Droit à l’eau potable au Niger

Enfants de Tibiri : quand l’eau se transforme en poison
Privatisation de la distribution de l’eau : un processus à surveiller.

La FIDH publie ce jour un rapport de mission internationale d’enquête qui établit clairement les responsabilités dans le drame subi par les enfants de Tibiri (Niger), empoisonnés durant plus de 15 ans par l’eau d’un forage creusé en 1983 et mis en service en 1985. Sa teneur en fluorures (supérieure à 3mg/litre et grimpant parfois à 6,9 mg/litre), largement supérieure à la norme préconisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1,5 mg/litre, a provoqué chez toute une génération d’enfants âgés au début de ce siècle de quinze mois à quinze ans, des handicaps allant de la décoloration de l’émail dentaire en voie de minéralisation à, pour près de 500 d’entre eux, des malformations osseuses d’une extrême gravité. Le second objectif de la mission était d’évaluer les conséquences de la privatisation du système de distribution de l’eau au Niger.

" À ce jour, 1,5 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, et près de 4 milliards manquent de conditions sanitaires convenables. Selon les estimations de l’OMS, 80 % des maladies sont transmises par l’eau contaminée. L’eau potable est pourtant une ressource vitale pour l’être humain et le droit à l’eau potable et à l’assainissement fait partie intégrante des droits de l’Homme officiellement reconnus. " (Extraits du rapport)

Alertée en particulier par l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme, organisation membre de la FIDH au Niger, la FIDH a décidé de mandater une mission d’enquête sur la situation des enfants de Tibiri et d’étudier dans ce cadre la responsabilité de l’Etat nigérien au regard des obligations internationales qui lui incombent, notamment au titre du Pacte des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), en matière de droit à la santé et de droit d’accès à l’eau.

Une mission, composée d’Isabelle Gourmelon et Eric Benhamou, journalistes (France), s’est rendue au Niger du 18 au 30 août 2002 et révèle la responsabilité de l’Etat nigérien dans ces événements. Les défauts flagrants constatés dans les système d’alerte et d’étude, ont visiblement retardé l’arrêt de l’exploitation du forage. Il a en effet fallu 13 années d’expertises et de contre-expertises avant que l’arrêt de la distribution d’eau soit enfin décidée, et le forage définitivement condamné. A l’exception de la mission envoyée par le secrétariat aux Endémies la veille du départ de la mission de la FIDH (août 2002) pour bâtir un plan d’action, les pouvoirs publics ont brillé par leur absence depuis la découverte des premiers cas en 1987.

D’ici 4 ans, 28 des 468 victimes de malformations osseuses graves auront plus de 15 ans, et 195 entre 11 ans et 15 ans. Pour eux, il sera trop tard pour l’intervention chirurgicale bénigne qui leur permettrait néanmoins de retrouver une vie "normale".

La mission rappelle que le différend qui a opposé les chefs coutumiers aux autorités durant des années a constitué une grave entrave à la réussite de toute initiative.

La mission rappelle que l’Etat nigérien a l’obligation de garantir le droit à obtenir réparation devant les tribunaux en cas de violation du droit à la santé ou à l’eau potable afin que ce type de violation ne reste pas impuni. L’ANDDH, qui a annoncé officiellement son intention de porter l’affaire devant les tribunaux, est encore aujourd’hui dans la phase de constitution du dossier (recueil de témoignages, avis médicaux ...).

La mission avait également pour but d’évaluer les conséquences de la privatisation du système nigérien de distribution de l’eau, qui n’a pas été suffisamment régulé, ni contrôlé. Elle rappelle à ce titre qu’il incombe au Niger, au titre du Pacte des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels de garantir " la disponibilité, l’accessibilité physique et surtout économique ainsi que la bonne qualité de l’eau distribuée".

Même s’il est encore trop tôt pour mesurer avec exactitude les conséquences du processus de privatisation du système de distribution de l’eau - imposée par la Banque mondiale contre une aide de 73 millions de dollars - sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, la mission a pu relever des faits préoccupants.

Le prix de l’eau a en effet augmenté de plus de 20%, et le comportement des fontainiers, est particulièrement pointé du doigt. En effet, la grande majorité des citadins nigériens étant démunis, la borne fontaine reste le seul point d’approvisionnement. Et le gouvernement n’a pas encore mis en place une gestion communautaire de ces points d’eau, ce qui est pourtant une exigence de la Banque mondiale. Les plus pauvres dépendent donc des porteurs d’eau, ils sont à la merci des spéculateurs.

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