier.
Les prisonniers libérés sont continuellement harcelés et régulièrement tenus de se présenter au poste de police. De plus, ces derniers se voient interdire l’exercice de toute activité professionnelle que ce soit dans l’administration publique ou dans le secteur privée. Ces harcèlements et ces tracasseries concernent plus d’un millier de personnes et certains de leurs proches. Outre les privations de passeport qui se chiffrent par dizaines, des opposants dont certains anciens détenus continuent à être privés de la possibilité de quitter le pays. M. M’hamed Ali Bedoui, frère du Dr Moncef Marzouki ancien présdident de la LTDH, est ainsi interdit de quitter le territoire bien qu’il dispose de son passeport et d’un visa touristique "Schengen" alors qu’il ne fait l’objet d’aucune procédure judiciaire

3)les atteintes à la liberté d’association

Outre la liberté de fonder des partis politiques qui est inexistante en Tunisie, la liberté d’association reste grandement entravée par des mesures bureaucratiques et de nombreuses demandes d’autorisation ne sont jamais accordées. C’est ainsi que parmi les 7000 associations officiellement recensées, moins d’une douzaine sont réellement indépendantes. En même temps, d’autres associations, dont le Conseil national des libertés en Tunisie, l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, l’Association de lutte contre la torture, le Centre tunisien pour l’indépendance de la justice et des avocats, le Rassemblement pour une alternative internationale de développement, la Ligue des écrivains tunisiens libres sont toujours en attente de l’autorisation leur permettant d’exercer en toute légalité.

Les entraves judiciaires au fonctionnement des associations

La Ligue Tunisienne de défense des droits de l’Homme fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires à la suite de plaintes déposées par des adhérents de la Ligue, membres du parti au pouvoir RCD. Le 21 novembre, la LTDH a ainsi comparu le 24 novembre 2003 en référé du tribunal de 1ere instance de Tunis à la suite d’une plainte demandant l’annulation de la décision du Comité directeur de fusionner deux sections de la Ligue. Le journal « Echourouk » avait déjà annoncé dimanche 23 novembre 2003 que le juge en référé avait décidé l’annulation de la décision du comité directeur.

Entraves au financement des associations

Les autorités tunisiennes veulent désormais imposer à toute association la demande d’une autorisation préalable avant de recevoir des fonds de bailleurs étrangers telle la Commission européenne. Ce faisant, elles se fondent, de façon abusive sur un texte de 1923 qui concerne, normalement, uniquement les collectes de fonds, auprès du public, en Tunisie. Dans le cadre de l’Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’Homme (IEDDH), la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme a obtenu un financement de l’UE permettant sa restructuration. La 1ère tranche de ce programme a pu être exécutée mais les autorités tunisiennes bloquent depuis peu l’exécution de la seconde au moment où la ligue vient d’obtenir, toujours dans le cadre de l’IEDDH, un nouveau financement plus important pour un programme concernant l’accès à la justice.

4)Le harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme

Les défenseurs des droits de l’Homme tunisiens, les avocats, magistrats et leur famille font l’objet de harcèlement et d’une répression toujours croissants. C’est ainsi que se sont multipliées les agressions physiques à l’encontre des opposants, des défenseurs des droits de l’Homme, avocats et magistrats, dont le bâtonnier de l’Ordre des Avocats Me Béchir Essid, les membres du Conseil de l’Ordre des Avocats, Me Raouf Ayadi et Me Mohamed Jmour ou encore l’ancien juge Mokhtar Yahyaoui, démis de ses fonctions et interdit de quitter la Tunisie pour avoir osé dénoncer le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire tunisien. Ce recours à la violence a été récemment illustré par les agressions physiques dont ont été l’objet le secrétaire général de l’UDU (Union démocratique unioniste), Abderrahmane Tlili détenu depuis plus de deux mois, Me Saida Akremi, Me Radhia Nassraoui ainsi que M. Mouldi Jendoubi, défenseur des droits de l’Homme et secrétaire général de l’union régionale de Jendouba de la centrale syndicale tunisienne (UGTT). La liberté de circulation des défenseurs est largement entravée. Certains sont empêchés de quitter le territoire, d’autres, comme Kamel Jendoubi, président du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) et vice-président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme s’est vu refuser le renouvellement de son passeport. Le refus opposé à Monsieur Abdelatif Mekki de poursuivre ses études de médecine est révélateur de l’acharnement des autorités tunisiennes à l’égard des anciens prisonniers d’opinion. M. Mekki, ancien secrétaire général de l’UGTE, le syndicat étudiant d’obédience islamiste, a purgé une peine de huit ans de détention au terme desquels il est réduit au chomage et empêché, non seulement de reprendre des études de médecine largement entamées, mais aussi de poursuivre un troisième cycle de biologie auquel il était parvenu à s’inscrire il y a deux ans.

Le cas de Radhia Nasraoui

Me Radhia Nasraoui. Avocate et défenseur des droits de l’Homme, se trouve actuellement au 41ème jour d’une grève de la faim qui fait désormais craindre pour sa vie. Le 15 octobre dernier, Me Nasraoui a entamé une grève de la faim pour protester contre les nombreuses entraves dont elle fait l’objet dans sa profession d’avocat, et contre le harcèlement de sa famille, de son entourage et de ses clients. Comme nombre de défenseurs des droits de l’Homme, avocats et magistrats, elle fait l’objet depuis des années d’un harcèlement constant : téléphones coupés, surveillance systématique, entraves à la liberté de circulation, agressions, saccage de son cabinet, etc.

Le cas de Om Zied

Mme Neziba Rejiba, alias Om Zied, rédactrice en chef du magazine en ligne « Kalima » - interdit par les autorités tunisiennes - et membre fondatrice du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), a été condamnée le 18 novembre à huit mois de prison avec sursis et à une peine d’amende de 1200 dinars tunisiens, sous l’accusation de « détention illégale de devises étrangères » pour avoir remis une somme de 170 euros à un proche exilé politique tunisien vivant en France.

5)Une justice aux ordres

Les observateurs internationaux présents lors des récentes audiences des procès contre l’Ordre national des avocats, ou contre la LTDH et la dizaine de procès politiques des derniers mois ont pu constater que la justice tunisienne est instrumentalisée à des fins de répression de toute voix discordante. Le récent refus de la part du gouvernement tunisien de mettre en place un programme MEDA de la Commission européenne relatif à la réforme de la justice et son insistance à ne consacrer les 25 millions prévus qu’à des rénovations de matériel et d’infrastructures notamment pénitenciaires, s’inscrit dans le cadre de la volonté des autorités tunisienne de maintenir leur monopole et leur main mise sur le fonctionnement de la justice tunisienne.
Bien avant les attentats criminels du 11 septembre 2001 aux Etats Unis et de Djerba en avril 2002, les autorités tunisiennes avaient pris des mesures qui, sous couvert de "lutte contre le terrorisme", visaient à réprimer toute dissidence politique. La définition du "terrorisme" dans la législation tunisienne, et tout particulièrement celle figurant à l’article 52 bis du Code pénal, autorise toutes sortes d’abus en raison de son caractère vague. La nouvelle loi "anti terroriste" dont le projet a été rendu public risque de criminaliser davantage des activités relevant de l’action politique ou associative contestataire et de mettre encore plus en péril les droits humains et les libertés fondamentales.

6)Torture et situation dans les prisons

La situation dans les prisons tunisiennes est particulièrement préoccupante. Les ex-détenus témoignent d’un traitement brutal et dégradant au mépris de toute dignité humaine. Les détenus sont souvent maltraités (brutalités, insultes, isolement, manque de soins, conditions de visite difficiles ...) et les règlements non respectés. Pour protester contre les conditions de détention, de nombreux prisonniers entament régulièrement des grèves de la faim. Ainsi, des prisonniers d’opinion ( islamistes) à la prison de Borj el Amri parmi lesquels M Abdellatif Bouhjila ,Bouraoui Makhlouf , Ridha Saidi Lotfi Snoussi Khaled Kaouach Med Nejib Louati et Mokdad Arbaoui ont entamé la semaine dernière une grève de la faim pour protester contre les mauvaises conditions carcérales.
Selon des sources concordantes, une cinquantaine de détenus politiques souffriraient de maladies graves des suites des sévices, des conditions de détention et du manque de soin.

7) Le problèmes des migrations

Enfin, l’approche exclusivement sécuritaire qui prévaut de plus en plus en Europe en matière de politique des migrations a pour conséquence une aggravation du phénomène de l’émigration illégale avec la multiplication des filières clandestines d’exploitation des migrants, dont un nombre croissant connaissent le sort tragique des naufragés particulièrement au large des côtes italiennes.

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