EEAC - Antiterrorisme et droits humains : 10 ans d’incompatibilité ?

La Fédération de Russie, les républiques du Kazakhstan, du Tadjikistan, du Kirghizistan, de l’Ouzbékistan et la République Populaire de Chine se sont regroupées en juin 2001 au sein de l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS). Visant officiellement à « renforcer la confiance mutuelle et les relations de bons voisinages entre les pays membres », l’OCS est devenue, après les attentats du 11 septembre, une véritable enceinte de coopération œuvrant contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme. De fait, les puissances eurasiatiques ont tiré profit du contexte post-11 septembre pour réprimer certains mouvements religieux, ethniques ou politiques. De nombreuses personnes originaires d’Asie centrale fuyant la répression vers la Russie, ont également vu leur demande d’asile refusée et sont depuis traquées par les services spéciaux. Ces derniers utilisent toutes les méthodes possibles, y compris les plus illégales, pour extrader ces personnes vers leur pays d’origine, notamment :

  • la falsification d’accusations après la détention en Russie de la personne recherchée, afin de faire correspondre son arrestation avec la législation pénale russe ;
  • l’annulation de la nationalité russe acquise par les immigrants afin de lever tout obstacle à leur extradition ;
  • le remplacement illégal de la procédure d’extradition, formelle mais assez longue, par un système d’expulsion administrative beaucoup plus simple et rapide. On a également observé une hâte inhabituelle dans l’organisation des audiences de la cour pour les appels contre l’expulsion administrative. Ainsi, alors que d’ordinaire il s’écoule plus d’un mois entre l’appel contre l’expulsion administrative et la date de l’audience à la cour d’appel, ce délai peut être réduit à huit jours dans ces cas ;
  • l’enlèvement de personnes sur le territoire russe, y compris avec la participation d’agents de services spéciaux étrangers, et leur transfert illégal vers leur pays d’origine avec la participation directe des services spéciaux russes.

L’action de plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme dans les pays concernés permet aujourd’hui de faire connaître les cas des réfugiés et d’obtenir notamment l’annulation de leur extradition grâce aux décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, et plus récemment à certaines décisions de la justice russe. Mais les autorités des pays membres tentent de contourner ces décisions ou d’éviter en amont l’intervention des ONG en tenant secrets les lieux de détention ou en limitant l’accès aux avocats.

En Russie, le traumatisme suscité par les événements du 11 septembre a permis aux autorités de légitimer, consolider et d’étendre à l’ensemble du territoire les mesures arbitraires et liberticides mises en place à la suite de la deuxième guerre de Tchétchénie. Déjà renforcé en 2002 et 2004, le dispositif judiciaire anti-terroriste et anti-extrémiste a été alourdi en 2006, au travers d’une loi prévoyant l’existence de régimes exceptionnels, dérogeant aux règles de l’Etat de droit. Outre la restriction des libertés de mouvement et la surveillance des moyens de communication, cette loi ouvre également la possibilité d’interdire les manifestations publiques et d’entrer dans des lieux privés sans mandats de perquisition. Ces dispositions sont fréquemment mises en œuvre dans le Nord Caucase, en Ingouchie et au Daghestan.

Autre visage de la lutte contre le terrorisme : le combat contre « l’extrémisme » qui, prenant appui sur des définitions imprécises, conduit aujourd’hui en Russie à de nombreux abus envers des représentants de la société civile, qu’il s’agisse de membres d’ONG, de formations politiques, de groupes religieux ou encore de journalistes.

Ainsi, le 29 juillet 2011, le président Dmitri Medvedev annonçait la création d’une commission interdépartementale chargée de lutter contre l’extrémisme. « La FIDH reconnaît naturellement la nécessité de mettre fin à tout acte extrémiste et terroriste mais demande aux autorités russes de définir clairement ces notions afin d’éviter tout abus et amalgame » a déclaré Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH.

Pour plus d’information :

« Une société sous contrôle : du détournement de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme en Russie » : http://www.fidh.org/Une-societe-sous-controle-du-detournement-de-la

"Persécutions des Musulmans et des Organisations Musulmanes inculpées de terrorisme et d’extrémisme" : http://www.fidh.org/Persecutions-des-Musulmans-et-des-Organisations

"La Situation dans le Caucase du Nord 2009-2010 : les Violations des Droits de l’Homme Issues de la Campagne Antiterroriste Continuent" : http://www.fidh.org/La-Situation-dans-le-Caucase-du-Nord-2009-2010

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