Tchétchénie : la Russie condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme ... Enfin !!!

25/02/2005
Communiqué

La FIDH et le centre des droits de l’Homme Mémorial se félicitent des décisions prises ce jour par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui condamne catégoriquement la Russie pour les crimes commis sous la responsabilité de l’Etat en Tchétchénie.

En effet, dans les trois affaires concernant 6 plaignants tchétchènes contre la Russie, la CEDH a spectaculairement désavoué les autorités russes, et les a condamnées à verser des dommage-intérêts. Ces décisions étaient attendues depuis quatre ans. C’est la première fois que la responsabilité internationale de l’Etat russe est ainsi reconnue par un organe quasi-judiciaire de protection des droits de l’Homme - et non des moindres.

La Cour a particulièrement dénoncé l’impunité dont ont pu jouir les auteurs des violations des droits de l’Homme commises dans les trois affaires. En effet, dans ses arrêts rendus publics aujourd’hui (disponibles sur http://www.echr.coe.int) la CEDH précise que :

"dans les présentes affaires, les enquêtes pénales se sont révélées ineffectives à raison d’un manque d’objectivité et de minutie, emportant ainsi ineffectivité de tous autres recours qui pouvaient exister, y compris ceux de nature civile. La Cour estime donc que l’Etat a manqué à ses obligations découlant de l’article 13 de la Convention."

Par ailleurs, dans les trois affaires, les juges de la CEDH ont clairement dénoncé les violations répétées de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme (droit à la vie), ainsi que, dans deux dossiers, aux articles 3 (sur la torture) et 13 (droit à un recours effectif). Enfin, dans un cas, la Cour a conclu à une violation de l’article 1 du protocole 1, concernant la protection de la propriété.

Pour les 6 cas, la Cour a rejetté l’exception préliminaire du Gouvernement russe et dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention.

 Dans l’Affaire Khachiev et Akaïeva, la Cour a établi que "les proches des requérants ont été tués par des militaires. Aucune autre explication plausible concernant les circonstances des décès n’a été fournie, ni aucun motif invoqué pour justifier le recours à la force meurtrière par des agents de l’Etat. Dès lors, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention."

En outre, "les autorités sont restées en défaut de mener une enquête pénale effective sur les circonstances ayant entouré les décès des proches des requérants. En conséquence, il y a eu violation de l’article 2 aussi de ce chef."

 Dans l’Affaire Issaïeva, Youssoupova et Bazaïeva, la Cour a constaté que "les requérantes ont été attaquées par des avions au moyen de missiles, et que durant cette opération les deux enfants de la première requérante ont été tués et les première et deuxième requérantes ont été blessées." Elle précise qu’"un armement extrêmement puissant a été utilisé - selon les conclusions de l’enquête interne, 12 missiles S-24 air-sol non guidés ont été tirés. Lorsqu’il explose, chaque missile se fragmente en plusieurs milliers d’éclats d’obus et son champ d’impact dépasse 300 mètres. Toute personne se trouvant sur cette portion de la route à ce moment-là était en danger de mort."

De plus, selon la Cour, "le Gouvernement n’a invoqué les dispositions d’aucun texte interne régissant le recours à la force par ses agents en pareille situation, élément qui est aussi directement pertinent quant à la proportionnalité de la réponse à l’attaque alléguée (...)

Dès lors, sous réserve d’admettre que les militaires poursuivaient un but légitime, la Cour considère, en tout état de cause, que l’opération du 29 octobre 1999 n’a pas été préparée et exécutée avec les précautions nécessaires à la protection des vies civiles. Il y a donc eu violation de l’article 2 de la Convention."

Enfin, là encore, "les autorités sont restées en défaut de mener une enquête effective au sujet des circonstances de l’attaque menée sur le convoi civil le 29 octobre 1999."

 Dans l’Affaire Zara Issaïeva, la CEDH conclut que "la requérante et ses proches ont été attaqués alors qu’ils essayaient de fuir des combats de grande ampleur et de quitter Katyr-Yourt par ce qu’ils estimaient être une sortie sécurisée." Une bombe lancée d’un avion militaire a explosé près de leur minibus, tuant le fils et les trois nièces de la requérante et blessant l’intéressée elle-même et ses autres proches.

La Cour précise en outre que "l’opération militaire à Katyr-Yourt, qui visait à désarmer ou à éliminer les combattants, n’avait rien de spontané", et a également jugé évident que "lorsque les militaires ont envisagé le déploiement d’avions équipés d’armes de combat lourdes dans un secteur habité, ils avaient le devoir de considérer les risques inhérents à une telle mesure."

Les militaires ont en effet "utilisé des bombes aériennes à chute libre et à effet de souffle de type FAB-250 et FAB-500, dont le rayon de destruction dépasse 1000 mètres". Selon la Cour "l’utilisation de ce type d’armes dans une zone habitée hors temps de guerre et sans évacuation préalable des civils est inconciliable avec le degré de précaution requis de tout organe d’application de la loi dans une société démocratique."

La Cour a reconnu que "Les autorités sont restées en défaut de mener une enquête effective sur les circonstances de l’assaut donné sur Katyr-Yourt du 4 au 7 février 2000."

Pour la FIDH et le centre des droits de l’Homme Mémorial, les crimes condamnés par la CEDH, sont caractéristiques d’une situation de violations graves et systématiques des droits de l’Homme commises en Tchétchénie, et dénoncées depuis des années par les organisations des droits de l’Homme nationales et internationales.

A l’heure de la pseudo-"normalisation" avancée par l’administration du président Poutine pour cuvrir la persistance de violations quotidiennes des droits de l’Homme, et alors que la communauté internationale a failli jusqu’à ce jour à son obligation de protéger les populations civiles en Tchétchénie, les arrêts rendus aujourd’hui par la Cour européenne, sonnent comme un désaveur cinglant de la politique du chèque en blanc menée à l’égard de la Russie par l’ensemble de ses partenaires.

La FIDH et le centre des droits de l’Homme Mémorial lancent avec force un appel à l’ensemble des Etats concernés de tirer les conséquences politiques des décisions historiques rendues aujourd’hui par la CEDH. Nos organisations appellent en particulier les Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne à présenter une résolution sur la situation en Tchétchénie lors de 61ème session de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU qui s’ouvre le 14 mars prochain.

Contact presse : Gaël Grilhot : +33-1 43 55 25 18

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