Emprisonnement de musiciens : un nouveau recul de la liberté d’expression

02/11/2012
Communiqué
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Paris-Bangkok, 2 novembre 2012. Le procès et les lourdes condamnations de deux musiciens au motif de « propagande contre l’Etat » punie par l’article 88 du Code pénal sont le dernier exemple en date de la montée en puissance de l’assaut du Vietnam contre la liberté d’expression, et constitue une violation flagrante du droit international en matière de droits de l’Homme, considèrent la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (CVDDH).

Après un procès qui a duré moins d’une demi-journée, le 30 octobre 2012, le Tribunal Populaire de Ho Chi Minh Ville, protégé par d’importantes forces de sécurité, a condamné M. Vo Minh Tri (connu sous le nom de Viet Khang), chanteur et compositeur de 34 ans, et M. Tran Vu Anh Binh (connu sous le nom de Hoang Nhat Thong), parolier de 37 ans, à respectivement quatre et six ans d’emprisonnement, suivis de deux ans de détention probatoire. Binh et Viet Khang ont été placés en détention préventive depuis septembre et décembre 2011.

Binh avait écrit des chansons dénonçant les persécutions contre ceux qui critiquent le gouvernement, dont celle intitulée « Courage dans la Ténébreuse Prison » (Nguc Toi Hien Ngang) et écrite pour soutenir le blogueur dissident Nguyen Van Hai (alias Dieu Cay), qui a été condamné il y a un mois à peine à 12 ans d’emprisonnement, en même temps que ses compagnons blogueurs, M. Phan Thanh Hai et Mme Ta Phong Tan, également punis de lourdes peines de prison. Viet Khang a écrit des chansons critiquant les énormes inégalités des revenus au Vietnam et la répression gouvernementale contre les protestations pacifiques aux revendications territoriales chinoises en Mer de Chine. Le tribunal a accusé Binh et Viet Khang d’avoir posté des chansons sur un site tenus par un groupe d’opposition de Vietnamiens à l’étranger, appelé la Jeunesse Patriote.

« En tant qu’Etat Partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Vietnam a l’obligation légale, du fait de l’article 19 du Pacte, de protéger la liberté d’expression ou d’opinion, sans considération de frontières, y compris par la voie de l’art », a dit Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH.

Ces dernières années, le Vietnam a embastillé des dizaines de dissidents pour leur exercice pacifique de leur liberté d’expression, invoquant la plupart du temps les clauses draconiennes de la section sécurité nationale du Code pénal. En tant que membre de l’ASEAN, le Vietnam participe activement à la rédaction de la Déclaration de l’ASEAN sur les Droits de l’Homme, et des articles régressifs du projet actuel reflètent ces clauses draconiennes de la loi vietnamienne. Ces articles scélérats de la Déclaration donnent aux Etats des pouvoirs discrétionnaires pour restreindre les droits de l’Homme internationalement reconnus sous le prétexte mal-défini de « sécurité nationale ». La Déclaration doit être adoptée lors du prochain Sommet de l’ASEAN, les 18-20 novembre prochain à Phnom Penh.
« Les condamnations doivent être annulées et les autorités vietnamiennes doivent libérer immédiatement et inconditionnellement Viet Khang, Tran Vu Anh Binh et toutes les autres personnes emprisonnées pour leur seul exercice pacifique de leur liberté d’expression », a dit Vo Van Ai, Président du CVDDH.

Ci-dessous suivent des extraits des deux chansons écrites par Viet Khang et postées au mois d’août 2011, un peu avant sa première arrestation et sa brève détention dans un poste de police à Ho Chi Minh Ville, en septembre 2011. Les paroles ont été traduites du vietnamien par le CVDDH.

ANH LA AI (Qui êtes-vous)
Dites-moi, qui êtes-vous ?
Pourquoi m’arrêter ? Qu’ai-je fait de mal ?
Dites-moi, qui êtes-vous ?
Pourquoi me battre sans la moindre pitié ?
Dites-moi, qui êtes-vous ?
Pour m’empêcher de protester
Pour l’amour de ce pays, dont le peuple n’endure que trop !

Dites-moi, qui êtes-vous ?
M’interdire de m’opposer à l’invasion chinoise
Dites-moi, qui êtes-vous ?
Pourquoi me réprimander dans la langue de mon peuple ?

Où est votre nationalisme ?
Pourquoi prendre consciemment vos ordres de la Chine ?
Vous allez laisser une marque pour mille ans
Vos mains seront tâchées du sang de notre peuple

Je ne peux plus rester assis
Alors que le Vietnam s’effondre
Et que mon peuple s’enfonce
Pour l’éternité dans les ténèbres

Je ne peux rester assis
Mes enfants et la prochaine génération méritent un avenir
Où seront nos racines
Lorsque le Vietnam ne sera plus de ce monde ?

OÙ EST MON VIETNAM
Vietnam… Une moitié de vie est déjà passée
Et maintenant, je peux voir clairement ce que la vie est devenue
Depuis que la guerre a pris fin.
Mère Vietnam, ton cœur souffre en regardant tes enfants
Certains sont dans la pauvreté la plus abjecte et dans la souffrance
D’autres sont riches, puissants et malhonnêtes
Aujourd’hui, le Vietnam existe-t-il encore ou est-il perdu ?
Les envahisseurs chinois se pavanent sur nos terres
Sur les îles Paracel et Spratley, combien d’innocents sont morts
Tués par les canons chinois
En citoyen du Vietnam
Comment puis-je ignorer cette invasion ?
Unissons-nous et répondons à l’appel de notre nation
Ensemble, sans peur
Vieux et jeunes, hommes et femmes
Levons nos mains
Pour combattre les envahisseurs
Et pour combattre ces lâches qui ont trahi le Vietnam.
Où est mon Vietnam… Où est mon Vietnam…

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