Les défenseurs des droits de l’Homme face à la "dictature de la loi"

12/10/2004
Rapport
en fr

Paris - Genève, le 12 octobre 2004 - Défendre les droits de l’Homme dans la Russie contemporaine revient à se heurter à une multitude de pouvoirs locaux, régionaux ou fédéraux, ou encore à des groupes violents qui n’hésitent pas à éliminer ceux qui tentent de s’opposer à eux. Pire, alors qu’ils devraient, selon les instrument internationaux, être soutenus et protégés par l’Etat, les défenseurs des droits de l’Homme sont au contraire menacés, harcelés et persécutés par la justice, les forces de l’ordre, ou l’administration, et discrédités par les plus hautes autorités de l’Etat.

 20 juin 2004 (St Pétersbourg, Russie) : Nikolay Girenko, 64 ans, porte-parole de l’une des principales organisations anti-racistes de St Petersbourg (The Ethnical Minority Rights), est abattu à travers la porte de son domicile Son assassin demeure inconnu à ce jour.

Avec le renforcement du pouvoir de Vladimir Poutine (contrôle des médias, modifications constitutionnelles,...), dans le cadre, notamment, de la priorité donnée à la lutte antiterroriste, le contrôle sur la société civile s’accentue. Parallèlement, la Douma est réduite à l’état de chambre d’enregistrement des décisions présidentielles et les défenseurs des droits de l’Homme perdent peu à peu les rares soutiens qu’ils y comptaient encore.

Alarmés par leurs organisations partenaires en Russie, la FIDH et l’OMCT, dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défense des droits de l’Homme, ont mené plusieurs missions internationales d’enquête, en septembre et décembre 2003 et en mai 2004. Au cours de celles-ci, elles ont mené des entretiens avec les représentants d’associations de défense des droits de l’Homme, de Moscou et de Saint-Pétersbourg, qui leur ont confirmé les difficultés croissantes auxquelles elles étaient confrontées, afin de pouvoir accomplir leurs missions. Après avoir étudié les textes de lois relatifs aux associations, la FIDH et l’OMCT sont en mesure de confirmer ces craintes, et publient ce jour un rapport de mission d’enquête intitulé : "Russie : les défenseurs des droits de l’Homme face à la "dictature de la loi"".

  "La dictature de la Loi" : Par cette expression, Vladimir Poutine désigne sa conception de la "démocratie dirigée" qu’il souhaite mettre en place. S’appuyant sur le conflit en Tchétchénie ,toujours non résolu, il justifie l’existence d’un Etat fort, et le renforcement de la "verticale du pouvoir".

L’une des méthodes utilisées par les autorités russes pour contrôler efficacement les associations, consiste à renforcer l’arsenal législatif. Ainsi en juillet 2003, une nouvelle loi a été adoptée par la Douma qui restreint fortement la liberté de manifestation. Cette loi crée des obstacles significatifs à la planification et à la mise en place de manifestations légales et pacifiques. Toute demande de rassemblement doit être soumise à autorisation préalable au moins 10 jours à l’avance et certaines réunions, « à proximité » des bâtiments administratifs, des écoles, des ambassades et des locaux des organisations internationales sont interdites, sans que soit précisé le périmètre de « sécurité » ainsi laissé à la discrétion des autorités.

Un autre projet de loi relatif aux impôts et à la perception des taxes a été adopté en première lecture par la Douma le 5 août 2004, et doit passer en deuxième lecture le 15 octobre 2004. Elle constitue une tentative supplémentaire de l’Etat russe de contrôler les activités des ONG, en établissant - sur des critères purement arbitraires - une liste de fondations nationales, dont les subventions ne seront pas soumises à imposition (ceci impliquant de fait que les fondations exclues de la liste le seront). La procédure d’enregistrement est également un instrument de contrôle supplémentaire, dans la mesure où l’enregistrement d’une ONG est soumise à l’approbation du ministre de la Justice.

Enfin, un décret vient d’être signé par le Président Poutine fin septembre, concernant « les mesures étatiques additionnelles de soutien au mouvement des droits de l’Homme en Russie ». Ce décret prévoit notamment la création d’un Centre international de défense des droits de l’Homme en Russie et l’intégration des ONG de défense des droits de l’Homme dans les travaux des organes consultatifs créés par les représentants du Président au niveau des régions. Bien que le but affiché de ce nouveau texte soit de consolider la société civile et le respect des droits de l’Homme, on peut craindre qu’il ne vise en fait qu’à mieux contrôler le mouvement des ONG.

En outre, le gouvernement russe prend prétexte des soutiens financiers fournis par les grands entrepreneurs russes à certaines associations de défense des droits de l’Homme pour discréditer ces dernières. En mettant en doute les actions ou les motivations "réelles" des organisations de défense des droits de l’Homme, les autorités russes entendent marginaliser au maximum ces organisations, et diviser le mouvement des droits de l’Homme en effectuant une distinction entre bonnes et mauvaises ONG.

  Verbatim : "Des milliers d’organisations civiles et d’unions existent et travaillent de façon constructive dans notre pays. Mais elles sont loin d’être toutes dévouées à la défense des intérêts réels des gens. Une partie de ces organisations a pour objectif principal de recevoir des financements des fondations étrangères influentes, d’autres servent des intérêts commerciaux ou particuliers douteux." (Président Vladimir Poutine)

Enfin, les pressions et attaques directes à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme sont nombreuses, particulièrement en Tchétchénie, où les ONG locales, travaillant à huis-clos, sont confrontées à une situation de très grande insécurité (attentats à la vie, mauvais traitements, filatures, attaques d’ONG, ...).

 9 janvier 2004 : Aslan Davletukaev, un volontaire de la Société d’amitié russo-tchétchène (SART) est enlevé à son domicile par des hommes armés. Son corps sera retrouvé une semaine plus tard par une unité de reconnaissance de l’armée russe, portant des traces de tortures et de mutilation.
 14 septembre 2004 : Mme Fatima Gazieva, co-fondatrice de l’ONG « Echo of War » est arrêtée par des hommes armés et emmenée sur la base militaire de l’Armée fédérale russe de Hancala. Elle sera relâchée le lendemain après avoir été interrogée sur ses activités.

Ces pressions et actes de violence contre des défenseurs ont également été recensés dans le reste du pays, notamment à Saint-Petersbourg (Organisation des mères de soldats, Mémorial), à Krasnodar - où plusieurs procédures ont été engagées par les autorités de la région à l’encontre des ONG locales, visant à la fermeture de ces associations - ou encore au Tatarstan.

En conclusion, l’Observatoire observe que la situation des défenseurs des droits de l’Homme en Russie se détériore au fil du renforcement de la domination politique du parti au pouvoir et de la mobilisation de l’administration à son service. Un recul apparaît même sensible au regard de la situation existante pendant la Perestroïka et dans les années 1990. Ces menaces - directes et indirectes - qui pèsent sur l’existence même des associations, dans un contexte marqué par la reprise en main des médias par le pouvoir, témoignent d’une nette dégradation de la situation des droits de l’Homme en Russie.

L’Observatoire demande aux autorités russes de garantir l’intégrité physique et psychologique des défenseurs des droits de l’Homme, de cesser tout harcèlement à leur encontre et de mener des enquêtes impartiales et exhaustives afin d’identifier et de punir les auteurs de violations à leur encontre.

L’Observatoire demande également que soit garanti le libre accès des défenseurs des droits de l’Homme et des journalistes indépendants au territoire tchétchène.

Enfin, l’Observatoire demande aux autorités russes de réformer les modalités d’enregistrement et la fiscalité des organisations, et, plus généralement, de se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998 et des instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’Homme auxquels la Russie est partie.

Le rapport est disponible sur les sites Internet

De la FIDH (http://www.fidh.org/IMG/pdf/Ru401f.pdf) et de l’OMCT (http://www.omct.org).

Pour plus d’informations merci de contacter : FIDH : 00 33 1 43 55 25 18 - OMCT : 00 41 22 809 49 24

Lire la suite