Colombie - Antiterrorisme et droits humains : 10 ans d’incompatibilité ?

Suite au 11 septembre 2001, l’aide financière des États-Unis à la Colombie, jusqu’alors destinée à la lutte contre le narcotrafic par l’intermédiaire du Plan Colombie s’est étendue à la lutte contre le terrorisme. Dès le mois d’octobre 2001, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), l’Armée de libération nationale (ELN) et les groupes paramilitaires ont été inclus à la liste des groupes terroristes. L’ex-président Álvaro Uribe a mis en œuvre la politique dite de « sécurité démocratique », avec pour objectif la récupération du contrôle territorial et le renforcement de l’État, au moyen notamment d’une augmentation considérable du buget assigné à la défense, qui est passé de 5,2% du PIB en 2004 à 14,2% en 2010 (11.057 millions de Dollars), dépassant pour la première fois le budget attribué à l’éducation (13,9% du PIB).

Ladite politique de « sécurité démocratique » a été entre autres caractérisée par l’adoption en 2005 de la loi « Justice et Paix », prévoyant la démobilisation paramilitaire et favorisant à terme l’impunité. Seuls 2% des paramilitaires démobilisés ont ainsi été soumis à un procès pour les crimes commis. Cette démobilisation n’a pas eu pour effet la neutralisation des groupes paramilitaires, au contraire, ceux-ci ont accru leur influence au sein des secteurs gouvernementaux, ce qui a abouti au scandale de la « parapolitique ».

En instituant des « réseaux d’informateurs », le gouvernement a aussi impliqué la population civile dans le conflit armé, ce qui constitue une violation grave du droit international humanitaire.

Par ailleurs, 23 chefs paramilitaires ont été extradés aux Etats-Unis où ils sont poursuivis pour trafic de drogue, blanchiment d’argent et terrorisme, les soustrayant ainsi à une condamnation pour les crimes perpétrés en Colombie (massacres, disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires, torture, viols, déplacement forcé, etc) et entravant le droit des victimes à la vérité, la justice et la réparation.

En outre, les deux mandats de l’ex-président Uribe (de 2002 à 2010) auront été marqués par plus de 2500 cas d’exécutions extrajudiciaires, connues sous le nom de « faux-positifs ». Ces exécutions sont le résultat des politiques mises en place par le gouvernement visant à encourager les membres de l’armée colombienne à neutraliser les groupes armés irréguliers, en échange de rétributions financières. De nombreux civils ont ainsi été assassinés par les forces armées, puis présentés comme « guérilleros morts au combat » afin de recevoir les primes promises par le gouvernement.

Au nom de la lutte contre le terrorisme, la thèse selon laquelle l’État était habilité à agir hors-la-loi pour combattre celui-ci a gagné du terrain. Le Département Administratif de Sécurité (DAS), organisme des services de renseignement directement rattaché à l’Exécutif s’est alors livré, par l’intermédiaire de l’unité spéciale de renseignement stratégique dénommée « G3 », à une série d’activités illégales allant des écoutes téléphoniques aux menaces et attentats à l’encontre d’environ 600 personnes, en majorité défenseurs des droits de l’Homme, journalistes, dirigeants politiques et syndicaux, membres de l’opposition ou encore magistrats.

L’ex-président Álvaro Uribe Vélez, ainsi que certains hauts responsables du DAS sont aujourd’hui soumis à des poursuites. Uribe fait l’objet d’une enquête préliminaire menée par la Commission d’Enquête du Parlement, de manière à déterminer s’il est responsable des écoutes téléphoniques illégales réalisées par le DAS sous ses deux mandats. Bernardo Moreno Villegas, Secrétaire général à la Présidence d’Uribe pendant six ans, est accusé d’association de malfaiteurs. En outre, l’ex directeur du DAS Jorge Noguera Cotes est actuellement soumis à un procès pour ses liens avec les paramilitaires et l’assassinat de trois personnes. Le gouvernement colombien a également annoncé la demande d’extradition de María del Pilar Hurtado, elle aussi ancienne directrice du DAS accusée d’association de malfaiteurs et réfugiée au Panamá depuis novembre 2010.

Pour plus d’information :

Colombia : The intelligence activities of the State -DAS- serving criminal interests and political persecution (2010)
http://www.fidh.org/The-intelligence-activities-of-the-State-DAS (en anglais)

Colombia - Las actividades de inteligencia del Estado –DAS- al servicio de intereses criminales y de persecución política (2010)
http://www.fidh.org/Colombia-Las-actividades-de-inteligencia-del (en espagnol)

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