Sanctions : pourquoi oublier l’argent du gaz ?

14/10/2007
Communiqué

L’Union européenne s’apprête à renforcer ce lundi 15 octobre les sanctions économiques à l’égard du régime militaire birman, par une interdiction d’importations touchant le bois, les pierres précieuses et les métaux.

Le gaz, en revanche, serait exclu des nouvelles dispositions. Les seuls revenus du projet Yadana, dont le principal opérateur est Total, ont pourtant rapporté à la junte birmane 350 millions d’euros en 2006 selon l’aveu même du directeur général du groupe pétrolier. Christophe de Margerie admet par ailleurs dans un entretien accordé au Monde le 6 octobre 2007 que « Total, pas plus que d’autres compagnies, ne peut demander au gouvernement ce qu’il fait de cet argent. » Un autre argument évoqué dans cet entretien est que « l’opposition birmane n’a pas demandé le retrait de Total lorsqu’elle a été reçue par M. Sarkozy » le mercredi 26 septembre. C’est désormais chose faite. Le gouvernement birman en exil (NCGUB) mentionne dans une lettre adressée le 10 octobre au président de la République française et à son ministre des Affaires étrangères sa volonté de voir « gelées ou abandonnées toutes les activités liées au gaz » (voir ci-dessous).

Si Total n’a pas à interférer dans l’affectation des revenus du gaz par la junte, la communauté internationale peut elle décider de les contrôler. Cette possibilité est d’ailleurs prévue par la Charte de l’ONU : il s’agit du versement sur un compte séquestre des revenus d’exportation, en l’occurrence du gaz. Ces fonds seraient désormais gérés par les parties en conflit et la communauté internationale. Cette initiative présente des avantages considérables : elle oblige à la négociation, ce que la junte a toujours refusé depuis près d’une vingtaine d’années. En outre, elle ne lèse ni le client thaïlandais EGAT qui continuera à bénéficier des approvisionnements énergétiques birmans, ni la population birmane qui aura enfin quelques retombées positives de l’exploitation de ces ressources. Dernier avantage, ceux qui s’opposent pour diverses raisons à une politique de sanctions envers le régime birman seront certains de ne pas léser la population.

Christophe de Margerie sera auditionné le mardi 16 octobre par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur la stratégie du groupe Total en Birmanie. Il serait souhaitable qu’à cette occasion le directeur général du groupe pétrolier puisse s’exprimer sur les deux perspectives (compte séquestre et/ou retrait) qui s’offrent à son projet birman.


Lettre du Gouvernement de Coalition Nationale pour l’Union de Birmanie au Président de la République Française et à son Ministre des Affaires étrangères (traduction d’Info Birmanie)

Le 10 octobre 2007

Votre Excellence,

Le Gouvernement de Coalition Nationale de l’Union de Birmanie tient à vous faire part de sa reconnaissance pour avoir publiquement dénoncé la récente répression qui s’est exercée avec brutalité à l’encontre des moines et des manifestants pacifiques : votre soutien à la transition démocratique en Birmanie nous est très précieux. Je tiens à remercier Votre Excellence du rendez vous que nous avons eu le 26 septembre 2007 au cours duquel nous avons discuté du statut de la Birmanie et de l’importance de la Communauté internationale dans la résolution de la situation. Malheureusement, je n’ai pas eu alors le temps de soulever la question de Total Fina Elf.

Les meurtres et sévices commis à l’encontre de manifestants pacifiques mettent en lumière les infâmes pratiques et crimes dont fait preuve le régime birman, le SPDC (Conseil d’Etat pour la Paix et le Développement), depuis des décennies contre le peuple et particulièrement les minorités nationales dans les zones reculées du pays.

Ces scènes dramatiques de brutalité à l’encontre des citoyens, tels que meurtres et violations de droits de l’homme, détentions arbitraires ou interdiction complète d’accès à l’information, ne font que confirmer l’intention de la junte d’aller aussi loin que possible pour garder sa mainmise sur le pays et pour réduire au silence quiconque (leaders religieux, journalistes ou simples citoyens) oserait remettre en cause son autorité.

Cependant, le courage et la combativité dont ont fait preuve les manifestants ainsi que les brutalités commises par les forces armées ont suscité une vague sans précédent de soutien de la part de la communauté internationale envers le peuple birman.

Nos sources sur place nous indiquent que ce soutien international encourage le peuple à poursuivre la lutte pour la démocratie.

A cet égard, nous attendons avec impatience la tenue de la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne qui permettra, grâce à des décisions fermes, de considérablement accélérer le rythme de la démocratisation en Birmanie. Par conséquent, le NCGUB souhaite trouver en Votre Excellence et en son gouvernement le soutien nécessaire à l’affermissement de la position commune de l’Union Européenne par l’adoption de résolutions additionnelles telles que :

 La condamnation de la tenue de la Convention Nationale organisée par la junte et plus particulièrement de la Constitution présentée par les forces armées et qui vise à légitimer et perpétuer la domination militaire sur la Birmanie, à moins que la Convention puisse être réformée pour inclure l’ensemble des parties prenantes- la Ligue Nationale pour la Démocratie et les partis représentants les minorités - et modifiée pour la rendre plus démocratique et transparente ;
 Le gel des avoirs des membres clés de la junte militaire, de leurs familles et associés en affaires ;
 L’interdiction de tous nouveaux investissements et transactions financières en Birmanie ;
 L’interdiction d’importation de certains produits clés depuis la Birmanie tels que métaux, pierres précieuses, bois et produits de la mer.
 Le gel ou l’abandon de toutes les activités liées au gaz, pétrole et autres ressources énergétiques.

Le régime et leurs acolytes ont capté la quasi-intégralité des activités lucratives et des entreprises industrielles de Birmanie et de telles sanctions ciblées, comme celles évoquées plus haut, auront peu d’impact sur les populations civiles. Nous pensons qu’un affermissement de la position commune de l’Union Européenne dans une telle conjoncture permettra d’envoyer un message clair et ferme au régime militaire birman : l’Union européenne ne pourra jamais tolérer l’utilisation de la violence contre le peuple pour réduire libertés fondamentales et droits de l’homme.

Nous sommes convaincus que des sanctions ciblées auxquelles s’ajoutent un véritable engagement politique, tel que celui de la mission des bons offices du Secrétariat général des Nations unies, ouvrira des opportunités certaines pour un dialogue politique menant à une transition démocratique pacifique en Birmanie.

Nous remercions Votre Excellence de bien vouloir considérer nos recommandations. Soyez assurée que vos efforts continus pour soutenir le peuple birman dans leur appel à la démocratie nous sont particulièrement précieux.

Dr Sein Win.
Premier Ministre

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