Intervention de la FIDH à la 36ème CADHP : Lutte anti-terrorisme et droits de l’Homme

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) condamne de manière absolue tout recours au terrorisme. Les attentats commis à l’encontre d’une population civile ne peuvent trouver quelconque justification et leurs auteurs et commanditaires doivent être poursuivis en justice et sanctionnés, dans le strict respect des normes universelles de protection des droits de l’Homme.

La FIDH constate cependant avec inquiétude que les politiques et législations anti-terroristes dans de nombreux pays d’Afrique et notamment depuis le lancement de la « campagne internationale contre le terrorisme » qui a suivi les évènements tragiques du 11 septembre 2001 ont favorisé des pratiques attentatoires aux droits de l’Homme.

Instruments régionaux de lutte anti-terroriste

Face aux attentats terroristes que l’Afrique a connu sur son sol, l’OUA puis l’UA s’est organisée pour définir un cadre juridique régional propre à la lutte contre le terrorisme. La Convention d’Alger a été adoptée le 10 juillet 1999 et est entrée en vigueur en septembre 2002 avec la ratification de 15 Etats.

La FIDH se félicite que cet instrument stipule à son article 22 que rien dans « cette Convention ne doit être interprétée comme pouvant déroger avec les principes généraux du droit international, en particulier des principes du droit international humanitaire et de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ».

Néanmoins la FIDH constate que certains termes de la Convention porte en eux une dérive possible vers la violation des droits fondamentaux de la personne humaine. Notamment, l’acte terroriste y est défini de manière particulièrement large, incluant tout acte en violation du droit pénal d’un pays " visant à intimider, faire peur, forcer, obliger, ou induire un gouvernement, un corps ou une institution, l’opinion publique (..) à faire ou obtenir tout acte, ou à adopter ou abandonner un engagement particulier ", " interrompre tout service public... " " créer une insurrection générale ". Cette définition fait craindre que tombent sous le coup de l’infraction terroriste un très grand nombre d’actes, y compris d’opposition légitime et conforme aux droits universels de la personne.

Ces critiques formulées à l’encontre de la Convention africaine pour la lutte contre le terrorisme sont également valables s’agissant de la Convention arabe pour la suppression du terrorisme adoptée le 22 avril 1998 au Caire par le Conseil des ministres de la justice de la Ligue des Etats arabes, dont les formulations sont encore plus extensives.
La Convention arabe a en outre mis en place plusieurs mesures concernant l’extradition dont notamment la création dans chaque Etat partie d’une base de données informatisée sur " les groupes terroristes ", l’échange d’informations entre les polices des divers pays, la surveillance des mouvements des " groupes terroristes " et enfin l’extradition de toute personne impliquée par la justice de son pays d’origine dans une " activité terroriste " et réfugiée dans un autre pays arabe. L’usage quasi-systématique de la torture, la pratique étendue de la détention au secret, le contrôle strict de la justice par le pouvoir exécutif et l’existence de juridictions d’exception (cours de sûreté de l’Etat, tribunaux militaires, ...) dans plusieurs pays de la région, soumis parfois depuis des décennies à l’Etat d’urgence, font craindre le pire.

Des législations d’exception contraires au principe fondamental de légalité

En Egypte , le maintien de l’Etat d’urgence depuis 1981 sous prétexte de danger terroriste favorise tous les excès, et en particulier des violations du droit à un procès équitable devant des tribunaux d’exception.

L’ Algérie vit toujours sous l’état d’urgence, instauré par un décret du 9 février 1992, ce qui permet aux autorités de l’Etat de jouir de pouvoirs extraordinaires et notamment, le droit de détenir toute personne dont l’activité se révèle dangereuse pour l’ordre et la sécurité publics. Cette législation d’exception viole notamment le droit de rassemblement pacifique.

Des législations nationales légitimant des pratiques contraires aux droits de l’Homme

Une définition trop large de l’acte terroriste

Une loi anti-terroriste a été adoptée en Tunisie le 12 décembre 2003, qui fait craindre une criminalisation d’activités relevant de l’action politique ou associative contestataire et de mettre encore plus en péril les droits humains et les libertés fondamentales. Cette crainte ressort également de la lecture des législations anti-terrorisme rwandaise , soudanaise , mauricienne , marocaine , ou d’autres projets de lois comme en Afrique du Sud .

L’acception trop large du terme terrorisme peut amener certaines dérives. Ainsi, en Mauritanie en mai 2003, les autorités justifient au nom de la lutte antiterroriste l’arrestation de plusieurs personnalités, magistrats, professeurs, imams, étudiants. Le Premier Ministre de Mauritanie, Cheikh El-Avia Ould Mohamed Khouna, qualifie les personnes arrêtées de "terroristes islamistes à la solde de pays étrangers", et a affirmé qu’ "elles constituaient une menace réelle sur le pays". Ces arrestations intervenaient en fait dans un contexte préélectoral et relevaient d’une stratégie visant à museler toute forme d’opposition. Pour preuve, toutes les personnes arrêtées ont été relâchées en août 2003 sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elles.

Au Zimbabwe , en novembre 2001, le porte parole du gouvernement a accusé par voie de presse 6 journalistes qui avaient travaillé pour des médias étrangers d’être des terroristes parce que leur reportage sur la violence politique dans le pays étaient des distorsions des faits.

Violation des règles relatives au droit à un procès équitable

Dans plusieurs pays, la lutte contre le terrorisme a justifié un certain nombre de violations du droit à un procès équitable : arrestations et détentions arbitraires, tortures, violation du droit de la défense...
En Tanzanie , le ministre de l’Intérieur a le pouvoir de déclarer, sans consultation, qu’une personne est un terroriste international et la police peut arrêter, sans mandat d’arrêt, toute personne dont on a toutes les raisons de suspecter qu’elle a commis un crime lié à un acte terroriste.
Au Kenya , le projet de loi antiterroriste prévoit la possibilité pour les forces de l’ordre d’utiliser la force dans l’accomplissement de leur mandat dans la lutte contre le terrorisme.
Il est avéré que l’usage de la torture a augmenté suite à la campagne de lutte contre le terrorisme menée dans certains pays africain comme cela a été prouvé en Ouganda
Le projet de loi antiterroriste en Afrique du Sud prévoit la détention sans jugement pour raisons d’interrogatoire pour une période allant jusqu’à 14 jours.
Depuis les attaques terroristes du 16 mai 2003 au Maroc , entre 2000 et 5000 personnes ont fait l’objet d’interrogatoires policiers dans des conditions fort peu claires.
Au Malawi , 5 personnes ont été arrêtées en juin 2003 et détenues depuis au secret sans avoir accès à leurs avocats.
En Tunisie , entre 2001 et 2002, les autorités ont fait de plus en plus appel aux tribunaux militaires pour juger les présumés terroristes.
Au Soudan , la loi antiterroriste donne la possibilité au Président de la Cour Suprême de créer des Cours antiterrorites.
Selon la loi mauricienne, le procès d’un auteur présumé de terrorisme peut être interdit au public.

La violation du droit à la vie

L’obligation faite par la Convention d’Alger aux Etats de qualifier dans leur législation les actes de terrorisme comme des crimes et de les « pénaliser » en « tenant compte de leur gravité » a poussé la plupart d’entre eux à imposer la peine de mort. C’est le cas de l’ Egypte et du Maroc où, en 2003, Lekbir Koutoubi et autres ont été condamné à mort pour actes terroristes.

Violation de la liberté d’expression

Le simple fait de publier ou communiquer des informations sur le terrorisme peut être répréhensible dans un certain nombre de pays d’Afrique.
Au Maroc , en juin 2003, l’éditeur de l’hebdomadaire Al Ousboue a été arrêté pour avoir publié la lettre d’un groupe inconnu revendiquant trois des cinq attentats qui avaient eu lieu à Casablanca.
En Tunisie , le 6 juillet 2004, six jeunes « internautes » originaires de Zarzis ont été condamnés par la Cour d’appel de Tunis à 13 ans de prison ferme notamment pour "entreprise terroriste", à l’issue d’un procès inique où des aveux ont été extorqués sous la torture.
En Erythrée , l’arrestation de tout commentateur indépendant dans la presse ou à la radio semble être une pratique systématique appuyée sur la lutte contre le terrorisme.

Conclusion

La lutte contre le terrorisme, légitime et nécessaire, ne peut se faire au mépris des normes internationales de protection des droits de l’Homme sous peine de nourrir le terreau déjà fertile des entreprises terroristes. Il faut pour répondre à l’illégalité par la légalité et montrer que le droit prime sur la violence.

La FIDH recommande à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples d’adopter le projet de résolution sur la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales proposé par la FIDH et endossé par le Forum des Ong.

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