Ne réduisez pas au silence les familles des disparus appelant à la vérité

18/08/2010
Communiqué

Amnesty International, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme - FIDH - et de l’Organisation mondiale contre la torture - OMCT) et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) déplorent les démarches entreprises par les autorités algériennes en vue de réduire au silence les familles des victimes des disparitions forcées, en ayant recours à la violence pour disperser leurs deux dernières manifestations pacifiques hebdomadaires. Les trois organisations appellent les autorités à permettre aux familles des disparus de tenir leurs manifestations pacifiques sans crainte de représailles et à répondre à leurs demandes légitimes pour obtenir la vérité, la justice et une réparation adéquate.

Le 11 août, les services de l’ordre ont empêché quelque 40 proches des personnes disparues et leurs militants de tenir une manifestation pacifique devant les bureaux de l’instance officielle des droits de l’Homme, la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCPPDH) à Alger. Les responsables n’ont donné aux familles aucun motif officiel pour les avoir empêchées de tenir leur manifestation pacifique, se bornant à déclarer que l’ordre « venait d’en haut ».

Les familles des disparus réclament depuis de nombreuses années que les autorités fassent la lumière sur le sort de leurs proches, disparus après avoir été emmenés par des membres des services de sécurité au cours du conflit interne durant les années 1990. Depuis 1998, les familles tiennent (presque) tous les mercredis des manifestations pacifiques devant les bureaux de la CNCPPDH et de son prédécesseur, l’Observatoire national des droits de l’Homme.

A la suite du refus des autorités algériennes de permettre aux familles de tenir leur manifestation habituelle le mercredi précédent, plusieurs activistes se sont joints aux familles lors de la marche du 11 août afin d’exprimer leur solidarité. On comptait parmi eux au moins quatre défenseurs des droits humains appartenant à la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), dont son président, Moustafa Bouchachi, ainsi que l’avocat des droits de l’Homme, Me Amine Sidhoum.

Amnesty International, l’Observatoire et le REMDH sont profondément préoccupés par le fait que les forces de l’ordre ont eu recours à la violence pour disperser les manifestants en les bousculant et en les frappant au hasard, selon des témoins de l’incident. D’après les informations communiquées aux trois organisations, les agents de l’État n’ont pas épargné les mères ni même les grand-mères des disparus. Les forces de l’ordre ont également frappé plusieurs défenseurs et avocats des droits de l’Homme qui tentaient d’intervenir pour empêcher les proches des disparus d’être blessés. A la suite de ces violences pour disperser les manifestants, Fatma Lakhal, épouse d’une victime des disparitions forcées, et Hassan Farhati, membre de l’association SOS-Disparus, qui avaient organisé la manifestation, se sont évanouis. Des membres de la force policière ont appelé une ambulance et les deux organisateurs ont été hospitalisés pendant plusieurs heures. Après avoir mis fin à la manifestation, les policiers algériens ont forcé les autres protestataires à monter dans un autobus qui les a éloignés du site de la manifestation.

Amnesty International, l’Observatoire et le REMDH regrettent par ailleurs que la police judiciaire algérienne ait arrêté et brièvement détenu quatre manifestants, apparemment dans le but de les intimider et de les dissuader de prendre part à d’autres manifestations de ce genre. Parmi les quatre personnes arrêtées, se trouvaient deux membres de la LADDH ainsi que le père d’une victime des disparitions forcées, aujourd’hui âgé de 82 ans. Les quatre personnes interpellées ont été remises en liberté plusieurs heures plus tard sans avoir été mises en accusation.

Plutôt que de sanctionner les familles qui appellent à la vérité sur le sort de leurs proches disparus, les autorités algériennes devraient :

 Faire en sorte que les défenseurs des droits humains, les familles des disparus et les activistes puissent poursuivre leurs activités en faveur des droits de l’Homme et exprimer leur opinion et leurs vues sur les questions entourant les droits humains sans avoir à craindre d’être la cible d’actes d’intimidation et de harcèlement ou d’être poursuivis en justice, dans le respect de la Déclaration des Nations Unies sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus (ou Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme) ;

 Mener immédiatement une enquête complète, indépendante et impartiale au sujet des allégations suivant lesquelles les forces de l’ordre ont eu recours à la violence contre des manifestants pacifiques ;

 Veiller à ce que les droits à la liberté d’expression et de réunion, garantis dans les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Algérie est un État partie, soient respectés dans les faits et à ce qu’aucune restriction excessive n’empêche quiconque de jouir de ces droits ;

 Mener des enquêtes complètes, impartiales et indépendantes sur la disparition forcée de milliers de personnes pendant le conflit interne des années 1990, et traduire en justice les responsables de ces disparitions dans le cadre de procédures répondant aux normes internationales relatives aux procès équitables.

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