Union européenne et droit d’asile : de graves menaces à la protection des réfugiés

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et son association membre, l’Association européenne de défense des droits de l’Homme (FIDH-AE) sont extrêmement préoccupées quant à la proposition italo-allemande de mettre en place des « portails » d’immigration hors du territoire européen. Selon cette formule, rendue publique lors d’une réunion des ministres de l’Intérieur des deux pays tenue à Lucca, en Toscane, le 12 août 2004, ces « portails » verraient le jour dans des pays dont les candidats à l’émigration sont originaires ou par lesquels ils transitent (comme par exemple la Libye). Ils seraient chargés de « trier » les demandeurs d’asile et les migrants souhaitant accéder au territoire européen, dans le but de contribuer à réguler l’afflux de candidats africains à l’asile et à l’immigration. « Il s’agit de prendre des mesures d’urgence pour traiter de la situation en Méditerranée parce qu’on ne peut pas laisser les gens se noyer », a commenté Otto Schilly, ministre allemand de l’Intérieur.

La FIDH et la FIDH-AE partagent les inquiétudes du ministre allemand de l’Intérieur quant au sort des migrants et des candidats à l’asile qui tentent tout au long de l’année, au péril de leur vie, de rejoindre le continent européen. Toutefois, nos organisations s’opposent à toute initiative ayant pour effet de décharger les Etats membres de l’UE des responsabilités qui leur incombent en vertu de la Convention de Genève relative aux réfugiés et de les rejeter sur des pays qui accueillent déjà un bien plus grand grand nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile.

Nos organisations rappellent les arguments développés par la Commission européenne dans sa communication « Vers des régimes d’asile plus accessibles, équitables et organisés »1. Dans cette communication, la Commission souligne le fait que la compatibilité de la création de centres de transit avec la législation de l’UE, les legislations nationales, les legislations des pays où devraient se situer ces centres, ainsi qu’avec la Convention européenne des droits de l’Homme n’était pas garantie. La question de savoir sous quelles règles procédurales (de l’UE ou nationales) ces centres seraient régis se pose également. La FIDH et la FIDH-AE craignent que les mesures de protection dont bénéficient les demandeurs d’asile dans l’UE ne soient diminués dans ces zones, en raison de l’insécurité de leur statut légal. En effet, nombre de pays du Sud de la Méditerranée ne sont pas partie à la Convention de Genève de 1951 relative au Statut des réfugiés. De plus, les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme ratifiés par les Etats de la région y font l’objet de multiples violations. En outre, les organisations non-gouvernementales qui contribuent à créer un environnement sûr pour les réfugiés sont très fragiles - voire inexistantes - dans ces Etats.

La FIDH et la FIDH-AE s’inquiètent de ce que cette politique ne conduise également à limiter les demandes d’asile des victimes de persécution originaires des pays où sont installés ces "portails", ce qui constituerait une violation flagrante du droit à demander asile tel que garanti par la Convention de 1951 relative au Statut des réfugiés et l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Par ailleurs, la FIDH et la FIDH-AE soulignent qu’en vertu de l’article 67§2 du Traité instituant la Communauté européenne, seule la Commission européenne détient, depuis le 1er mai 2004, le droit d’initiative législative en ce qui concerne les mesures du titre IV du traité (immigration, asile, visas et frontières). Nos organisations exhortent donc la Commission à ne pas faire de propositions allant dans le sens de l’initiative italo-allemande. A ce propos, la FIDH et la FIDH-AE dénoncent les propos du futur commissaire à la Justice, liberté et sécurité, Rocco Buttiglione, selon qui l’idée de créer en Afrique du Nord des camps de demandeurs d’asile pour l’UE lui paraissait « bonne ».

Enfin, la FIDH et la FIDH-AE s’inquiètent tout particulièrement du récent accord conclu entre l’Italie et la Libye qui prévoit la participation de l’Italie à la construction en Libye de trois centres d’accueils pour les immigrés clandestins en provenance d’Afrique centrale. Ces camps devraient servir dans un premier temps à héberger des immigrés avant leur rapatriement dans leur pays d’origine. La FIDH et la FIDH-AE rappellent que la Libye est responsable de graves violations des droits de l’Homme et que les droits des travailleurs migrants et des migrants en transit y sont constamment bafoués. En outre, il existerait d’ores et déjà des camps de rétention pour migrants au Sud du pays.

La FIDH rappelle qu’elle n’est pas autorisée à ce jour à se rendre en Libye pour y réaliser une enquête indépendante.

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