Bilan et Renouvellement du Mandat de la MINUSTAH

06/10/2009
Communiqué

Lettre ouverte aux Membres du Conseil de Sécurité de l’Organisation des
Nations-Unies

Mesdames, Messieurs les Membres du Conseil,

Au terme du mandat de la Mission des Nations unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), organisation membre de la FIDH en Haïti, tiennent à faire part au Conseil de Sécurité des Nations unies des résultats de leur évaluation du travail de la MINUSTAH pour l’année écoulée. Elles espèrent que cette évaluation permettra d’orienter le Conseil de sécurité dans la réécriture et l’amélioration du mandat de la MINUSTAH pour 2009-2010.

La résolution 1840 du Conseil de sécurité des Nations unies (15 octobre 2008) a renouvelé pour une durée d’un an le mandat de la MINUSTAH. Elle attribue à la MINUSTAH plusieurs missions dont la FIDH et le RNDDH font ci-dessous un bref bilan, en prenant en compte le bilan présenté le 1er septembre dernier par le Secrétaire général des Nations unies.

Soutenir le processus politique en cours, en fournissant un soutien aux plans logistique et sécuritaire dans la perspective des élections
Les 19 avril et 21 juin 2009, les élections sénatoriales partielles pour le renouvellement du tiers du Sénat se sont tenues dans le pays. La MINUSTAH s’est beaucoup investie sur le plan logistique et sécuritaire dans la réalisation de ces élections. Cependant, dans certaines régions du pays, la FIDH et le RNDDH regrettent que la MINUSTAH ait fait preuve de passivité lors des conflits armés opposant des candidats, entraînant ainsi l’annulation des élections dans les 12 communes du département du centre, le décès de Jean Pierre Wilfrid, tué lors d’un affrontement à Moron dans le Département de la Grand’Anse et la commission de voies de faits, suivies de blessures à l’encontre de nombreuses personnes.

Sécuriser les frontières d’Haïti
Aujourd’hui encore, la frontière terrestre haïtiano-dominicaine constitue une source d’inquiétudes pour tous les Haïtiens et, tout particulièrement les défenseurs des droits de l’Homme. Comme le Secrétaire général des Nations unies le rapporte dans son rapport sur la MINUSTAH du 1er septembre 2009 (S/2009/439) « l’amélioration des points de passage de la frontière et l’intensification des patrouilles menées par les forces de sécurité ont contribué à une augmentation de 10 % des recettes douanières au premier semestre de 2009, par rapport à la même période en 2008 » (Paragraphe 15). Cependant, en matière de droits de l’Homme, la traite des personnes, le viol des femmes et des fillettes par les passeurs, les assassinats et les disparitions d’ Haïtiens à la frontière restent monnaie courante.

La FIDH et le RNDDH peuvent affirmer qu’en dépit de la présence de la force onusienne à certains endroits, la situation à la frontière ne s’est pas améliorée. Récemment, des dizaines d’Haïtiens qui se trouvaient au marché situé à la frontière Ouanaminthe/Dajabon ont été attaqués à coups de pierres, machettes, pics, bâtons et armes à feu par des Dominicains.

Soutenir la Police nationale d’Haïti (PNH) en appliquant des mesures de dissuasion concertées pour faire reculer la criminalité et la violence
Comme le souligne le Secrétaire Général dans son rapport, les efforts concertés de la PNH et de la MINUSTAH ont abouti à une baisse considérable de l’insécurité. En effet, entre janvier et septembre 2008, 290 personnes ont été tuées par balles contre 147 personnes, entre janvier et septembre 2009.

Plusieurs interpellations et arrestations ont été effectuées par la PNH et la MINUSTAH. Cependant, si les actes de violence et de banditisme ont diminué, il n’en reste pas moins que la situation sécuritaire demeure fragile en raison de la faiblesse du système judiciaire, de la corruption, de l’impunité qui s’érigent en système dans le pays, et de l’échec cuisant du processus de désarmement et de réinsertion. En effet, le travail de soutien de la MINUSTAH à la PNH en matière de désarmement des groupes illégalement armés est invisible. La FIDH et le RNDDH peuvent affirmer que la Commission Nationale de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion est inexistante. De sa création, le 29 août 2006, cette commission n’a élaboré aucun plan national de désarmement. Les armes qui ont endeuillé la population sont encore en possession de leurs détenteurs. Toutefois, une proposition de loi sur les armes à feu, leur port et leur détention a été élaborée de concert avec la MINUSTAH.

Réforme de la PNH et Commission de vetting
Le Secrétaire général de l’ONU explique dans son rapport que « La MINUSTAH continue à travailler avec la PNH pour en améliorer le professionnalisme, en développer les capacités institutionnelles et faciliter la mise en place des infrastructures nécessaires » (Paragraphe 32). Malgré ces efforts, le Plan de réforme de la PNH, mis en oeuvre de concert avec la MINUSTAH, n’a jusqu’à présent pas connu d’avancées notables. Des rapports ont été préparés dans le cadre du processus de certification par la commission de vetting, composée d’agents de la MINUSTAH et de la PNH. Cependant, à ce jour, aucun suivi n’a été donné aux rapports. Par conséquent, le processus de certification des agents de la Police Nationale d’Haïti n’a pas donné les résultats escomptés.

La PNH et la MINUSTAH enquêtent également sur le passé des aspirants policiers, en menant des enquêtes de proximité et en travaillant avec certaines organisations des droits humains, parmi lesquelles le RNDDH. Le Secrétaire général explique que ces enquêtes permettent de poursuivre « la certification et le contrôle des antécédents des agents dans l’ensemble du pays » (Paragraphe 33). Cependant, les informations fournies sont peu suivies et, souvent des personnes incriminées intègrent la PNH en toute quiétude. Le cas le plus récent est celui du policier Ezéchiel Jean Baptiste, impliqué dans le détournement, en 2005, d’une somme estimée à 85.000 gourdes, destinée à des travaux d’assainissement dans la localité de Passe-Reine, commune d’Ennery. Les conclusions de l’enquête menée par le RNDDH ont été communiquées à la Direction des Ecoles et de la Formation Permanente (DEFP). Cependant, aucune suite n’a été donnée et, Ezéchiel Jean Baptiste a intégré la vingtième promotion de la Police Nationale d’Haïti.

Mettre en oeuvre, avec la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP), un plan stratégique de lutte contre la surpopulation carcérale, tout en renforçant la formation du personnel pénitentiaire et les capacités institutionnelles et opérationnelles de la DAP
Les prisons haïtiennes sont pour la plupart d’anciennes casernes des Forces armées d’Haïti. Les cellules, surpeuplées, ne sont ni aérées, ni éclairées. Elles sont privées de lits et de matelas et l’espace y est très réduit. Les conditions d’hygiène sont très mauvaises. Les prisonniers meurent constamment à cause des conditions dans lesquelles ils vivent. Des cas de maladies contagieuses telles que la gale, la tuberculose, etc...sont fréquemment répertoriés. Par ailleurs, l’espace pénitentiaire est estimé à 6751,42m2 soit 0,76m2 par détenu alors que les normes internationales exigent un minimum de 4,50m2 par détenu. Or, au 10 septembre 2009, la population carcérale haïtienne était estimée à 8829 détenus dont 2124 condamnés. 6705 personnes se trouvent en détention préventive.

Malgré ces conditions de détention qui constituent de violations des droits de l’Homme, l’apport de la MINUSTAH au niveau de l’Administration pénitentiaire haïtienne est insuffisant et peu significatif. Les travaux de réaménagement de certaines cellules réalisés par la MINUSTAH, restent en effet infimes, par rapport à l’ampleur de la problématique du système carcéral et les conditions de détention difficiles.

Appliquer la politique de tolérance zéro de l’ONU à l’égard de l’exploitation sexuelle par ses agents
La population haïtienne attend encore les résultats de la politique de tolérance zéro mise en œuvre par l’ONU à l’égard de l’exploitation et des violences sexuelles. Bien que le Secrétaire général rapporte que « La MINUSTAH a continué d’appliquer sa politique de tolérance zéro en matière de mauvais traitements et d’exploitation sexuels » (Paragraphe 66), aucun suivi auprès des victimes, ni aucune démarche de réparation n’ont été entrepris par la MINUSTAH ou le Secrétariat de l’ONU.

La FIDH et le RNDDH avaient déjà souligné l’année dernière que l’accompagnement des victimes de ces abus par la MINUSTAH était essentiel. En effet, si la MINUSTAH a l’intention de promouvoir l’Etat de droit, elle se doit de répondre promptement et avec la plus grande intégrité aux allégations de crimes commis par ses agents, en publiant notamment des rapports d’enquêtes sur les allégations de violations par ses agents et en assurant l’encadrement des victimes haïtiennes.

Les 111 Sri-lankais impliqués dans les cas de viols documentés en novembre 2007 ont simplement été renvoyés chez eux. Il n’est pas acceptable que trois ans plus tard, les résultats des démarches onusiennes et du Sri Lanka ne soient toujours pas connus en Haïti, et que les victimes restent sans nouvelles et sans soutien de la MINUSTAH. Non informées des suites données à leurs dossiers, ces victimes se sentent abandonnées. Il est urgent de remédier à ce qui est perçu en Haïti comme une situation d’impunité, nourrissant le ressentiment des Haïtiens envers la MINUSTAH.

Relations publiques
On constate une amélioration en matière de relations publiques entre la PNH et la MINUSTAH, en particulier dans le cadre des patrouilles et des interventions mixtes. Il en est de même des relations entre la MINUSTAH et la population haïtienne. La MINUSTAH s’est toujours montrée apte à apporter son aide à la population, surtout en cas de catastrophes naturelles. Cependant, beaucoup reste à faire car le comportement de certains membres de la mission onusienne engendre de l’animosité dans certaines couches de la population, particulièrement lorsque la force onusienne intervient dans des conflits entre la population haïtienne et l’administration publique.

Mesdames, Messieurs les Membres du Conseil,

A l’occasion de l’évaluation du travail de la MINUSTAH et dans vos démarches pour renouveler son mandat, la FIDH et le RNDDH souhaitent que les inquiétudes et les limites soulignées ci-dessus dans la mise en œuvre du mandat soient prises en compte afin d’améliorer les résultats escomptés. Cela facilitera l’enclenchement d’un processus de substitution progressive des forces onusiennes par des forces de sécurité nationale. La FIDH et le RNDDH souhaitent notamment que les questions relatives à la surpopulation des prisons, à la détention préventive prolongée, au suivi des rapports de vetting de la PNH, à la sécurisation effective de la frontière, à la réforme de la justice, au suivi des victimes d’exploitation sexuelle par les casques bleus, à la mise en place du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et au calendrier de retrait de la MINUSTAH soient inclues dans l’ordre du jour et débattues.

Dans l’espoir que ces points retiendront votre attention, la FIDH et le RNDDH, vous prient d’agréer, Mesdames, Messieurs les Membres du Conseil, l’expression de leur très haute considération.

Souhayr Belhassen
Présidente de la FIDH

Pierre Espérance

Directeur Exécutif du RNDDH

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