Les autorités Marocaines à l’épreuve du terrorisme : la tentation de l’arbitraire

Le 16 mai 2003, cinq attentats terroristes étaient commis à Casablanca, faisant 42 morts, dont 11 kamikazes, et plus d’une centaine de blessés. Sept étrangers figuraient parmi les victimes de ces attentats qui avaient visé un hôtel, deux restaurants, le siège de l’Alliance israélite ainsi qu’un cimetière juif. Condamnés unanimement tant par l’opinion publique nationale qu’internationale, les attentats criminels de Casablanca étaient immédiatement attribués par les autorités et de nombreux médias nationaux à des groupes locaux liés au réseau terroriste d’Al Qaïda.

Parallèlement à l’arrestation des personnes directement impliquées dans les attaques terroristes, interpellées selon toute vraisemblance à partir des déclarations d’un kamikaze qui avait échappé à la mort, une campagne d’arrestations fut déclenchée dans tout le Royaume, visant des centaines de personnes, présentées de manière indistincte comme faisant partie de la « Salafiya Jihadia », décrite le plus souvent comme une sorte de nébuleuse islamiste prônant la violence et la terreur. Plusieurs théologiens et prêcheurs, anciens volontaires marocains en Afghanistan pour certains, et dont quelques-uns avaient été arrêtés avant le 16 mai 2003, furent présentés comme les inspirateurs de ce courant. En même temps, des journalistes établissaient des liens entre la vague d’attentats et les idées des partis islamistes reconnus ou tolérés, et notamment le Parti de la justice et du développement (PJD), pourtant représenté au Parlement.

C’est dans ce climat très particulier que fut adopté sans discussion notable le projet de loi contre le terrorisme, sans tenir compte de l’essentiel des recommandations et des craintes de la société civile et de certains parlementaires.

La mission de la FIDH s’est rendue au Maroc en pleine campagne d’arrestations et alors même que se tenaient les premiers procès des personnes interpellées après le 16 mai. Les témoignages recueillis ont amené la FIDH à exprimer ses plus vives craintes quant à la violation de nombreuses dispositions des lois marocaines et du droit international et les investigations menées permettent de dire que certaines pratiques illégales (torture, mauvais traitements et détention arbitraire notamment) relevées par la mission avaient cours bien avant les évènements de Casablanca, ces derniers ne leur donnant que plus d’ampleur

En conséquence la FIDH recommande aux autorités marocaines de :

1- Inclure expressément dans la législation pénale la prohibition et la répression de la torture.

2- Revoir à la baisse la durée de la garde à vue, notamment celle mentionnée dans la loi anti-terroriste, conformément aux normes et à la jurisprudence internationales en la matière ;

3- Mettre en place des mécanismes de surveillance systématique et efficace des arrestations, interrogatoires et de la détention, en vue d’une plus grande protection des personnes arrêtées et/ou détenues conformément à l’article 11 de la convention contre la torture, et des mécanismes effectifs de sanction visant les contrevenants ;

4- Veiller à ce que les locaux de la garde à vue soient identifiés légalement, aménagés de manière à sauvegarder la dignité et le droit à un traitement humain des détenus ;

5- Procéder incessamment aux réformes nécessaires pour améliorer les conditions de vie dans les prisons et assurer ainsi les droits à la santé, à la sécurité, à l’intégrité physique et morale, à l’éducation et la réadaptation des prisonniers ;

6- Etablir des sanctions pénales, administratives et légales pour les violations concernant la légalité des procédures (arrestation, notification à la famille, accès à un avocat, traitement des détenus, régularité des procès verbaux, etc.) ;

7- Procéder immédiatement a des enquêtes indépendantes et impartiales des services mis en cause sur tous les cas de décès en détention et sur chacune des allégations d’actes de torture conformément à l’article 12 de la Convention contre la torture ;

8- Faire traduire systématiquement les auteurs présumés des actes de torture ou de violences devant les tribunaux de manière à éviter toute impunité ;

9- Veiller à ce que les autorités judiciaires concernées (notamment le ministère public) appliquent la législation marocaine relative à l’obligation de soumettre les inculpés à un examen médical lorsque la demande leur est faite ou lorsqu’elles constatent des indices le justifiant ;

10- Adapter et généraliser les programmes d’éducation, d’information et de formation pour le personnel civil ou militaire chargé de l’application des lois, notamment le personnel de la police judiciaire de la gendarmerie et les gardiens des prisons.

11- Renforcer la coopération avec les organisations de droits de l’Homme et la société civile pour s’acquitter pleinement des obligations émanant des Conventions internationales relatives à la protection des droits de l’Homme liant le Maroc.

12- Adopter immédiatement un moratoire sur la peine de mort en vue de l’abrogation rapide et définitive de celle-ci.

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