Contribution de la FIDH au dialogue avec le Représentant spécial des Nations unies sur la question des droits de l’Homme et des sociétés transnationales

La FIDH se félicite du dialogue avec le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies sur la question des droits de l’Homme et des sociétés transnationales

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) a été créée en 1922 et fédère aujourd’hui plus 141 ligues dans près de 100 pays. Son objectif est d’obtenir des améliorations concrètes dans le domaine de la protection des victimes, de la prévention des violations des droits de l’Homme et de la poursuite des auteurs de telles violations.

La FIDH est la première organisation internationale dont le mandat vise à défendre l’ensemble des droits de l’Homme (droits civils et politiques ou économiques, sociaux et culturels) énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Depuis 1997, la FIDH a mis en place un programme sur « mondialisation et droits de l’Homme » qui comprend notamment l’organisation de séminaires de formation pour ses organisations membres sur divers thèmes tels que l’impact des accords commerciaux sur les droits de l’Homme ou la responsabilité des sociétés transnationales en matière de droits de l’Homme, ainsi que des missions d’enquête sur l’impact des activités des sociétés transnationales sur la jouissance des droits de l’Homme, ou la publication de rapports.

La FIDH a salué l’adoption par la Commission des droits de l’Homme, lors de sa 61ème session, de la Résolution 2005/69 demandant au Secrétaire général de nommer un Représentant spécial sur la question des droits de l’Homme et des sociétés transnationales. Conformément à la résolution, le Représentant spécial a pour mandat de :

a) Inventorier et préciser les normes relatives à la responsabilité et à la transparence de l’entreprise en matière de droits de l’Homme pour les sociétés transnationales et autres entreprises ;

b) Approfondir la réflexion sur le rôle des Etats dans la réglementation et le contrôle efficaces du rôle des sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits de l’Homme, notamment par le canal de la coopération internationale ;

c) Etudier et préciser les incidences pour les sociétés transnationales et autres entreprises de notions telles que « complicité » et « sphère d’influence » ;

d) Mettre au point des matériels et méthodes pour la réalisation d’études visant à déterminer l’impact sur les droits de l’Homme des activités des sociétés transnationales et autres entreprises ;

e) Etablir un recueil des meilleures pratiques des Etats, ainsi que des sociétés transnationales et autres entreprises.

La FIDH espère échanger davantage avec le Représentant spécial sur ces questions. En effet, dans le cadre de ses relations actuelles avec une importante société transnationale française, la FIDH cherche à organiser dans les prochains mois, une table ronde réunissant d’importants acteurs de la communauté entrepreunariale française, dont l’objet sera de discuter des concepts de « complicité » et de « sphère d’influence » et de la mise en pratique de ces concepts. La FIDH est consciente que ces concepts - fondamentaux dans la définition du mandat du Représentant spécial -, du fait de leur manque de précision et de leur rôle encore assez mal définis, suscitent certaines craintes au sein de la communauté entrepreunariale. La FIDH cherchera à préciser leur signification et leur portée potentielle, grâce à un dialogue ouvert avec des entreprises et les autres parties prenantes de tous les secteurs d’activités.

Néanmoins, lors de cette consultation préliminaire la FIDH souhaite souligner trois points. Premièrement, quel que soit le progrès quant à la question de la responsabilité des sociétés transnationales en matière de droits de l’Homme, ce progrès ne devrait pas réduire l’étendue des obligations incombant aux Etats en matière de droit international de protéger les droits de l’Homme de toute personne sous leur juridiction. En effet, cela ne signifie pas seulement que, où qu’elles agissent, les sociétés transnationales devraient être efficacement contrôlées par l’Etat dans lequel elles exercent leurs activités. Cela pourrait également impliquer que les Etats devraient, dans la mesure où cela est possible en droit et en pratique, contrôler les activités à l’étranger des entreprises qui sont crées sous leur juridiction, et sur lesquelles, par conséquent, ils peuvent exercer un contrôle en adoptant une législation extra-territoriale. Cependant cette obligation devrait être systématiquement comprise sous réserve des droits souverains de l’Etat territorial. Enfin, cela obligerait tous les Etats à faciliter la protection des droits de l’Homme par l’Etat territorial, en particulier, en ne concluant pas d’accords, tels que des traités bilatéraux ou multilatéraux d’investissement ou des accords de libre échange, qui, en fournissant de vastes garanties aux investisseurs, pourraient priver l’Etat territorial de sa capacité à protéger efficacement les droits de l’Homme de toutes les personnes sous sa juridiction.

Il est important qu’en identifiant la responsabilité des entreprises envers les droits de l’Homme, soit rappellée la responsabilité première des Etats en matière de droit international. L’adoption d’une meilleure réglementation concernant les sociétés transnationales par le biais d’initiatives au niveau mondial ne doit pas être considérée comme se substituant aux obligations en matière de droits de l’Homme incombant aux Etats. De telles initiatives devraient plutôt compléter ces obligations et faciliter le respect par les Etats de leurs obligations en matière de droits de l’Homme.

Deuxièmement, la FIDH souhaiterait insister sur le rôle essentiel dans le débat actuel des Normes sur la responsabilité des sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits de l’Homme, adoptées par la Sous-commission des droits de l’Homme le 13 août 2003. Cette série de Normes représente à ce jour la codification la plus complète en matière de responsabilité des entreprises en matière de droits de l’Homme. Ces Normes sont le résultat d’amples débats avec les parties prenantes, y compris les entreprises elles-mêmes. Bien que certaines dispositions de ces Normes pourraient être davantage clarifiées - comme, en effet, la signification précise des notions de « complicité » et de « sphère d’influence » dans les divers contextes dans lesquels les entreprises sont susceptibles d’agir - la FIDH pense que la non prise en compte des Normes par le Représentant spécial sur la question des droits de l’Homme et les sociétés transnationales lors de son mandat serait un pas en arrière. En effet, si la Résolution 2005/69 de la Commission des droits de l’Homme énonce que le Représentant spécial devrait « inventorier et préciser les normes relatives à la responsabilité et à la transparence de l’entreprise en matière de droits de l’Homme pour les sociétés transnationales », la FIDH considère que ces normes ont déjà été déterminées par la Sous-commission de la promotion et la protection des droits de l’Homme des Nations unies. Dorénavant, la question est de savoir comment construire sur cet acquis et comment mettre en oeuvre ces normes ; il n’est pas question de répéter cet exercice une nouvelle fois.

Troisièmement, la FIDH est préoccupée par le fait que, dans ce domaine, les discussions sur des initiatives volontaires risquent de retarder une réglementation plus appropriée des sociétés transnationales, soit en imposant directement des obligations aux sociétés transnationales en matière de droit international, soit en précisant davantage les obligations des Etats à mieux réglementer les activités des sociétés opérant dans leur juridiction ou qu’ils pourraient contrôler. Des initiatives volontaires telles que des chartes ou des codes de conduite, des accords cadres internationaux, l’adhésion aux normes de l’OIT ou l’OCDE, ou la participation au Global Compact, sont bienvenues et essentielles pour améliorer la responsabilité des sociétés en matière de droits de l’Homme. Mais, elles ne devraient pas être vues comme un substitut à la réaffirmation des obligations incombant à tous en matière de droit international des droits de l’Homme, et ne devraient pas être présentées comme telles.

La FIDH espère une coopération fructueuse dans les mois à venir avec le Représentant spécial, et souhaite exprimer sa pleine confiance envers le processus qui vient d’être initié.

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