« Tous les auteurs et les commanditaires devraient être punis, pour l’exemple »

01/06/2011
Communiqué
RDC

Interview de Dolly Ibefo, directeur exécutif de la Voix des sans voix (RDC)

M. Dolly Ibefo, il y a un an, Floribert Chebeya, directeur exécutif de la Voix des sans voix (VSV) et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, et Fidèle Bazana, membre de la VSV, étaient assassinés à Kinshasa. Alors que les organisations de la société civile congolaise rendent hommage à nos deux amis défenseurs, pouvez-vous revenir sur ce qui s’est passé dans la nuit du 1er au 2 juin 2010 ?

En novembre 2009, la Voix des sans voix (VSV) menait une enquête sur les cas d’officiers, militaires et policiers, originaires de la province de l’Équateur, arrêtés par la Commission de sécurité dirigée par le général John Numbi, inspecteur général de la police. Contestant la légalité de la procédure menant à leurs arrestations et détentions, le président de la VSV, Floribert Chebeya, a émis le souhait de rencontrer M. Numbi. Plusieurs lettres de demandes de rendez-vous sont restées sans suite. En avril 2010, M. Chebeya a rencontré M. Numbi lors d’une réception à l’Ambassade du Canada. Bien qu’à cette occasion M. Numbi ait assuré M. Chebeya de la tenue d’une audience, nos demandes successives pour le rencontrer sont à nouveau restées lettre morte.

Le 28 mai 2010, le général Numbi accuse réception d’une lettre dans laquelle le président de la VSV dénonçait les mauvaises conditions de détention dans les commissariats. L’accusé réception est apporté en main propre au bureau de la VSV par un des ses émissaires. Floribert insiste auprès de cette personne pour que le général réponde à sa demande de rendez-vous. Le 29 mai, Floribert rencontre par hasard le colonel Daniel Mukalay (aujourd’hui sur le banc des accusés), directeur adjoint de la Direction générale des renseignements et services spéciaux de la police, qui a son bureau dans les mêmes locaux que M. Numbi. Floribert ayant connu le colonel pour avoir été arrêté en ma compagnie par ses services en mars 2009 insiste également auprès de lui pour que le général lui accorde une audience. Le colonel lui a répondu qu’il était au courant de sa demande, que l’émissaire avait fait passer le message et que l’inspecteur général le recevrait probablement.

Le 31 mai au soir, le colonel Mukalay appelle Floribert pour lui assurer que John Numbi le recevrait le lendemain. Floribert m’informe le 1er juin vers 12h que l’inspecteur général va le recevoir à 17h30. Je le dissuade d’y aller mais il insiste, souhaitant notamment en profiter pour lui demander d’intervenir auprès du chef de l’Etat, dont il est très proche, pour que ce dernier accorde une audience au président de l’Union interafricaine des droits de l’Homme. Floribert a voulu y aller seul, souhaitant ainsi « pouvoir recueillir les confidences de l’inspecteur ». En partant du bureau, ayant comme un pressentiment, il a répété deux fois à son équipe : « si on ne se revoit pas, tenez-bon » !

Je l’ai attendu jusqu’à 20h30 au bureau. J’ai tenté de l’appeler vers 21h. Le téléphone sonnait dans le vide. Je suis rentré à la maison en pensant que Floribert avait pu être invité à diner avec l’inspecteur général. A 1 heure du matin, la femme de Floribert m’a appelé disant que ni lui ni son chauffeur, Fidèle Bazana, n’étaient revenus. Je lui ai dit : « dors tranquillement. Au pire, il a pu être arrêté. Nous le retrouverons demain ». Le matin, on m’annonce par téléphone que Floribert a disparu. Je me suis rendu avec plusieurs membres de la VSV dans les locaux de l’Inspection générale de la police. Après plusieurs heures d’attente, je reçois un coup de fil m’annonçant qu’on a retrouvé le corps sans vie de Floribert dans son véhicule. A 14h, je suis reçu par le colonel Mukalay qui me dit que Floribert n’est jamais venu à l’Inspection générale de la police.
Toujours le 2 juin, j’ai pu voir la voiture de Floribert. Il n’y avait pas de traces de sang à l’intérieur et aucun impact de balle. La médecine médico-légale ne m’a autorisé à voir le corps de Floribert que le 3 juin. J’ai vu des signes de gonflements au niveau du cou, un peu de sang aux commissures des lèvres et des traces de liens aux poignets. Ces vêtements étaient poussiéreux, comme s’il s’était débattu.

Le procès des assassins de Floribert et de Fidèle est sur le point de rendre son verdict le 16 juin. Cinq policiers sont sur le banc des accusés. Que vous ont appris les audiences sur les circonstances des assassinats des deux défenseurs congolais ?

Les témoignages et relevés téléphoniques et e-mails produits durant le procès ont éclairé plusieurs éléments dans cette affaire.
Nous avons tout d’abord appris que la veille de sa convocation à l’Inspection générale, Floribert avait envoyé un e-mail à un avocat bruxellois avec qui il suivait le dossier des exécutions sommaires des membres du mouvement politico-religieux Bunda Dia Kongo. Dans l’e-mail était précisé que des familles étaient prêtes à témoigner et que la VSV pouvait se porter partie civile. Ce message a été retrouvé dans le boite e-mail du colonel Mukalay.
Les relevés téléphoniques ont également démontré que le 31 mai, Mukalay, Numbi et le major Christian Ngoy (du bataillon Simba, sous supervision de Numbi, aujourd’hui en fuite) se sont réunis. Ces mêmes relevés ont démontré que Mukalay se trouvait la veille des assassinats à l’endroit où le corps fut retrouvé, comme pour repérer les lieux.
Également, il fut confirmé que Floribert a appelé Mukalay le 1er juin l’informant qu’il risquait d’être un peu en retard au rendez-vous du fait des embouteillages. Sa présence dans les locaux de l’Inspection générale a été confirmée par les sms que Floribert a envoyé à son épouse en disant qu’il était arrivé à destination et à la chargée de la division droits de l’Homme de la MONUSCO confirmant l’imminence de sa réunion avec Numbi. D’autres relevés ont pu prouver que le major Christian Ngoy était présent le soir du 1er juin à l’Inspection générale. Il a envoyé un sms au colonel Mukalay disant : « je suis avec le challenger. J’attends instructions ».
Des témoins ont également affirmé que la voiture de Floribert a été escortée vers 22h par deux jeep de la police au lieu où sera retrouvé son corps le lendemain matin.
Enfin, nous avons appris que les scellés du laboratoire de médecine médico-légale avaient été récupérés par le major George Kitungua (sur le banc des accusés), sur ordre de Mukalay.

Quel regard portez-vous sur la procédure judiciaire dans cette affaire ?

Nous avons dénoncé plusieurs irrégularités. La procédure aurait dû être portée devant la Haute cour militaire, mais par un tour de passe-passe, elle s’est retrouvée devant la Cour militaire de Kinshasa-Gombe. En conséquence, le général Numbi ne pouvait faire partie des accusés, ne pouvant être jugé par un magistrat de grade inférieur. Principal suspect dans cette affaire, John Numbi n’a été entendu qu’en qualité de témoin alors même que les familles des victimes avaient porté plainte contre lui.
Le deuxième principal suspect, le major Christian Ngoy, est toujours en fuite.
En outre, les avocats des familles ont souhaité que le général Numbi et le colonel Mukalay fassent l’objet d’une confrontation, ce que la Cour a refusé.
Autre fait marquant. Le 4 juin 2010, alors que je suis interrogé par trois officiers de police judiciaire (OPJ), ceux-ci s’étonnent que je n’ai toujours pas pu voir le corps de Fidèle Bazana. Ils m’ont dit qu’il se trouvait à la morgue. Le 5 juin, avant que je n’entre à la morgue, ces mêmes OPJ discutent quelques minutes en aparté avant de me dire que le corps ne se trouvait finalement pas à la morgue. J’ai souhaité une confrontation avec les OPJ. La Cour a également refusé.

Quel est votre sentiment un an après ces crimes odieux ?

Il semble bien que la justice souhaite couvrir certaines personnes. Tous les auteurs et commanditaires des assassinats ne sont pas dans le box des accusés. Nous n’aurons probablement jamais la vérité sur ce qui c’est passé le 1er juin. Même si la disparition forcée de Fidèle Bazana a finalement été qualifiée d’assassinat, son corps n’a toujours pas été retrouvé. Ceci est terrible pour la famille du défunt qui ne peut toujours pas faire son deuil.
Que dire de ce qui s’est passé le 9 mai 2011. Nous avons tous pleuré dans la salle d’audience quand la Cour militaire a demandé de requalifier les infractions en « homicides involontaires ». Cela nous a profondément choqué. Nous jugerons au verdict, mais il semble que la Cour souhaite couvrir cette affaire du voile de l’impunité.
Floribert était un grand défenseur des droits de l’Homme. C’est lui qui a donné le goût de la défense des droits de l’Homme aux autres militants. La VSV est une des premières organisations de protection des droits humains en RDC. Elle a été créée par des étudiants, dont Floribert, pendant la dictature. Floribert est resté toute sa vie dans les droits de l’Homme. Il vivait simplement, accroché à son idéal. C’était un ami, un frère.
Nous ferons tout notre possible pour que tous les gens impliqués dans les assassinats de Floribert et de Fidèle soient punis. Il faut que cela serve de leçon aux autres.

Interview recueillie par Marceau Sivieude, directeur du Bureau Afrique et des Opérations a.i. de la FIDH, au nom de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (programme conjoint FIDH-OMCT)

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