Tunisie- Procès Nessma TV : Une audience sous tension

25/01/2012
Communiqué

A l’issue de sa mission d’observation judiciaire de l’audience du 23 janvier dans le cadre du procès intenté à l’encontre du directeur de la chaîne satellitaire privée Nessma TV et de deux co-accusés, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) s’inquiète du climat de tension qui entoure cette affaire en Tunisie.

Après la diffusion par la chaîne Nessma TV du film d’animation Persépolis doublé en dialecte tunisien suivi d’un débat sur l’intégrisme, des poursuites ont été déclenchées à l’encontre du directeur de la chaîne Nabil Karoui sur le fondement des articles 44 et 48 du code de la presse (“offense commise (…) envers l’un des cultes dont l’exercice est autorisé”) alors en vigueur et des articles 226 et 226 bis du code pénal (outrage public à la pudeur et atteintes aux bonnes mœurs et à la morale publique) [1]. Le responsable du visionnage au sein de Nessma TV et la personne responsable du doublage du film, Nadia Jemmel, Présidente d’une association de défense des droits des femmes sont également poursuivis dans le cadre de cette affaire pour complicité. Une première audience tenue le 17 novembre 2011 avait été reportée au 23 janvier 2012, à la demande de la défense.

“Cette audience a été marquée par un certain nombre de pressions exercées par la présence d’une foule devant le palais de justice qui brandissait le drapeau noir et qui s’en est prise physiquement à quelques personnes” a déclaré Karim Lahidji, Vice-président de la FIDH et l’un des observateurs de la FIDH au procès.
Les manifestants rassemblés devant le tribunal scandaient des slogans à l’encontre des accusés, les traitant de “mécréants” et de “vendus à l’Occident”. Plusieurs personnes venues exprimer leur solidarité aux accusés ont été violemment prises à partie par les manifestants et deux d’entre elles, un journaliste, Ziad Krichen et un universitaire, Hamadi Redissi, ont été frappées par les manifestants sans que les agents de police présents n’interviennent.

Les observateurs ont également relevé des dysfonctionnements dans la salle d’audience. “Il est regrettable que les autorités judiciaires tunisiennes n’aient pas pris leurs responsabilités pour garantir que cette affaire sensible soit jugée sereinement et conformément au droit” a souligné Antoine Garapon, magistrat également mandaté par la FIDH pour observer ce procès.

L’organisation du procès a été de façon générale déficiente. Alors que la première audience tenue le 17 novembre 2011 avait suscité une forte mobilisation politique et des affrontements autour de cette affaire, aucune mesure n’a été prise pour disposer d’une salle d’audience plus vaste, ni pour organiser les débats de la façon la plus sereine possible. La constitution de plus d’une vingtaine de nouvelles parties civiles à l’audience du 23 janvier a renforcé la confusion qui régnait dans la salle d’audience.

Suite à une demande des parties civiles, l’audience qui s’est tenue devant la Chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis, a été reportée au 19 avril 2012. Deux motifs ont été invoqués par les parties civiles pour justifier leur demande de report : la possibilité pour les nouvelles parties civiles constituées de prendre connaissance du dossier et la demande au Ministère public de se saisir pour requalifier les faits reprochés aux prévenus sur la base d’une nouvelle incrimination prévue par le nouveau code de la presse.

En effet, le 2 novembre 2011, un nouveau code de la presse a été promulgué. Ce code de la presse aujourd’hui en vigueur, a abrogé l’intégralité des dispositions de l’ancien code de la presse et ne comprend plus dès lors les dispositions des articles 44 et 48, sur lesquelles les poursuites étaient jusqu’alors en partie fondées. Le décret loi n°115 du 2 novembre 2011 portant nouveau Code de la presse a introduit un article 52 qui prévoit “Est puni d’un à trois ans de prison et une amende de 1000 à 3000 dinars quiconque appelle à la haine entre les races, les religions ou la population et ce en incitant à la ségrégation ou en utilisant des moyens hostiles ou violents ou en propageant des idées racistes”.

La FIDH dénonce une nouvelle fois cette procédure qui constitue une violation flagrante de la liberté d’expression. Elle prend bonne note des déclarations du chef du gouvernement affirmant l’attachement des autorités tunisiennes à la protection de la liberté d’expression et dénonçant les violences perpétrées à l’encontre de journalistes et personnes venues soutenir les prévenus. Alors que d’autres violences similaires ont été enregistrées à plusieurs reprises ces dernières semaines et continuent aujourd’hui encore d’être perpétrées, notamment à Sejnane et à l’université de la Manouba où des individus identifiés comme appartenant à des groupes salafistes ont forcé les portes de salles d’examen pour empêcher le déroulement de ceux-ci, la FIDH appelle les autorités tunisiennes à prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir de tels actes et de faire en sorte qu’ils ne puissent plus être commis en toute impunité. Elle les appelle également à garantir la liberté d’expression conformément aux obligations internationales de la Tunisie, en particulier l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

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