La MINURCAT ne suffit pas ; il faut nommer un représentant spécial pour favoriser l’instauration d’un dialogue politique global et inclusif au Tchad

06/06/2009
Communiqué
en fr

S.E. M. Baki İlkin, Ambassadeur, Représentant permanent de la Turquie auprès des Nations unies à New York, Président du Conseil de sécurité des Nations unies

S.E. MM les Ambassadeurs, membres du Conseil de sécurité des Nations unies

S.E. M. Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies
Paris, N’Djaména, New York, le 8 juin 2009

Excellences,

La récente reprise des combats au Tchad entre les rebelles regroupés au sein de l’Union des Forces de la Résistance (UFR) et les forces gouvernementales a une fois de plus menacé la paix et la sécurité régionales et accru les risques d’aggravation de la situation humanitaire à l’Est du pays.

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et ses deux organisations membres au Tchad, la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) et l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH) souhaitent par la présente insister sur la nécessité, les moyens, et la responsabilité qui incombe au Conseil de Sécurité et au Secrétariat des Nations unies d’appeler les autorités tchadiennes à tout mettre en œuvre pour instaurer un véritable dialogue politique global et inclusif aux fins de trouver une issue durable à la crise politique et politico-militaire qui divise le pays depuis de nombreuses années et déstabilise la sous-région. La FIDH, la LTDH et l’ATPDH considèrent que la nomination d’un représentant spécial sous les auspices des Nations unies, de l’Union africaine et de l’Union européenne, pour servir de médiateur politique, est aujourd’hui nécessaire pour stabiliser le Tchad, et donc la sous-région.

Arrestations et détentions arbitraires, exécutions sommaires et extrajudiciaires, disparitions forcées, violences sexuelles, actes de torture, atteintes au droit à la liberté d’expression, harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme et des opposants politiques, sont autant de violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire perpétrées au Tchad non seulement lors des affrontements armés qui opposent rebelles et forces armées régulières, mais également en temps de relative stabilité et ce, en toute impunité [1].

Pourquoi il est aujourd’hui nécessaire d’instaurer un dialogue politique global et inclusif au Tchad

Dans la perspective des prochaines élections législatives et de l’élection présidentielle de 2011 et en vue d’une restructuration profonde et à long terme de la vie politique tchadienne, il est indispensable que les autorités du pays procèdent enfin à des négociations approfondies avec la totalité des acteurs politiques, y compris les forces politico-militaires. Les accords conclus de façon bilatérale ou multilatérale se sont révélés ineffectifs à ce jour, ajoutant à la confusion générale et cristallisant les nombreuses fractures présentes au sein de la société tchadienne.

Si la conclusion, le 13 août 2007, d’un accord politique global entre les différents partis politiques a laissé croire un temps à la mise en place d’un véritable dialogue, les arrestations arbitraires d’opposants politiques survenues lors des affrontements de février 2008 ont largement mis à mal les termes de cet accord. Comme le souligne le Secrétaire Général des Nations unies dans son rapport du 14 avril 2009 [2], « on a enregistré peu de progrès dans l’application de l’Accord du 13 aout 2007 » (p. 4) ; un accord qu’il considère être désormais dans une « impasse » (p. 15).

En outre, les réformes constitutionnelles, telles que le projet de loi portant statut de l’opposition démocratique, celui portant création d’une Commission électorale nationale indépendante (CENI) et celui portant Code électoral, toutes prévues par l’Accord du 13 août, ont largement été critiquées par les principaux partis d’opposition. En mars 2009, ces derniers ont déclaré que les réformes entamées ne correspondaient pas aux termes de l’accord conclu avec les autorités. Or, sans la mise en place d’un cadre légal garantissant la tenue d’élections libres et transparentes et incluant tous les acteurs , il est impossible d’envisager une sortie de crise durable.

Les risques de déstabilisation ont été confirmés par les offensives successives perpétrées par les rébellions armées et se sont notamment cristallisés dans les affrontements de février 2008, et à travers la tenue de « violents combats » [3] terrestres début mai 2009 entre les forces gouvernementales et l’alliance des rebelles, l’Union des forces de la résistance (UFR). Bien que l’offensive rebelle ait été repoussée par les forces gouvernementales, les membres de l’UFR ont réaffirmé avoir pour objectif d’atteindre la capitale N’Djaména.

Une des clés de résolution de la crise régionale est la stabilisation du Tchad. Les conséquences du drame humanitaire qui sévit au Soudan voisin, les milliers de réfugiés du Darfour et de déplacés internes installés dans les camps à l’est du Tchad contribuent à exacerber la crise interne et la situation d’insécurité qui prévaut dans le pays, alors que l’insécurité et les combats contribuent à la perpétration de graves violations des droits de l’Homme à l’encontre des populations civiles aux frontières du Soudan et au sein même du Tchad. Les tensions interethniques, l’opposition entre le Tchad et le Soudan par rebelles interposés et ce, en dépit des accords de Tripoli, de Dakar et plus récemment de Doha, sont autant de facteurs favorisant la déstabilisation politique du Tchad, et menaçant directement la paix et la sécurité régionale.

Stratégies et moyens de sortie de crise : L’importance d’un médiateur chargé de favoriser l’instauration d’un dialogue politique global et inclusif

La FIDH, la LTDH et l’ATPDH se sont félicitées du déploiement en 2007 de la MINURCAT, ainsi que du transfert d’autorité militaire opéré entre l’EUFOR Tchad-RCA et la MINURCAT le 15 mars dernier. Cependant, la FIDH, la LTDH et l’ATPDH considèrent que pour la réussite effective des objectifs de cette mission, et une solution durable de la crise au Tchad, il est essentiel pour les Nations unies de promouvoir en parallèle une reprise des négociations entre les différents acteurs politiques et politico-militaires qui doit nécessairement passer par l’ouverture d’un véritable dialogue politique le plus global et inclusif possible.

La FIDH, la LTDH et l’ATPDH saluent à cet égard les conclusions du dernier rapport du Secrétaire Général sur la MINURCAT, dans lesquelles il rappelle l’impérieuse nécessité d’une reprise de ce dialogue comme pierre angulaire du règlement durable de cette crise. Ainsi, il « engage instamment les deux parties à tout mettre en œuvre pour aplanir leurs divergences et parvenir à un accord mutuellement acceptable qui permette de poursuivre le processus. De même, pour donner toutes ses chances au processus de réconciliation, il importe que l’opposition dans son ensemble, politique et armée, y soit associée » (p. 15). De plus, réitérant son appel de décembre 2008, M. Ban Ki-moon s’est déclaré « une fois de plus » disposé à offrir ses « bons offices pour faciliter le processus de réconciliation ».

Cette assistance de l’ONU, à distinguer du mandat de la MINURCAT devrait, selon la FIDH, la LTDH et l’ATPDH, résulter en la nomination d’un représentant spécial sous l’autorité du Secrétaire Général qui serait chargé, sous les auspices des Nations unies, de l’Union africaine, et de l’Union européenne, de favoriser l’instauration d’un dialogue politique, global et inclusif entre tous les acteurs politiques et politico-militaires tchadiens et de veiller au respect des accords qui pourraient être conclus entre les différents acteurs dans le cadre de dialogue.

En restant à votre disposition pour échanger avec vous sur ces propositions, nous vous prions de croire, Excellences, en notre très haute considération.

Souhayr BELHASSEN
Présidente de la FIDH

Massalbaye TENEBAYE
Président de la LTDH

Jacqueline MOUDEÁNA
Présidente de l’ATPDH

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