RCA - L’affaire Bemba : Questions - Réponses

A l’occasion de l’ouverture du procès contre Jean-Pierre Bemba devant la Cour pénale internationale, la FIDH publie un Questions-Réponses sur l’affaire.

Questions-Réponses de la FIDH sur l’affaire Bemba

1. Qui est Jean-Pierre Bemba ?

Jean-Pierre Bemba, ressortissant de la République démocratique du Congo (RDC), est le président et commandant en chef du Mouvement de Libération du Congo (MLC). Avant son arrestation, Jean-Pierre Bemba a été vice-président du gouvernement de transition de la RDC (2003-2006), candidat au second tour des élections présidentielles de 2006 et élu sénateur en 2007. Il est la première personnalité politique à être jugée par la Cour pénale internationale (CPI).

2. Quelles sont les charges retenues à son encontre ?

Jean-Pierre Bemba, président et commandant en chef du MLC, est poursuivi pour trois crimes de guerre (viol, meurtre et pillage) et deux crimes contre l’humanité (viol et meurtre).

La Chambre préliminaire de la CPI, en confirmant les charges à son encontre, a considéré qu’il devait être poursuivi en qualité de chef militaire. Cela implique ainsi que J-P Bemba aurait eu l’autorité et le contrôle effectifs sur les troupes qui commettaient les crimes, aurait su que ces crimes étaient commis et n’aurait pris les mesures nécessaires visant à les prévenir et/ou à les sanctionner.

Ces crimes auraient été commis dans le contexte d’un conflit armé ne présentant pas un caractère international se déroulant en République centrafricaine (RCA) en 2002-2003 pendant lequel des éléments armés du MLC ont soutenu les Forces armées centrafricaines (FACA) du président Ange-Felix Patassé contre la tentative de coup d’État de François Bozizé (actuel chef de l’Etat de la RCA).

3. Pourquoi les charges sont-elles passées de la responsabilité individuelle à la responsabilité de commandant et de supérieur, et quelles sont les conséquences de cette évolution ?

Lors de l’audience de confirmation des charges (janvier 2009), le Procureur de la CPI a présenté ses éléments de preuves contre Jean-Pierre Bemba. Le Procureur s’est fondé sur la responsabilité individuelle de Jean-Pierre Bemba en tant que coauteur, aux côtés de l’ancien président de la RCA, Ange-Felix Patassé. La Chambre préliminaire a demandé au Procureur d’amender ces charges, considérant que les éléments de preuve présentés semblaient correspondre à un autre type de responsabilité, c’est-à-dire la responsabilité en qualité de chef militaire ou de supérieur hiérarchique. Le Procureur a amendé en conséquence le document contenant les charges. La Chambre préliminaire décida alors qu’il y avait des motifs substantiels de croire que Jean-Pierre Bemba était pénalement responsable en qualité de chef militaire pour trois crimes de guerre (viol, meurtre et pillage) ainsi que deux crimes contre l’humanité (meurtre et viol).

Le Statut de Rome prévoit à la fois la responsabilité pénale individuelle (article 25) et la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques (article 28). Il est important de noter que le Statut de Rome n’établit aucune hiérarchie entre ces modes de responsabilités. Ainsi, le fait que Jean-Pierre Bemba soit présumé pénalement responsable en qualité de chef militaire plutôt qu‘individuellement, ne sous-tend pas que les charges à son encontre sont moins graves. Au contraire, le Procureur a même souligné que le fait que Jean-Pierre Bemba ait agi en qualité de chef militaire pouvait être considéré comme un facteur aggravant dans cette affaire.

4. Pourquoi cette affaire est si importante ?

Cette affaire est très importante car, pour la première fois, la CPI se concentre essentiellement sur la poursuite de crimes sexuels, confirmant que de tels crimes sont bel et bien répandus et systématiques en République centrafricaine, utilisés en tant qu’arme de guerre, et provocant une stigmatisation importante des victimes. L’affaire contre Jean-Pierre Bemba est le premier procès de la CPI contre une figure politique et militaire majeure. C’est également la première fois qu’un dirigeant national est poursuivi pour des crimes commis dans un pays voisin.

5. Comment l’affaire Jean-Pierre Bemba s’est-elle développée devant la CPI ? A quel stade se trouve l’affaire actuellement ?

La situation en RCA a été renvoyée au Procureur de la CPI par l’Etat centrafricain en décembre 2004.
En avril 2006, la Cour de cassation centrafricaine confirmait l’incapacité des tribunaux nationaux à poursuivre les principaux responsables des crimes internationaux et concluait à la compétence de la CPI.

Le 22 mai 2007 le Procureur ouvrait une enquête. Jean-Pierre Bemba a été arrêté le 24 mai 2008 en Belgique et remis à la Cour le 3 juillet 2009, en vertu d’un mandat d’arrêt délivré par la Cour à la demande du Procureur. Les charges à son encontre ont été confirmées le 15 juin 2009.

Le procès devait s’ouvrir initialement en avril 2010 mais l’ouverture a été reportée à plusieurs reprises pour permettre aux équipes du Procureur et de la défense de se préparer et pour régler des questions procédurales devant être tranchées avant le début du procès.

L’ouverture du procès est prévue le 22 novembre 2010.

6. Pourquoi Jean-Pierre Bemba n’est-il pas poursuivi pour des crimes commis en République démocratique du Congo ?

La situation en République démocratique du Congo fait l’objet d’une enquête par la Procureur de la CPI depuis le 23 juin 2004. A l’heure actuelle, cinq personnes ont été mises en accusation et deux procès sont en cours concernant les crimes internationaux perpétrés en RDC depuis le 1er juillet 2002. Pour autant, aucune poursuite n’a jusqu’à présent été engagée par le Procureur de la CPI contre Jean-Pierre Bemba pour des crimes présumés commis en République démocratique du Congo par les forces du MLC, notamment en Ituri en 2002.

Le 28 juin 2010, un représentant légal de victimes congolaises participant aux procédures devant la CPI concernant la situation en RDC, avocat membre du Groupe d’action judiciaire de la FIDH, a soumis un mémoire au nom de victimes du MLC en Ituri, demandant à la Cour de clarifier auprès du Procureur les raisons pour lesquelles Jean-Pierre Bemba n’est pas poursuivi pour les crimes commis en RDC en sa qualité de chef du MLC.

Le 25 octobre 2010, la Chambre préliminaire a rejeté les demandes et allégations présentées dans ce mémoire en considérant que le Procureur n’a pas officiellement déclaré qu’il ne poursuivrait pas ces crimes et qu’il était donc possible d’affirmer que les enquêtes du Procureur continuaient. A cette occasion, la FIDH et ses ligues en République démocratique du Congo ont déclaré : « La décision de la Chambre omet de se pencher sur les situations où le Procureur ne prend pas de décision explicite de ne pas poursuivre. Peut-on considérer que ces enquêtes continuent alors même qu’existent des éléments permettant de conclure que le Procureur n’a pas l’intention de poursuivre ? Au vu du principe du délai raisonnable qui doit guider toute procédure judiciaire, l’absence d’élargissement de l’acte d’accusation à l’encontre de Jean-Pierre Bemba, plus de deux ans après son arrestation, permet d’affirmer que le Procureur n’a pas l’intention de le poursuivre [pour ces crimes]. » [1]

7. Pourquoi Jean-Pierre Bemba a t-il été maintenu en détention avant son procès ?

Le Statut de Rome dispose que le maintien en détention devra être réexaminé périodiquement par la Chambre préliminaire conformément à l’article 60.3, une détention apparaissant nécessaire afin « de garantir que la personne comparaîtra, qu’elle ne fera pas obstacle à l’enquête ou à la procédure devant la Cour, ni n’en compromettra le déroulement ; ou le cas échéant, qu’elle ne poursuivra pas l’exécution du crime dont il s’agit ou d’un crime connexe relevant de la compétence de la Cour et se produisant dans les mêmes circonstances. »

Dans l’affaire de Jean-Pierre Bemba, la Chambre a conduit de multiples réexamens de son maintien en détention. Les éléments ayant joué en faveur de son maintien en détention sont la gravité des charges et la longueur de la peine encourue en cas de condamnation, la position politique et la profession de Jean-Pierre Bemba, ses contacts internationaux et sa position financière.

8. Quelle peine pourrait être prononcée dans le cas où Jean-Pierre Bemba est jugé coupable ?

Le Statut de Rome dispose des peines suivantes : emprisonnement à temps de 30 ans au plus, emprisonnement à perpétuité, si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient, une amende fixée et une confiscation des profits, biens et avoirs tirés du crime en question (article 77). Par ailleurs, la Cour peut rendre une ordonnance indiquant la réparation à accorder aux victimes, ce qui comprend la restitution, l’indemnisation et la réhabilitation (article 75.2). Ces réparations peuvent être mises en œuvre par le Fonds au profit des victimes de la CPI.

9. Qu’en est-il des procédures nationales en République centrafricaine contre Jean-Pierre Bemba ainsi que du principe de complémentarité ?

L’un des aspects les plus importants du système du Statut de Rome est que ce sont en premier lieu et principalement les Etats parties qui ont l’obligation première d’enquêter et de poursuivre les responsables de crimes de la compétence de la Cour. La CPI n’intervient en ouvrant des enquêtes et en initiant des poursuites que lorsque les Etats n’ont pas la capacité ou la volonté de le faire eux-mêmes.

La défense de Jean-Pierre Bemba a soumis une requête contestant la recevabilité de l’affaire, soulevant inter alia la question de la complémentarité en avançant l’argument selon lequel son client avait déjà fait l’objet de poursuites en RCA.

Le 24 juin 2010, la Chambre préliminaire a conclu que l’affaire était recevable devant la CPI, considérant que les procédures nationales relatives à Jean-Pierre Bemba étaient closes sans qu’aucun procès n’ait eu lieu, qu’en conséquence aucune décision sur le fond n’avait été prise, que la situation avait été déférée à la CPI par l’Etat de la RCA, et que, enfin, le système judiciaire national n’avait pas la capacité à mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites pour les crimes internationaux commis en RCA.

La défense a immédiatement interjeté appel de cette décision mais, le 19 octobre 2010, la Chambre d’appel a confirmé la compétence de la CPI pour juger de l’affaire en endossant l’argumentaire de la Chambre préliminaire.

10. Jean-Pierre Bemba est-il la seule personne à être poursuivie en relation à la situation centrafricaine ?

Une enquête sur la situation de la RCA a été ouverte par le Procureur le 22 mai 2007. Jusqu’à présent, Jean-Pierre Bemba est la seule personne à être poursuivie et faire l’objet d’un procès concernant cette situation. La FIDH a appelé à de nombreuses reprises le Procureur à engager des poursuites contre d’autres hauts responsables de toutes les parties en conflit, des crimes les plus graves commis en RCA en 2002/2003. Notamment, la FIDH a mis en lumière dans ses rapports d’enquête la responsabilité présumée d’Ange-félix Patassé, ancien président de la RCA, dans la commission des crimes les plus graves perpétrés en RCA. Une responsabilité qui a également été mise en exergue dans les mandats d’arrêts émis contre Jean-Pierre Bemba. Mais il paraît peu probable que le Bureau du Procureur poursuive d’autres personnes. Si cette position était maintenue, elle irait à l’encontre des poursuites plus nombreuses dans les autres affaires devant la CPI et s’opposerait au droit de toutes les victimes du conflit d’obtenir justice et réparation.

Il faut également rappeler que le Bureau du Procureur a déclaré qu’il continuait d’analyser les crimes qui auraient été commis depuis la fin de l’année 2005 dans le nord du pays. La décision d’ouvrir une enquête sur ces crimes n’a toujours pas été prise en dépit de l’ampleur et de la gravité des crimes révélés par les enquêtes de la FIDH.

11. Pourquoi l’affaire Bemba est significative en matière de participation des victimes ?

L’ouverture de l’enquête en RCA et les poursuites contre Jean-Pierre Bemba sont largement dues, en premier lieu, au courage et à la ténacité des victimes centrafricaines et aux organisations non-gouvernementales qui les soutiennent. Le nombre de victimes qui ont demandé à participer dans l’affaire Bemba est largement supérieur au nombre de victimes qui se sont manifestées dans les autres affaires ouvertes devant la CPI. 759 demandes de participation ont été acceptées et la Chambre d’instance doit se prononcer prochainement sur plus de 500 autres demandes. Ces chiffres démontrent le grand intérêt des victimes centrafricaines pour les procédures devant la CPI. Il convient de rappeler que seules 105 victimes participent au procès Lubanga (première affaire de la CPI concernant la situation en RDC) et 356 au procès Katanga et Ngudjolo (deuxième affaire).

Ces victimes seront représentées par deux avocats centrafricains. En effet, la Chambre d’instance a considéré qu’il était important de respecter des traditions locales et qu’il était souhaitable que les représentants légaux communs parlent la langue des victimes, partagent leur culture et connaissent leur réalité.

12. Quel a été le rôle de la FIDH dans la procédure de la CPI contre Jean-Pierre Bemba ?

Depuis 2003, la FIDH et ses organisations membres en République centrafricaine ont régulièrement soumis des communications au Bureau du Procureur de la CPI. Ces informations se concentraient sur tous les crimes commis par toutes les parties au conflit. La FIDH considérait que la gravité de tels crimes, et le manque de volonté ainsi que l’incapacité des autorités nationales à enquêter et poursuivre les auteurs de tels crimes justifiaient l’ouverture d’une enquête. La FIDH a constamment appelé la CPI à poursuivre les autres présumés responsables de ces crimes.

13. Sidiki Kaba sur le transfert de Bemba à La Haye

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