FSM 2013 : Déclaration de Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH

C’est une véritable joie pour moi, en tant que Tunisienne, femme et militante des droits humains de voir le premier Forum social mondial de la région arabe se tenir à Tunis. Et c’est également une véritable joie pour moi de voir autant de femmes militantes de toutes les régions du monde participer à cet événement.

La représentation des femmes à ce Forum est d’autant plus importante que depuis plus de deux ans maintenant, de la Tunisie au Bahreïn, de l’Égypte à la Syrie, de la Libye au Yémen, nous avons été témoins de l’explosion des femmes dans la place publique dans le cadre des processus de contestation des régimes en place. Elles ont acquis dans les mouvements des révolutions arabes, une visibilité sans précédent. En tant que citoyennes, elles ont réclamé la liberté, l’égalité, la dignité.

Et pourtant, les risques que cette participation soit confisquée sont bien présents. Nous le voyons tous les jours, les droits des femmes sont les premiers à être bradés par les hommes politiques pour se maintenir au pouvoir et apaiser les forces les plus conservatrices. Celles qui sont à l’avant-garde des combats féministes contre les conservatismes religieux, ici et ailleurs dans le monde, font l’objet de menaces, de violences voire de peines d’emprisonnement, pour les dissuader de poursuivre leur mobilisation, de défendre leurs droits et faire entendre leurs voix. Au lieu de promouvoir des mesures de protection pour que cessent ces violences, nous entendons les dirigeants de certains pays de la région dénoncer les comportements des femmes elles-mêmes, transformant ainsi les victimes en coupables.

Les femmes sont encore dans les rues et sur la toile. Elles se sont confrontées aux forces de l’ordre. Elles sont poursuivies en justice et détenues. Mais où sont-elles au sein des nouvelles instances politiques ? 2 % des Parlementaires en Égypte, 3 femmes parmi les 38 membres du gouvernement en Tunisie !

Nos révolutions politiques ne réussiront pas si elles ne sont pas accompagnées de révolutions sociales. La question des droits des femmes doit être au centre de ces transformations.

Nous devons bouleverser les anciens modèles, caractérisés par le patriarcat, la confiscation du pouvoir et des richesses, les privilèges et le népotisme au détriment de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, des droits humains et de la justice sociale. Les processus qui se sont mis en marche à travers toute la région et au delà, pour l’organisation de ce FSM y contribuent.

Les femmes sont les premières victimes de la régression politique. Dans les pays en conflit elles sont victimes des pires violences, y compris des violences sexuelles utilisées comme armes de guerre.

Mais les femmes sont aussi parmi les plus vulnérables face à la mondialisation néo-libérale, dont elles constituent bien souvent le prolétariat. Le travail, en sortant les femmes des tâches domestiques, en leur permettant d’acquérir une indépendance, est bien sûr un facteur de libération et de réalisation des droits humains pour les femmes. Mais trop souvent les femmes sont employées dans des conditions de travail indignes dans les chaînes mondiales de production, trop souvent elles sont contraintes de quitter leur pays parfois au péril de leur vie pour devenir des travailleuses migrantes ou font l’objet de l’exploitation sous toutes ses formes. Et ce, parce que les femmes avaient moins d’opportunités pour réclamer leurs droits. Mais cela est en train de changer : le grand nombre d’activités inscrites sur le thème des droits des femmes au FSM de Tunis révèle la vitalité des mouvements de défense des droits des femmes, et nous nous en félicitons. Nous devons aujourd’hui, plus que jamais, soutenir les organisations de défense des droits des femmes et renforcer les réseaux de solidarité.

Car la question de l’égalité entre hommes et femmes est et demeure un enjeu primordial pour les transitions en cours dans le monde arabe. Ne laissons personne remettre en cause l’universalité des droits.

Plus de deux ans après le début des révolutions arabes, le temps est venu d’élaborer et de promouvoir des alternatives démocratiques et sociales crédibles. Le FSM parce qu’il est un lieu de rencontres, de réflexion, de constructions d’alternatives et de solidarités est le cadre idéal pour ce faire et c’est bien pour cette raison qu’il peut inquiéter les dirigeants qui ne souhaitent pas de tels développements. En témoigne le fait qu’une délégation de syndicalistes indépendants et de défenseurs des droits humains algériens en route vers le FSM ont été empêchés de passer la frontière il y a deux jours.

La réussite de ce Forum social mondial constituera un message fort : il doit donner une nouvelle impulsion au mouvement démocrate dans la région méditerranéenne au Sud comme au Nord. Car, au Nord de la Méditerranée d’autres transitions sont en cours, mais il s’agit là de régressions sociales et politiques. Il faut déplorer la faillite des Etats démocratiques face à la crise financière. Il faut dénoncer le démantèlement des systèmes de protection sociales face aux exigences des institutions financières internationales. Il faut dénoncer la montée de la xénophobie, du racisme, de la stigmatisation des populations les plus vulnérables et l’instrumentalisation de la « peur de l’autre » à des fins électoralistes. Il faut craindre les reculs démocratiques et la montée des idéologies funestes. Mais au delà des constats, nous devons nous mobiliser et surtout construire des propositions alternatives à cette mondialisation.

Parce que, nous en sommes convaincus, une autre Tunisie est possible, un autre Maghreb est possible, un autre monde est possible.

Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH

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