Quelle justice pour les victimes de crimes de guerre ?

Paris, le 27 février 2004 - Un an après la transmission le 13 février 2003 de son rapport « Crimes de guerre en République centrafricaine » à la Cour pénale internationale (CPI), la FIDH fait le point sur le sort des victimes des crimes commis par les belligérants entre la tentative de coup d’Etat et la prise du pouvoir par la force du général Bozizé en République centrafricaine (octobre 2002-mars 2003).
Dans son nouveau rapport « Quelle justice pour les victimes de crimes de guerre ? », publié aujourd’hui, la FIDH souligne l’impunité récurrente dont bénéficient les auteurs des crimes de guerre. Elle précise les raisons pour lesquelles cette situation lui paraît relever du « système » de justice pénale internationale et appelle à l’implication du Procureur de la CPI.

Une mission internationale d’enquête de la FIDH, composée d’Eric Plouvier, avocat au Barreau de Paris et de Marceau Sivieude, chargé de programme au Bureau Afrique de la FIDH, a séjourné du 16 au 23 novembre 2003 à Bangui, en RCA.

Sur les crimes de guerre commis entre octobre 2002 et mars 2003

Les chargés de mission ont mis en exergue les faits suivants :

1. Entre la tentative de coup d’Etat et la prise du pouvoir par la force du général Bozizé, des crimes ont été commis de façon massive et systématique et répondent à la qualification juridique de crimes de guerre, visées par l’article 8 du Statut de la CPI. Jusqu’alors, plus de 700 cas de viols ont été recensés à Bangui. Les hôpitaux détiennent des listes de blessés et de morts durant les combats dans la capitale. En outre, la ville a été mise à sac par des pillages visant tant les habitations privées que les infrastructures publiques et industrielles. Cependant, aucune évaluation exhaustive et indépendante des crimes commis au cours de cette période n’a été menée à ce jour. Une telle étude est rendue difficile du fait de l’insécurité encore présente dans le Nord du pays, zone principale des combats (p. 6-7 ).

2. Le Parquet de Bangui s’est saisi des faits commis par certains anciens hauts responsables en exil, notamment l’ex président Patassé, Jean-Pierre Bemba, Abdoulaye Miskine et Paul Barril, pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, d’intelligence avec les puissances étrangères, de complicité d’assassinats, de coups mortels, d’arrestations et de séquestrations arbitraires, de vols, de viols et de pillages (p. 13-15)... Pourtant, presque tous ont fui le pays et semblent « hors d’atteinte » de la justice centrafricaine. D’autres poursuites, véritable « opération main propre », sont engagées contre d’anciens collaborateurs du régime pour crimes économiques (p. 15-16 ). Mais, aucune de ces poursuites ne se fonde sur la qualification de crimes de guerre, incriminations existantes en droit positif centrafricain à la date de la perpétration des faits.

3. En dépit des plaintes qui auraient été déposées par des particuliers auprès du Parquet de Bangui, des dénonciations faites par des victimes et des déclarations du chef de l’Etat lors du Dialogue national, aucune poursuite judiciaire n’avait été engagée, à la date de la mission de la FIDH, contre de présumés responsables de crimes de guerre dans les rangs des ex rebelles dirigés par le général Bozizé (p. 18-19). A cet égard, la FIDH souligne que le nouveau régime n’a toujours pas adopté de loi nationale visant à l’harmonisation des dispositions du Statut de la CPI avec la législation centrafricaine, en particulier concernant la définition des crimes et la coopération entre les juridictions nationales et la Cour.

4. Dans ces conditions, la mission de la FIDH considère, au regard des critères définis à l’article 17 du Statut de la CPI, que le gouvernement centrafricain ne démontre pas de volonté de rendre justice aux victimes des crimes visés par le Statut de la CPI. La FIDH maintient que la CPI devrait donc se saisir des faits dont la gravité n’est plus à rappeler. Au surplus, cette démarche répondrait à la stratégie judiciaire énoncée par le M. Ocampo : le procureur pourrait enquêter et poursuivre tous les individus, tant rebelles que loyalistes, dont le degré de responsabilité pour les crimes commis semble le plus élevé, tout en laissant aux juridictions nationales centrafricaines la responsabilité de poursuivre les autres individus responsables (p. 20).

L’activation par le procureur du système de justice pénale internationale au cas de la RCA permettrait de tester l’intention proclamée par le nouveau régime de lutter contre l’impunité, alors qu’il n’a, à ce jour, posé aucun acte sérieux permettant de démontrer sa volonté d’atteindre effectivement cet objectif. En cas contraire, la FIDH insiste sur le fait que le maintien du statu quo serait synonyme d’impunité pour les criminels de guerre. Si l’on peut comprendre que ce soit l’intérêt d’un régime, ce n’est évidemment pas le cas s’agissant de la Cour pénale internationale.

La FIDH transmet ce rapport pour complément d’information au procureur de la CPI conformément à l’article 15.1 de son Statut

Sur la situation actuelle des droits de l’Homme

Dans la seconde partie du rapport, les chargés de mission de la FIDH dressent un panorama général de la situation des droits de l’Homme en RCA depuis le 15 mars 2003. Arrivé au pouvoir par la force, Bozizé, autoproclamé président, a suspendu la Constitution et s’est arrogé les pouvoirs de chef de l’exécutif et du législatif.

Reconnu de facto par la communauté internationale malgré des condamnations de circonstance (p. 20, 24), le nouveau régime donne publiquement des gages quant à sa volonté de mener à bien une période de transition vers des élections démocratiques début 2005. Cette posture répond en tout cas à un besoin urgent d’aide économique internationale pour pallier les énormes difficultés liées à l’incurie du régime et à la situation permanente de conflit armé latent des dernières années (p.24). La sécurité n’est pas rétablie sur l’ensemble du territoire. Le pays est exsangue. Les caisses de l’Etat sont vides. Les bâtiments publics sont détruits. L’appareil industriel à été pillé. Les conditions sanitaires sont déplorables. Mais les discours publics rassurants quant à la transition politique cachent mal les nombreuses violations des droits de l’Homme encore commises en Centrafrique notamment par des représentants de l’ordre public (p. 27-28). Des cas de viols, maltraitances et même d’exécutions sommaires ont été et sont encore commis par les « libérateurs » ou « patriotes », hommes de main du général Bozizé pendant le coup d’Etat que le gouvernement hésite à désarmer et démobiliser pour continuer d’assurer sa protection.

Les chargés de mission ont également relevé des cas d’arrestations et de détentions arbitraires et même des cas de tortures perpétrés par les forces de l’ordre, notamment les ex-agents du Service de d’enquête de recherche et de documentation (SERD). Malgré quelques enquêtes diligentées par le Parquet de Bangui et des rétrogradations symboliques demandées par le chef de l’Etat, la majorité des auteurs de ces violations des droits de l’Homme demeurent à ce jour impunis, plongeant la population civile dans une grande insécurité (p.28).

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