Appel pour mettre fin aux havres de paix en Europe pour les génocidaires rwandais

03/04/2007
Communiqué
en fr

La FIDH et REDRESS organisent le 3 avril 2007 à Bruxelles une conférence intitulée "GARANTIR LA JUSTICE ET ÉTABLIR LES RESPONSABILITÉS : Enquêter et poursuivre les présumés auteurs du Génocide rwandais dans les Etats membres de l’Union européenne".

Voir le programme de la conférence ci-joint.

13 ans après le génocide rwandais, il est inacceptable que des génocidaires continuent de vivre en toute liberté en Europe, ont déclaré la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et REDRESS à l’occasion de leur Conférence commémorant le 13ème anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda, durant lequel près de 1 million de personnes ont été massacrées.

Sur une liste de 93 suspects vivant à l’étranger rendue publique par le gouvernement rwandais en mai 2006, 37 seraient actuellement sur le territoire de pays de l’Union européenne notamment la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays Bas et la Norvège. Or, les États membres de l’Union européenne ont une obligation d’enquêter et le cas échéant de poursuivre ces personnes en justice, déclarent les organisations. L’impunité pour des crimes de génocide est inacceptable au XXIème siècle.

La conférence de la FIDH et Redress a pour but de réunir des Collectifs de victimes rwandaises, des avocats et des organisations de défense des droits de l’Homme afin d’identifier les mesures prises par certains pays dans la lutte contre l’impunité des présumés génocidaires rwandais et d’élaborer une stratégie commune pour encourager une harmonisation et renforcer la coopération et la coordination entre les États membres de l’Union européenne. A cette occasion, la FIDH et REDRESS rendent public un rapport intitulé : « Encourager une approche européenne en matière de responsabilité face au génocide, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et à la torture - La compétence extraterritoriale et l’Union européenne » . [1]

On a pu observer des développements positifs en matière de justice dans certains pays, comme la condamnation de génocidaires rwandais en Belgique et en Suisse, et les enquêtes et/ou poursuites en cours en Belgique, au Danemark, en France, aux Pays-Bas et au Royaume Uni. Cependant, l’approche des États membres de l’UE n’a pas été homogène, et un nombre important d’obstacles doivent être rapidement surmontés, afin de servir au mieux les intérêts de la justice :

- Des retards injustifiés dans la poursuite des faits reprochés. Alors que de nombreux pays ont échoué dans l’ouverture d’instructions sur la présence de présumés auteurs de génocide sur leur territoire, cet échec est le plus marquant en France où, malgré de nombreuses plaintes, aucun procès n’a vu le jour. De nombreuses organisations, y compris la FIDH, la LDH, la Communauté rwandaise, Survie, et des victimes individuelles sont impliquées dans les dossiers suivants : Wenceslas Munyeshyaka, Laurent Bucyibaruta, Laurent Serubuga, Cyprien Kayumba, Sosthène Munyemana. Malgré l’ouverture le 25 juillet 1995 en France d’une procédure contre le père Wenceslas Munyeshyaka, menant la paroisse catholique de la Ste Famille à Kigali, suspecté d’avoir été complice de nombreux massacres sur ce site, les autorités françaises l’ont placé sous contrôle judiciaire, mais n’ont jusqu’à ce jour pas ordonné son renvoi devant une Cour d’assises. Cette lenteur a conduit la Cour européenne des droits de l’Homme à condamner les autorités françaises. Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro, se trouverait en France. Malgré des preuves démontrant son implication dans le massacre de plus de 50.000 Tutsis le 21 avril 1994 à Murambi, lieu où se déroulent le 7 avril de cette année les cérémonies officielles de la commémoration du génocide, il a été libéré sur décision du juge d’instruction le 20 décembre 2000.

- La législation nationale des pays européens ne permet que trop rarement les poursuites pour génocide. Faute de législation nationale incorporant le crime de génocide, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda a refusé de transférer Michel Bagaragaza vers la Norvège ; dans le même sens, les lacunes dans la législation du Royaume Uni empêchent ce pays d’engager des pousuites et l’ont conduit à considérer la possibiilité d’une extradition de Charles Munyaneza, Celestin Ugirashebuja, Emmanuel Nteziryayo et du Dr Vincent Bajinja (a.k.a. Brown) vers les tribunaux rwandais. Or, les tribunaux rwandais, outre le fait qu’ils sont surchargés et bien qu’ils soutiennent des enquêtes fondées sur la compétence universelle devant certaines juridictions européennes, ne remplissent pas à ce jour toutes les conditions d’un procès équitable et impartial.

- Le manque d’une approche systématique dans la localisation des fugitifs et le suivi des plaintes. Malgré les appels du Réseau du Conseil de l’Union européenne des points de contacts en ce qui concerne les personnes responsables de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre (Réseau) aux États membres afin qu’ils mettent en place des unités spécialisées pour permettre l’arrestation et l’enquête dans ces dossiers, ces Etats continuent à adopter une approche ad hoc permettant aux auteurs de ces crimes de passer entre les mailles du filet.

Les stratégies et recommandations adoptées lors du séminaire de la FIDH et REDRESS seront transmises aux représentants nationaux présents lors de la 4ème réunion du Réseau qui se tiendra les 7 et 8 mai 2007 à La Haye et dont l’agenda est exclusivement dédié aux questions relatives à la justice post génocide au Rwanda. La FIDH et REDRESS appellent les gouvernements européens à  :


 Mener à bien des enquêtes sur les présumés génocidaires qui se trouvent sur leur territoire ;
 Poursuivre les suspects contre qui des preuves suffisantes existent ;
 Renforcer la coopération mutuelle en vue de l’arrestation des suspects ;
 S’assurer que les services de l’immigration procèdent à une vérification systématique des demandeurs d’asile et de visa s’agissant des auteurs de crimes internationaux graves et coopèrent avec les services de police et de justice afin de garantir que les personnes identifiées feront l’objet d’une enquête et éventuellement d’une poursuite ;
 Garantir que la définition du crime de génocide soit reconnue dans le droit national et que les juridictions nationales puissent exercer leur compétence extraterritoriale, civile ou pénale, sur le crime de génocide et sur les autres crimes internationaux ;
 Mettre en place des mesures pratiques permettant l’ouverture d’enquêtes sur les crimes internationaux, telles que les unités spécialisées au sein des services de l’immigration, de la police et des autorités judiciaires, afin de garantir que les enquêtes soient conduites par des personnes spécialisées et de permettre aux praticiens de développer leur expérience et expertise en matière d’enquête et de poursuite de ces crimes.

Contexte

En 1994, près d’un million de personnes ont été tuées au Rwanda en moins de 100 jours. Le génocide est connu non seulement pour le massacre de civils innocents mais aussi pour la barbarie des méthodes utilisées telles que le massacre à la machette, les viols en masse, les mutilations sexuelles, la torture et le démembrement. Le génocide a laissé des cicatrices à la fois physiques et morales sur les survivants et leurs efforts pour obtenir réparation pour les souffrances endurées n’ont, la plupart du temps, pas été suivis d’effets. Malgré la fin des massacres, l’héritage du génocide subsiste, et la quête de justice est longue et difficile. Le génocide n’a pas seulement anéanti une population et provoqué la fuite de deux millions de Rwandais, il a également détruit les infrastructures du pays et laissé un système judiciaire en lambeau.

13 ans après le génocide, peu d’auteurs et responsables du génocide ont été déférés devant la justice. Le gouvernement rwandais a mis en place des chambres nationales spéciales pour juger les présumés auteurs du génocide. Cependant la justice rwandaise n’est pas à ce jour en mesure de fournir aux accusés et aux victimes toutes les garanties d’un procès équitable et impartial. En outre, vu le nombre important d’accusés et l’état des infrastructures judiciaires modestes, le système judiciaire est "paralysé", ce qui a causé d’insurmontables retards. Le gouvernement a, par la suite, mis en place un système de justice transitionnelle au niveau de la communauté, les gacacas, fondée sur les pratiques coutumières, afin de juger les personnes poursuivies pour des actes de gravité inférieure. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a été établi par le Conseil de Sécurité des Nations unies. Il a déjà rendu un certain nombre de jugements concernant une trentaine de personnes et 25 affaires sont en cours. Dans le passé, les présumés responsables retrouvés en Europe étaient transférés au TPIR pour être jugés, mais aujourd’hui cela n’est plus possible. La résolution du Conseil de sécurité prévoyant que le TPIR devait avoir clôturé ses travaux en 2010 a mis en place, par conséquent, une stratégie d’achèvement empêchant le tribunal d’accepter de nouvelles plaintes et l’encourageant à transférer une partie des affaires devant les juridictions nationales rwandaises et de pays tiers.

Pour plus d’information, veuillez contacter :

Jürgen Schurr (Bruxelles) pour la FIDH et REDRESS : juergen[at]redress.org ; Tel. : 0032 2 609 4424 ; GSM : 0032 484 931 735

Jeanne Sulzer (Paris) pour la FIDH : jeannesulzer[at]wanadoo.fr ; Tel : 0033 1 40 62 99 60

Rakiya Omaar (Rwanda) pour African Rights : rakiyao[at]yahoo.com ; www.africanrights.org

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