Les victimes interrogent la CPI sur l’absence de poursuites contre Jean-Pierre Bemba pour des crimes commis en RDC - Les juges les déboutent déclarant que l’enquête du Procureur sur la RDC est toujours ouverte

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et ses organisations membres en République démocratique du Congo (RDC), l’Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO), le Groupe Lotus et le Ligue des électeurs, déplorent la décision du 25 octobre 2010 de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI), de rejeter la requête des victimes congolaises d’interroger le Procureur sur l’absence de poursuites à l’encontre de Jean-Pierre Bemba pour les crimes qu’il est présumé avoir commis en Ituri (en RDC).

Les victimes requérantes, participant aux procédures devant la Cour concernant la situation en RDC, avaient subi les crimes des troupes du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC), dirigé par Jean-Pierre Bemba, en Ituri en 2002. Or Jean-Pierre Bemba, détenu à la CPI depuis 2008, est poursuivi pour les seuls crimes commis en République centrafricaine (RCA) lors du conflit de 2002-2003. Le mémoire déposé par le représentant légal des victimes en juin 2010 demandait au Procureur, via les juges de la Chambre préliminaire, d’expliquer les raisons pour lesquelles il avait décidé de ne pas poursuivre Jean-Pierre Bemba pour des crimes commis sur le territoire congolais notamment en Ituri, malgré les nombreuses informations à sa disposition, et le fait qu’il soit détenu au centre pénitentiaire de la CPI. Ce mémoire faisait en outre référence aux nombreuses interventions et déclarations du Procureur annonçant la clôture des enquêtes en Ituri. [1]

« Nos organisations s’étonnent de l’argument utilisé par la Chambre pour rejeter la requête. Les juges considèrent que faute de décision explicite du Procureur de ne pas poursuivre Jean-Pierre Bemba pour des crimes commis en Ituri, il est possible d’affirmer que les enquêtes se poursuivent. Les juges ont ainsi ignoré les nombreuses déclarations et interventions du Bureau du Procureur annonçant que ses enquêtes se concentraient désormais sur la région des Kivus en RDC. Ils ont aussi ignoré le fait que malgré l’ouverture imminente d’un procès à l’encontre de Jean-Pierre Bemba, le Procureur n’a nullement essayé de formuler de nouvelles charges pour les crimes commis en Ituri, et alors même qu’il s’est servi du mode opératoire du MLC pour démontrer celui des forces de Bemba en RCA », a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH.

La décision de la Chambre omet de se pencher sur les situations où le Procureur ne prend pas de décision explicite de ne pas poursuivre. Peut-on considérer que ces enquêtes continuent alors même qu’existent des éléments permettant de conclure que le Procureur n’a pas l’intention de poursuivre ? Au vu du principe du délai raisonnable qui doit guider toute procédure judiciaire, l’absence d’élargissement de l’acte d’accusation à l’encontre de Jean-Pierre Bemba, plus de deux ans après son arrestation, permet d’affirmer que le Procureur n’a pas l’intention de le poursuivre.

Nos organisations trouvent problématique que la Chambre préliminaire refuse dans les faits d’assumer son rôle de contrôle des décisions et omissions du Procureur dans la phase préliminaire de la procédure. La création de cette chambre avait précisément pour objectif, lors de l’adoption du Statut de Rome, de mettre en place un certain système d’évaluation des décisions du Procureur.

En outre, si nos organisations se réjouissent que la Chambre préliminaire n’ait pas retenu l’argument sur l’intérêt à agir des victimes mis en avant par le Procureur et par la Défense comme un obstacle pour se pencher sur le fond de l’affaire, elles déplorent que les juges n’aient pas saisi cette occasion pour clarifier l’étendue des droits et les mécanismes de participation des victimes au stade de la situation.

Le procès de Jean-Pierre Bemba pour les crimes commis en RCA s’ouvrira le 22 novembre 2010. La FIDH et ses ligues ont appelé le Procureur à de nombreuses reprises à poursuivre ses enquêtes en RCA, afin d’identifier et de poursuivre d’autres responsables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, comme la Cour l’a fait dans toutes les autres situations.

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